Les mains de Fatou, qui étaient d’un beau noir au dehors, avaient le dedans rose.
Longtemps cela avait fait peur au spahi : il n’aimait pas voir le dedans des mains de Fatou, qui lui causait, malgré lui, une vilaine impression froide de pattes de singe.
Ces mains étaient pourtant petites, délicates – et reliées au bras rond par un poignet très fin. – Mais cette décoloration intérieure, ces doigts teintés mi-partie, avaient quelque chose de pas humain qui était effrayant.
Cela, et certaines intonations d’un fausset étrange qui lui échappaient quelquefois quand elle était très animée ; cela et certaines poses, certains gestes inquiétants ; cela rappelait de mystérieuses ressemblances qui troublaient l’imagination…
A la longue pourtant, Jean s’y était habitué, et ne s’en préoccupait plus. Dans les moments où Fatou lui semblait gentille et où il l’aimait encore, il l’appelait même, en riant, d’un bizarre nom yolof qui signifiait : petite fille singe.
Elle était très mortifiée, Fatou, de ce nom d’amitié, et prenait alors des airs posés, des mines sérieuses qui amusaient le spahi.
Un jour – (il faisait exceptionnellement beau ce jour-là : un temps presque doux, avec un ciel très pur), – un jour Fritz Muller, qui se rendait en visite chez Jean, était monté sans bruit et s’était arrêté sur le seuil.
Là, il se divertit beaucoup, en assistant de la porte à la scène suivante :
Jean, souriant d’un bon sourire d’enfant qui s’amuse, paraissait examiner Fatou avec une attention extrême, – lui étirant les bras, la retournant, l’inspectant sans rien dire sur toutes ses faces ; – et puis tout à coup, d’un air convaincu, il exprimait ainsi ses conclusions :
– Toi tout â fait même chose comme singe !…
Et Fatou, très vexée
– Ah !
Tjean ! Toi n’y a pas dire ça, mon blanc ! D’abord, singe, lui, n’y a pas connaît manière pour parler, – et moi connais très bien !
Alors Fritz Muller partit d’un grand éclat de rire, – et puis Jean aussi, en voyant surtout l’air digne et comme il faut que Fatou-gaye s’efforça de prendre, afin de protester par son maintien contre ces conclusions impolies.
– Très joli petit singe, dans tous les cas ! dit Muller, qui admirait beaucoup la beauté de Fatou. – (Il avait longtemps habité le pays noir et s’y connaissait en belles filles du Soudan.)
– Très joli petit singe !
Si tous ceux des bois de Galam étaient pareils, on pourrait encore s’acclimater dans ce pays maudit, qui n’a sûrement jamais reçu la visite du bon Dieu !