Je sentis qu’un froid mortel me montait au cœur. Une voile passa devant mes yeux…
Ma pauvre petite amie sauvage !… Souvent en m’éveillant la nuit je la revoyais encore ; – malgré tout, je retrouvais son image, avec je ne sais quelle douceur triste, quelle espérance vague, avec je ne sais quelles idées de pardon et de rédemption, – et tout était fini dans la fange, dans l’abîme de l’éternel néant !…
Je sentis qu’un froid mortel me montait au cœur. – Un voile passa devant mes yeux… Et je restai là, impassible, – et nous continuâmes à causer de nos souvenirs d’Océanie.
Et moi aussi, à la lumière gaie des lampes reflétée par les glaces, au bruit joyeux des conversations, des rires, des toasts britanniques et des verres entrechoqués, – je participais au concert général des banalités et des inepties ; comme eux, je disais d’un ton dégagé :
– C’est un beau pays que l’Océanie ; – de belles créatures, les Tahitiennes ; – pas de régularité grecque dans les traits, mais une beauté originale qui plaît plus encore, et des formes antiques… Au fond, des femmes incomplètes qu’on aime à l’égal des beaux fruits, de l’eau fraîche et des belles fleurs.
« J’ai vu Tahiti trop délicieuse et trop étrange, à travers le prisme enchanteur de mon extrême jeunesse… En somme, un charmant pays quand on a vingt ans ; mais s’en lasse vite, et le mieux est peut-être de ne pas y revenir à trente.
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