C’était l’heure de la grande mélancolie du soir. Le coucher du soleil amenait dans ce village perdu une animation originale. Les bergers noirs faisaient rentrer leurs troupeaux ; les hommes de la tribu, s’apprêtant au combat, aiguisaient leurs couteaux de guerre, fourbissaient leurs fusils préhistoriques ; les femmes préparaient des provisions de kousskouss pour l’armée ; elles trayaient leurs brebis et leurs maigres femelles de zébus. On entendait un murmure confus de voix nègres, auquel les chèvres mêlaient leurs notes tremblantes, et les chiens laobés leurs aboiements plaintifs…
Et Jean, le cœur serré de solitude, vint s’asseoir auprès d’elle et prit son enfant sur ses genoux, – attendri devant sa famille noire, heureuse encore, et ému de trouver à Dialdé en Galam quelqu’un qui l’aimât.
A côté d’eux, des griots répétaient des chants de guerre ; ils chantaient doucement, avec des voix de fausset tristes et s’accompagnaient sur de petites guitares primitives, à deux cordes tendues sur des peaux de serpent, qui faisaient un maigre bruit de sauterelles ; – ils chantaient de ces airs d’Afrique qui s’harmonisent bien avec la désolation de ce pays, – qui ont leur charme, – avec leur rythme insaisissable et leur monotonie…
C’était un délicieux bébé que le fils de Jean, mais il était très sérieux, et rarement on le voyait sourire. Il était habillé d’un boubou bleu et d’un collier, comme un enfant yoloff ; mais sa tête n’était pas rasée avec de petites queues, ainsi que c’est l’usage pour les enfants du pays ; comme il était un petit blanc, sa mère avait laissé pousser ses cheveux frisés, dont une boucle retombait sur son front comme chez le spahi…
Jean resta là longtemps, assis à la porte du blockhaus, à jouer avec son fils. Et les dernières lueurs du jour éclairaient ce tableau d’un caractère singulièrement remarquable : l’enfant avec sa petite figure d’ange, – le spahi avec sa belle tête de guerrier, jouant tous deux à côté de ces sinistres musiciens noirs. Fatou-gaye était assise à leurs pieds ; elle les contemplait l’un et l’autre avec adoration, par terre devant eux, comme un chien couché aux pieds de ses maîtres ; elle était comme en extase devant la beauté de Jean, qui avait recommencé à lui sourire…
Il était resté bien enfant, le pauvre Jean, comme cela arrive presque toujours aux jeunes hommes qui ont mené la vie rude, et auxquels un développement physique précoce a donné de bonne heure l’air mûr et très sérieux. Il faisait sauter son fils sur ses genoux avec une gaucherie de soldat, – et riait à tout instant d’un rire frais et jeune… Mais il ne voulait pas beaucoup rire, lui, le fils du spahi ; il passait ses bras ronds autour du cou de son père, se serrait contre sa poitrine, – et regardait tout d’un air très grave… La nuit venue, Jean les installa tous deux en sécurité dans l’intérieur du blockhaus, – puis il donna à Fatou-gaye tout l’argent qui lui restait, – trois khâliss, quinze francs !…
– Tiens, dit-il, demain matin tu achètera du kousskouss pour toi, – et du bon lait pour lui…
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