XI

Je sentis qu’un froid mortel me montait au cœur. Une voile passa devant mes yeux…

Ma pauvre petite amie sauvage !… Souvent en m’éveillant la nuit je la revoyais encore ; malgré tout, je retrouvais son image, avec je ne sais quelle douceur triste, quelle espérance vague, avec je ne sais quelles idées de pardon et de rédemption, et tout était fini dans la fange, dans l’abîme de l’éternel néant !…

Je sentis qu’un froid mortel me montait au cœur. Un voile passa devant mes yeux… Et je restai là, impassible, et nous continuâmes à causer de nos souvenirs d’Océanie.

Et moi aussi, à la lumière gaie des lampes reflétée par les glaces, au bruit joyeux des conversations, des rires, des toasts britanniques et des verres entrechoqués, je participais au concert général des banalités et des inepties ; comme eux, je disais d’un ton dégagé :

C’est un beau pays que l’Océanie ; de belles créatures, les Tahitiennes ; pas de régularité grecque dans les traits, mais une beauté originale qui plaît plus encore, et des formes antiques… Au fond, des femmes incomplètes qu’on aime à l’égal des beaux fruits, de l’eau fraîche et des belles fleurs.

« J’ai vu Tahiti trop délicieuse et trop étrange, à travers le prisme enchanteur de mon extrême jeunesse… En somme, un charmant pays quand on a vingt ans ; mais s’en lasse vite, et le mieux est peut-être de ne pas y revenir à trente.

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