Un peu avant d’arriver sur les terres du district de Papéuriri, nous nous arrêtâmes dans un village bizarre construit par des sauvages arrivés de la Mélanésie ; puis nous trouvâmes sur le chemin Téharo et Tiahoui qui venaient au-devant de nous. Leur joie de nous rencontrer fut extrême et bruyante ; les grandes manifestations entre amis qui se retrouvent sont tout à fait dans le caractère tahitien.
Ces deux braves petits sauvages étaient encore dans le premier quartier de leur lune de miel, chose fort douce en Océanie comme ailleurs ; bien gentils tous deux, – et hospitaliers dans la plus cordiale acception du terme.
Leur case était propre et soignée, classique d’ailleurs, dans ses moindres détails. – Nous y trouvâmes un grand lit qui nous était préparé, recouvert de nattes blanches, et entouré de rideaux indigènes faits de l’écorce distendue et assouplie du mûrier à papier.
On nous fit grande fête à Papéuriri, et nous y passâmes quelques journées délicieuses. Le soir par exemple c’était triste, et dans l’obscurité je sentais, quoi qu’on fît pour nous égayer, la solitude et la sauvagerie de ce recoin de la terre. La nuit, quand on entendait au loin le son plaintif des flûtes de roseau, ou le bruit lugubre des trompes en coquillage, j’avais conscience de l’effroyable distance de la patrie, et un sentiment inconnu me serrait le cœur.
Il y eut chez Tiahoui des repas magnifiques en notre honneur, auxquels tout le village était convié : des menus très particuliers, des petits cochons rôtis tout entiers sous l’herbe, – des fruits exquis au dessert, et puis des danses, et de charmants chœurs d’himéné.
J’avais fait le voyage en costume tahitien, pieds et jambes nus, vêtu simplement de la chemise blanche et du pareo national. Rien n’empêchait qu’à certains moments je ne me prisse pour un indigène, et je me surprenais à souhaiter parfois en être réellement un ; j’enviais le tranquille bonheur de nos amis, Tiahoui et Téharo ; dans ce milieu qui était le sien, Rarahu se retrouvait plus elle-même, plus naturelle et plus charmante ; – la petite fille gaie et rieuse du ruisseau d’Apiré reparaissait avec toute sa naïveté délicieuse, et pour la première fois je songeais qu’il pourrait y avoir un charme souverain à aller vivre avec elle comme avec une petite épouse, dans quelque district bien perdu, dans quelqu’une des îles les plus lointaines et les plus ignorées des domaines de Pomaré ; – à être oublié de tous et mort pour le monde ; – à la conserver là telle que je l’aimais, singulière et sauvage, avec tout ce qu’il y avait en elle de fraîcheur et d’ignorance.