Jean courut au quartier et jeta au premier venu le pli qui lui était confié ; – puis il s’en alla, et commença au hasard une course rapide et sans but ; – c’était sa manière à lui d’étouffer sa douleur.
Il passa le pont de Guet-n’dar et tourna au sud vers la pointe de Barbarie, comme la nuit où, quatre ans auparavant, il avait quitté en désespéré la maison de Cora…
Mais, cette fois, son désespoir était un désespoir d’homme, profond et suprême, – et sa vie était brisée…
Il marcha longtemps vers le sud, perdant de vue Saint-Louis et les villages noirs, – et s’assit exténué, au pied d’un monticule de sable qui dominait la mer…
Ses idées étaient sans suite. – Tout ce soleil du jour l’avait affolé…
Il s’aperçut qu’il n’était encore jamais venu là – et se mit à promener autour de lui des regards distraits…
Ce monticule était tout hérissé de grands pieux bizarres, qui portaient des inscriptions dans la langue des prêtres du Maghreb. – Des ossements blanchis gisaient pêle-mêle, déterrés jadis par les chacals. – Il y avait aussi quelques branches de verdure, comme perdues au milieu de l’aridité absolue ; – c’étaient des guirlandes de liserons d’une grande fraîcheur, qui couraient au milieu des vieux crânes, des vieux bras, des vieilles jambes, ouvrant çà et là leurs larges calices roses…
De loin en loin, d’autres monticules funéraires s’élevaient dans la plaine unie, avec des aspects lugubres.
Sur les plages se promenaient de grandes troupes de pélicans d’un blanc rosé, auxquels le mirage crépusculaire prêtait dans le lointain des formes régulières, des dimensions invraisemblables…
Le soir était arrivé, le soleil était descendu dans l’océan, et un vent plus frais soufflait du large…
Jean prit la lettre de sa mère, et recommença à la lire…
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« …Maintenant, mon fils, il est venu hier à Peyral une idée qui nous fait peur : c’est que tu ne voudras plus revenir au pays, et qu tu resteras en Afrique.
« Nous sommes bien vieux tous les deux ; mon bon Jean, mon cher fils, ta pauvre mère t’en supplie à genoux, que cela ne t’empêche pas d’être sage et de nous revenir bientôt comme nous t’attendions… Autrement, j’aimerais mieux mourir tout de suite, et Peyral aussi… »
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Alors, le pauvre Jean sentit son cœur se briser, – des sanglots soulevèrent sa poitrine, et toute sa révolte se fondit dans les larmes…