Quand nous fûmes dehors, Taïmaha me demanda :
– Tu reviendras demain ?
– Non, dis-je, je pars de grand matin pour la terre de Californie.
Un moment après, elle demanda avec timidité :
– Rouéri t’avait parlé de Taïmaha ?
Peu à peu Taïmaha s’animait en parlant ; peu à peu son cœur semblait s’éveiller d’un long sommeil. – Elle n’était plus la même créature, insouciante et silencieuse ; elle me questionnait d’une voix émue, sur celui qu’elle appelait Rouéri, et m’apparaissait enfin telle que je l’avais désirée, conservant, avec un grand amour et une tristesse profonde, le souvenir de mon frère…
Elle avait retenu sur ma famille et mon pays de minutieux détails que Rouéri lui avait appris ; elle savait encore jusqu’au nom d’enfant qu’on me donnait jadis dans mon foyer chéri ; elle me le redit en souriant, et me rappela en même temps une histoire oubliée de ma petite enfance. Je ne puis décrire l’effet que me produisirent ce nom et ces souvenirs, conservés dans la mémoire de cette femme, et répétés là par elle, en langue polynésienne…
Le ciel s’était dégagé ; nous revenions par une nuit magnifique, et les paysages tahitiens, éclairés par la lune, au cœur de la nuit, dans le grand silence de deux heures du matin, avaient un charme plein d’enchantement et de mystère.
Je reconduisis Taïmaha jusqu’à la porte de la case qu’elle habitait à Papeete. – Sa résidence habituelle était la case de sa vieille mère Hapoto, au district de Téaroa, dans l’île de Moorea.
En la quittant, je lui parlai de l’époque probable de mon retour, et voulus lui faire promettre de se trouver alors à Papeete, avec ses deux fils. – Taïmaha promit par serment, mais, au nom de ses enfants, elle était redevenue sombre et bizarre ; ses dernières réponses étaient incohérentes ou moqueuses, son cœur s’était refermé ; en lui disant adieu, je la vis telle que je devais la retrouver plus tard, incompréhensible et sauvage…