Vers la fin de l’année, une grande fête fut annoncée dans l’île de Moorea, à l’occasion de la consécration du temple d’Afareahitu.
La reine Pomaré manifesta à l’amiral à cheveux blancs l’intention de s’y rendre avec toute sa suite, le conviant lui-même à la cérémonie et au grand banquet qui devait s’ensuivre.
L’amiral mit sa frégate à la disposition de la reine, et il fut convenu que le Rendeer appareillerait pour transporter là-bas toute la cour.
La suite de Pomaré était nombreuse, bruyante, pittoresque ; elle s’était augmentée pour la circonstance de deux ou trois cents jeunes femmes, qui avaient fait de folles dépenses de reva-reva et de fleurs.
Un beau matin pur de décembre, le Rendeer ayant déjà largué ses grandes voiles blanches, se vit pris d’assaut par toute cette foule joyeuse.
J’avais eu mission d’aller, en grande tenue, chercher la reine au palais.
Celle-ci, qui désirait s’embarquer sans mise en scène, avait expédié en avant toutes ses femmes, – et, en petit cortège intime, nous nous acheminâmes ensemble vers la plage, aux premiers rayons du soleil levant.
La vieille reine en robe rouge ouvrait la marche en tenant par la main sa petite-fille si chérie, – et nous suivions à deux pas, la princesse Ariitéa, la reine Moé, la reine de Bora-Bora et moi.
C’est là un tableau que je retrouve souvent dans mes souvenirs… Les femmes ont leurs heures de rayonnement, – et cette image d’Ariitéa marchant auprès de moi sous les arbres exotiques, dans la grande lumière matinale, – est celle que je revois encore, quand, à travers les distances et les années, je pense à elle…
Lorsque le canot d’honneur qui portait la reine et les princesses accosta le Rendeer, les matelots de la frégate, rangés sur les vergues suivant le cérémonial d’usage, poussèrent trois fois le cri de : « Vive Pomaré ! » et vingt et un coups de canon firent retenir les tranquilles plages de Tahiti.
Puis la reine et la cour entrèrent dans les appartements de l’amiral, où les attendait un lunch à leur goût composé de bonbons et de fruits, – le tout arrosé de vieux champagne rose.
Cependant les suivantes de toutes les classes s’étaient répandues dans les différentes parties du navire, où elles menaient grand et joyeux tapage, en lançant aux marins des oranges, des bananes et des fleurs.
Et Rarahu était là aussi, embarquée comme une petite personne de la suite royale ; Rarahu pensive et sérieuse, au milieu de ce débordement de gaîté bruyante. – Pomaré avait emmené avec elle les plus remarquables chœurs d’himéné de ses districts, et Rarahu étant un des premiers sujets du chœur d’Apiré avait été à ce titre conviée à la fête.
Ici une digression est nécessaire au sujet du tiaré miri, – objet qui n’a point d’équivalent dans les accessoires de toilette des femmes européennes.
Ce tiaré est une sorte de dahlia vert que les femmes d’Océanie se plantent dans les cheveux, un peu au-dessus de l’oreille, les jours de gala. – En examinant de près cette fleur bizarre, on s’aperçoit qu’elle est factice ; elle est montée sur une tige de jonc, et composée des feuilles d’une toute petite plante parasite très odorante, sorte de lycopode rare qui pousse sur les branches de certains arbres des forêts.
Les Chinois excellent dans l’art de monter des tiarés très artistiques, qu’ils vendent fort cher aux femmes de Papeete.
Le tiaré est particulièrement l’ornement des fêtes, des festins et des danses ; lorsqu’il est offert par une Tahitienne à un jeune homme, il a le même sens à peu près que le mouchoir jeté par le sultan à son odalisque préférée.
Toutes les Tahitiennes avaient ce jour-là des tiaré dans les cheveux.
J’avais été mandé par Ariitéa pour lui faire société pendant ce lunch officiel, – et la pauvre petite Rarahu, qui n’était venue que pour moi, m’attendit longtemps sur le pont, pleurant en silence de se voir ainsi abandonnée. Punition bien sévère que je lui avais infligée là, pour un caprice d’enfant qui durait depuis la veille et lui avait déjà fait verser des larmes.