Fatou ne pouvait apercevoir un ngabou (un hippopotame) sans courir les risques de tomber raide morte ; – c’était un sort jeté jadis sur sa famille par un sorcier du pays de Galam ; – on avait essayé de tous les moyens pour le conjurer. Elle avait dans ses ascendants de nombreux exemples de personnes ainsi tombées raides, au seul aspect de ces grosses bêtes, et ce maléfice les poursuivait sans merci depuis plusieurs générations.
C’est, du reste, un genre de sort assez fréquent dans le Soudan certaines famille ne peuvent voir le lion ; d’autres, le lamantin ; d’autres, – les plus malheureuses, celles-là, – le caïman.
Et c’est une affliction d’autant plus grande, que les amulettes mêmes n’y peuvent rien.
On s’imagine les précautions auxquelles étaient astreints les ancêtres de Fatou dans le pays de Galam : éviter de se promener dans la campagne aux heures que les hippopotames affectionnent, et surtout n’approcher jamais des grands marais d’herbages où ils aiment à prendre leurs ébats.
Quant à Fatou, ayant appris que, dans certaine maison de Saint-Louis, vivait un jeune hippopotame apprivoisé, elle faisait toujours un détour enorme pour ne pas passer dans ce quartier, de peur de succomber à une terrible démangeaison de curiosité qu’elle avait d’aller voir le visage de cette bête, dont elle se faisait faire tous les jours par ses amies des descriptions minutieuses : – curiosité, comme on le devine sans peine, qui tenait, elle aussi, du maléfice.