Le samedi 7 octobre, dernier jour du Bosphore, il reçut un mot de Djénane le prévenant que Mélek avait toujours plus de fièvre, que les aïeules étaient inquiètes, et que l’on rentrait en ville aujourd’hui même pour une consultation de médecins.
Toutes les ambassades aussi pliaient bagage. André brusqua ses préparatifs de départ, pour avoir le temps de passer encore une fois sur la rive d’Asie, en face, avant la tombée de la nuit, et faire ses adieux à la Vallée-du-Grand-Seigneur. Il y arriva tard, sous un ciel où couraient de gros nuages sombres qui jetaient en passant des gouttes de pluie. La vallée était déserte et, depuis la veille, les petits cafés sous les arbres avaient déménagé. Il dit adieu à deux ou trois humbles âmes en turban qui habitaient là dans des cabanes ; – ensuite à un bon chien jaune et un bon chat gris, petites âmes aussi de cette vallée, qu’il avait connues pendant deux saisons et qui semblaient comprendre son définitif départ. Et puis il refit, au petit pas de funérailles, le tour de ces tranquilles prairies encloses, désertes ce soir, mais où les voiles de ses amies avaient si souvent frôlé l’herbe fine et les fleurs violettes des colchiques. Et cette promenade le retint jusqu’à l’heure semi-obscure où les étoiles s’allument et où commencent de s’entendre les premiers aboiements des chiens errants. Au retour de ce pèlerinage, quand il se retrouva sous les énormes platanes de l’entrée, qui forment là une sorte de bocage sacré, il faisait déjà vraiment noir, et les pieds butaient contre les racines, allongées comme des serpents sous les amas de feuilles mortes. Dans l’obscurité, il revint au petit embarcadère, dont chaque pavé de granit lui était familier, et monta en caïque pour regagner la côte d’Europe.