Quand le spahi fut couché sous sa tente, il se mit à bâtir dans sa tête une foule de plans nouveaux.
Certes il allait retourner d’abord voir ses vieux parents ; rien ne lui ferait différer ce départ.
Mais, après, il lui faudrait bien revenir en Afrique, à présent qu’il y avait un fils… Il sentait bien qu’il l’aimait déjà de tout son cœur, ce petit enfant, et que pour rien au monde il ne pourrait se décider à l’abandonner…
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Au dehors, dans le camp des Bambaras, on entendait, à intervalles réguliers, la voix des griots qui chantaient, sur trois notes lamentables, le cri de guerre consacré. Ils jetaient ce chant de hibou sur les tentes endormies, et berçaient le premier sommeil des guerriers noirs en leur recommandant d’être braves et de mettre dans leurs carabines plusieurs balles à la fois quand viendrait le jour du combat… On sentait que ce jour approchait, et que Boubakar-Ségou n’était pas loin.
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Que faire à Saint-Louis, quand il y viendrait retrouver son petit enfant, après son congé terminé ?… Se rengagerait-il ou bien tenterait-il la fortune par quelque procédé aventureux ?…
Traitant du fleuve peut-être ? – Mais non, il se sentait un éloignement invincible pour tout autre métier que celui des champs ou celui des armes.
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Tous les bruits de la vie s’étaient éteints maintenant dans le village de Dialdé, et le campement, lui aussi, était silencieux. On entendait au loin la voix du lion, – et, par instants, le cri le plus lugubre qu’il y ait au monde le glapissement du chacal. C’était comme un accompagnement funèbre aux rêves du pauvre spahi !…
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C’est égal, la présence de ce petit enfant changeait bien tous ses projets, – et compliquait beaucoup pour lui toutes les difficultés de l’avenir…
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– Tjean !… entre dans la ronde !…
Jean dormait à demi, fatigué par ses longues courses du jour, – et tout en songeant à son avenir, – en rêve il voyait encore tournoyer lentement autour de lui, la ronde des Bambaras. Ils passaient et repassaient avec des gestes mous, des attitudes mourantes, – au son d’une musique indécise qui n’était plus de la Terre.
– Tjean !… entre dans la ronde !…
Leurs têtes, qui se penchaient pour saluer Jean, semblaient fléchir sous le poids de leurs hautes coiffures de fête… Maintenant, c’étaient même des figures grimaçantes, des figures mortes qui s’inclinaient avec des airs de connaissance, et disaient tout bas, avec des sourires de fantômes : « Tjean !… entre dans la ronde !… »
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Et puis, la fatigue vint peu à peu achever d’engourdir la tête de Jean, – et il s’endormit d’un profond sommeil sans rêves, – avant d’avoir rien décidé…