XX

Ensuite il prit le chemin du campement, pour aller, lui aussi, s’étendre et dormir.

Il fallait passer par le camp allié des Bambaras pour gagner les tentes françaises. La nuit était transparente et lumineuse, avec partout des bruissements d’insectes ; on sentait qu’il y en avait des milliers et des milliers, de grillons et de cigales, sous toutes les herbes, dans tous les petits trous de sable ; parfois cet ensemble de bruissements s’enflait, devenait strident, assourdissant, – comme si toute l’étendue de ce pays eût été couverte d’un nombre infini de petites sonnettes et de petites crécelles ; – et puis, par instants, cela semblait s’apaiser, comme si tous les grillons se fussent donné le mot pour chanter plus bas ; cela semblait s’éteindre.

Jean s’en allait en songeant ; il était très rêveur, ce soir-là… Et, tout en rêvant, sans regarder devant ses pas il se trouva englobé tout à coup dans une grande ronde qui tournoyait autour de lui en cadence.

(La ronde est la danse aimée des Bambaras.)

C’étaient des hommes de très haute taille, ces danseurs, qui avaient de longues robes blanches et de hauts turbans, blancs aussi, à deux cornes noires.

Et, dans la nuit transparente, la ronde tournait presque sans bruit, – lente, mais légère comme une ronde d’esprits ; – avec des frôlements de draperies flottantes, comme des frôlements de plumes de grands oiseaux…

Et les danseurs prenaient tous ensemble des poses diverses : sur la pointe d’un pied, se penchant en avant ou en arrière ; lançant tous en même temps leurs longs bras, qui déployaient, comme des ailes transparentes, les mille plis de leurs vêtements de mousseline.

Le tam-tam battait doucement, comme en sourdine ; les flûtes tristes et les trompes d’ivoire avaient des sons voilés et comme lointains. Une musique monotone, qui semblait une incantation magique, menait la danse ronde des Bambaras.

Et, en passant devant le spahi, ils inclinaient la tête tous en signe de reconnaissance ; – en souriant, disaient :

– Tjean ! entre dans la ronde !…

Jean aussi les reconnaissait presque tous sous leurs vêtements de luxe des spahis noirs ou des tirailleurs, qui avaient repris le long boubou blanc, et s’étaient coiffés de la temba-sembé des fêtes.

En souriant, il leur disait au passage : « Bonsoir, Niodagal. – Bonsoir, Imobé-Fafandoul – Bonsoir, Dempa-Taco et Samba-Fail ! – Bonsoir, grand Nyaor ! » – Nyaor était là, lui aussi, un des plus grands et des plus beaux…

Mais il pressait le pas tout de même, Jean, pour sortir de ces longues chaînes de danseurs blancs, qui se dénouaient et se renouaient toujours autour de lui… Cela l’impressionnait, la nuit, cette danse, – et cette musique qui semblait n’être pas une musique de ce monde.

………………………

Et, en disant toujours : « Tjean ! entre dans la ronde ! » ils continuaient de passer autour de lui comme des visions, s’amusant à entourer le spahi, faisant exprès d’allonger leur chaîne tournante, pour l’empêcher d’en sortir…

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