CHAPITRE XXXIV

Les personnes qui n'approuveront pas ma dissertation sur la patrie doivent être prévenues que depuis quelque temps le sommeil s'emparait de moi, malgré les efforts que je faisais pour le combattre. Cependant je ne suis pas bien sûr maintenant si je m'endormis alors tout de bon, et si les choses extraordinaires que je vais raconter furent l'effet d'un rêve ou d'une vision surnaturelle.

Je vis descendre du ciel un nuage brillant qui s'approchait de moi peu à peu, et qui recouvrait comme d'un voile transparent une jeune personne de vingt-deux à vingt-trois ans. Je chercherais vainement des expressions pour décrire le sentiment que son aspect me fit éprouver. Sa physionomie, rayonnante de beauté et de bienveillance, avait le charme des illusions de la jeunesse, et était douce comme les rêves de l'avenir ; son regard, son paisible sourire, tous ses traits, enfin, réalisaient à mes yeux l'être idéal que cherchait mon cœur depuis si longtemps, et que j'avais désespéré de rencontrer jamais.

Tandis que je la contemplais dans une extase délicieuse, je vis briller l'étoile polaire entre les boucles de sa chevelure noire, que soulevait le vent du nord, et au même instant des paroles consolatrices se firent entendre. Que dis-je ? des paroles ! c'était l'expression mystérieuse de la pensée céleste qui dévoilait l'avenir à mon intelligence, tandis que mes sens étaient enchaînés par le sommeil ; c'était une communication prophétique de l'astre favorable que je venais d'invoquer, et dont je vais tâcher d'exprimer le sens dans une langue humaine.

« Ta confiance en moi ne sera point trompée, disait une voix dont le timbre ressemblait au son des harpes éoliennes. Regarde, voici la compagne que je t'ai réservée ; voici le bien auquel aspirent vainement les hommes qui pensent que le bonheur est un calcul, et qui demandent à la terre ce qu'on ne peut obtenir que du ciel. »

A ces mots, le météore rentra dans la profondeur des cieux, l'aérienne divinité se perdit dans les brumes de l'horizon ; mais en s'éloignant elle jeta sur moi des regards qui remplirent mon cœur de confiance et d'espoir.

Aussitôt, brûlant de la suivre, je piquai des deux de toute ma force ; et, comme j'avais oublié de mettre des éperons, je frappai du talon droit contre l'angle d'une tuile avec tant de violence que la douleur me réveilla en sursaut.

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