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En Galam !… Qui comprendra tout ce que ces mots peuvent éveiller d’échos mystérieux au fond d’une âme nègre exilée !

La première fois que Jean avait demandé à Fatou (il y avait bien longtemps de cela, – c’était dans la maison de sa maîtresse) :

– D’où es-tu, toi, petite ?

Fatou avait répondu d’une voix émue :

– Du pays de Galam…

Pauvres nègres du Soudan, exilés, chassés du village natal par les grandes guerres ou les grandes famines, par toutes les grandes dévastations de ces contrées primitives ! – Vendus, emmenés en esclavage, – quelquefois ils ont parcouru à pied, sous le fouet du maître, des étendues de pays plus profondes que l’Europe entière ; – mais au fond de leur cœur noir, l’image de la patrie est demeurée gravée, ineffaçable…

C’est quelquefois la lointaine Tombouctou, ou Ségou-Koro, mirant dans le Niger ses grands palais de terre blanche ; – ou simplement un pauvre petit village de paille, qui était perdu quelque part dans le désert, ou bien caché dans quelque pli ignoré des montagnes du Sud, – et dont le passage du conquérant a fait un tas de cendres et un charnier pour les vautours…

– En Galam !… mots répétés avec recueillement et mystère.

– En Galam, disait Fatou, Tjean, un jour je t’emmènerai avec moi, en Galam !…

Vieille terre sacrée de Galam, que Fatou retrouvait en fermant les yeux ; – terre de Galam ! pays de l’or et de l’ivoire, pays où, dans l’eau tiède, dorment les caïmans gris, à l’ombre des hauts palétuviers, – où l’éléphant qui court dans les forêts profondes frappe lourdement le sol de son pied rapide !

Jean en avait rêvé autrefois, de ce pays de Galam. – Fatou lui en avait fait des récits très extraordinaires, qui avaient excité son imagination accessible au prestige du nouveau et de l’inconnu. – A présent, c’était passé ; sa curiosité sur tout ce pays d’Afrique s’était émoussée et lassée ; il aimait mieux continuer à Saint-Louis sa vie monotone et être là tout prêt, pour ce moment bienheureux où il s’en retournerait dans ses Cévennes.

Et puis s’en aller là-bas, dans ce pays de Fatou, – si loin de la mer, qui est encore une chose froide, d’où viennent des brises rafraîchissantes, – qui, surtout, est la voie par où l’on communique avec le reste du monde ; s’en aller dans ce pays de Galam, où l’air devait être plus chaud et plus lourd ; – s’enfoncer dans ces étouffements de l’intérieur. Non, il n’y tenait plus ; il eût refusé à présent si on lui eût proposé d’aller voir ce qui se passait en Galam. Il rêvait de son pays à lui, de ses montagnes et de ses fraîches rivières. Rien que de songer au pays de Fatou, cela lui donnait plus chaud et lui faisait mal à la tête…

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