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… Il avait été décidé que nous irions ensemble rendre une visite à Tiahoui, dans son district lointain, et Rarahu depuis longtemps s’était promis une grande joie de ce voyage.

Un beau matin, par la route de Faaa, nous partîmes à pied tous deux, emportant sur l’épaule notre léger bagage de Tahitiens : une chemise blanche pour moi, deux pareos, et une tapa de mousseline rose pour Rarahu…

On voyage dans cet heureux pays comme on eût voyagé aux temps de l’âge d’or, si les voyages eussent été inventés à cette époque reculée…

Il n’est besoin d’emporter avec soi ni armes, ni provisions, ni argent ; l’hospitalité vous est offerte partout, cordiale et gratuite, et dans toute l’île il n’existe d’autres animaux dangereux que quelques colons européens ; encore sont-ils fort rares, et à peu près localisés dans la ville de Papeete…

Notre première étape fut à Papara, où nous arrivâmes au coucher du soleil, après une journée de marche ; c’était l’heure où les pêcheurs indigènes revenaient du large dans leurs minces pirogues à balancier ; les femmes du district les attendaient groupées sur la plage, et nous n’eûmes que l’embarras de choisir pour accepter un gîte. L’une après l’autre, les pirogues effilées abordaient sous les cocotiers ; les rameurs nus battaient l’eau tranquille à grands coups de pagayes, et sonnaient bruyamment de leurs trompes en coquillage, comme des tritons antiques ; cela était vivant et original, simple et primitif comme une scène des premiers âges du monde…

Dès l’aube, le lendemain, nous nous remîmes en route…

Le pays autour de nous devenait plus grandiose et plus sauvage. Nous suivions sur le flanc de la montagne un sentier unique, d’où la vue dominait toute l’immensité de la mer ; çà et là des îlots bas, couverts d’une végétation invraisemblable ; des pandanus à la physionomie antédiluvienne ; des bois qu’on eût dit échappés de la période éteinte du Lias. Un ciel lourd et plombé comme celui des âges détruits ; un soleil à demi voilé, promenant sur le Grand Océan morne de pâles traînées d’argent…

De loin en loin nous rencontrions, les huttes ovales aux toits de chaume, et les graves Tahitiens, accroupis, occupés à suivre dans un demi-sommeil leurs rêveries éternelles ; des vieillards tatoués, au regard de sphinx, à l’immobilité de statue ; je ne sais quoi d’étrange et de sauvage qui jetait l’imagination dans des régions inconnues…

Destinée mystérieuse que celle de ces peuplades polynésiennes, qui semblent les restes oubliés des races primitives ; qui vivent là-bas d’immobilité et de contemplation, qui s’éteignent tout doucement au contact des races civilisées, et qu’un siècle prochain trouvera probablement disparues.

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