Ce fut une des belles époques de Papeete que l’année 1872. Jamais on n’y vit tant de fêtes, de danses et d’amuramas.
Chaque soir, c’était comme un vertige. – Quand la nuit tombait les Tahitiennes se paraient de fleurs éclatantes ; les coups précipités du tambour les appelaient à la upa-upa, – toutes accouraient, les cheveux dénoués, le torse à peine couvert d’un tunique de mousseline, – et les danses, affolées et lascives, duraient souvent jusqu’au matin.
Pomaré se prêtait à ces saturnales du passé, que certain gouverneur essaya inutilement d’interdire : elles amusaient la petite princesse qui s’en allait de jour en jour, quoi qu’on fit pour enrayer son mal, et tous les expédients étaient bons pour la distraire.
C’était le plus souvent devant la terrasse du palais qu’avaient lieu ces fêtes, auxquelles se pressaient toutes les femmes de Papeete. – La reine et les princesses sortaient de leur demeure, et venaient au clair de la lune, en spectatrices nonchalantes, s’étendre sur des nattes.
Les Tahitiennes battaient des mains, et accompagnaient le tam-tam d’un chant en chœur, rapide et frénétique ; – chacune d’elles à son tour exécutait une figure ; le pas et la musique, lents au début, s’accéléraient bientôt jusqu’au délire, et, quand la danseuse épuisée s’arrêtait brusquement sur un grand coup de tambour, une autre s’élançait à sa place, qui la surpassait en impudeur et en frénésie.
Les filles des Pomotous formaient d’autres groupes plus sauvages, et rivalisaient avec celles de Tahiti. Coiffées d’extravagantes couronnes de datura, ébouriffées comme des folles, elles dansaient sur un rythme plus saccadé et plus bizarre, – mais d’une manière si charmante aussi, qu’entre les deux on ne savait ce que l’on préférait.
Rarahu aimait passionnément ces spectacles qui lui brûlaient le sang, mais elle ne dansait jamais. Elle se parait comme les autres jeunes femmes, laissant tomber sur ses épaules les masses lourdes de ses cheveux, et se couronnait de fleurs rares, et puis, pendant des heures, elle restait assise auprès de moi sur les marches du palais, captivée et silencieuse.
Nous partions la tête en feu ; nous rentrions dans notre case, comme grisés de ce mouvement et de ce bruit, et accessibles à toutes sortes de sensations étranges.
Ces soirs-là, il semblait que Rarahu fût une autre créature. La upa-upa réveillait au fond de son âme inculte la volupté fiévreuse et la sauvagerie.