Quand le groupe des Tahitiennes ne fut plus qu’une masse confuse, la case abandonnée de mon frère Rouéri fut encore longtemps visible au bord de la mer, et mes yeux restèrent fixés sur ce point perdu dans les arbres.
Les nuages qui couvraient les montagnes descendaient rapidement sur Tahiti ; ils s’abaissèrent comme un rideau immense, sous lequel l’île entière fut bientôt enveloppée. – La pointe aiguë du morne de Fataoua parut encore dans une déchirure du ciel, et puis tout se perdit dans les épaisses masses sombres ; un grand vent alizé se leva sur la mer, qui devint verte et houleuse, et la pluie d’orage commença à tomber.
Alors je descendis tout au fond du Rendeer, dans ma cabine obscure ; je me jetai sur ma couchette de marin, en me couvrant du pareo bleu, déchiré par les épines des bois, que Rarahu portait autrefois pour vêtement dans son district d’Apiré… Et tout le jour, je restai là étendu, à ce bruit monotone d’un navire qui roule et qui marche, à ce bruit triste des lames qui venaient l’une après l’autre battre la muraille sourde du Rendeer… Tout le jour, plongé dans cette sorte de méditation triste, qui n’est ni la veille ni le sommeil, et où venaient se confondre des tableaux d’Océanie et des souvenirs lointains de mon enfance.
Dans le demi-jour verdâtre qui filtrait de la mer, à travers la lentille épaisse de mon sabord, se dessinaient les objets singuliers épars dans ma chambre, – les coiffures de chefs océaniens, les images embryonnaires du dieu des Maoris, les idoles grimaçantes, les branches de palmier, les branches de corail, les branches quelconques arrachées, à la dernière heure, aux arbres de notre jardin, des couronnes flétries et encore embaumées, de Rarahu ou d’Ariitéa, – et le dernier bouquet de pervenches roses, coupé à la porte de notre demeure.