POUR SERVIR…

Peu à peu le personnage apparaissait. L’ex-capitaine allemand aux trente-deux victoires perçait sous l’ex-légionnaire de France. Loin de le sauver, son intelligence le dénonçait.

Je regardai la main qui assassina. Cette main était élégante. De même que, naguère, sa moisson faite, l’homme sans nom s’était évadé du 1er étranger, cette autre nuit, coûte que coûte, il avait dû quitter le pénitencier.

Il était en Algérie pour « servir ».

C’était bien Léon Charles, c’était bien Karl Heile, et cependant il n’était pas davantage Karl Heile que Léon Charles. Les hommes de son dur métier n’ont plus d’état-civil. Semblable aux sous-marins de son pays, il n’était plus qu’une lettre et un numéro : un V. -33, un U. -18 ; là-bas, dans un bureau secret du ministère de la Guerre, à Berlin…

— Mais qu’avez-vous fait de 1919 à 1921, Karl Heile ?

— J’étais journaliste, mon commandant.

— Aux Indes, peut-être ?

— Pas aux Indes, à la Vœlkische Zeitung.

 Quel était votre emploi au journal ?

— Second rédacteur diplomatique.

L’homme se tourna de mon côté. J’avais noté quelques mots. Cela lui avait suffi.

— Je comprends, me dit-il que vous devez être de la presse. Puis-je vous demander, comme confrère, dans le cas où vous connaîtriez le nom de la dame dont il fut question, de ne pas imprimer ce nom ? C’est ici une affaire entre hommes.

— Êtes-vous marié ? fait le commandant.

Heile répondit non, mais avec un amer sourire qui disait : « Se marie-t-on dans mon métier ? »

— Alors, en 1919, vous étiez à la Vœlkische Zeitung, vous n’étiez pas aux Indes ?

— Mais… non…

— Vous n’étiez pas aux Indes avec Monsieur votre père qui fut fusillé par les Anglais ?

— Je… Je dois être victime d’une ressemblance !

Les enfants des gardiens de la prison jouaient à la balle dans la cour et leur rire frais entra dans la pièce.

— Des enfants ! fit Karl Heile.

— Je vous arrête, dit le commandant.

— Cependant…

— Je regrette, mais chacun sert son pays, n’est-ce pas, monsieur ?

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