II

Un déclic joua dans le silence, et le guichet de la sœur tourière s’entrebâilla. Antoine aperçut une manche de drap bleu, une main parcheminée où brillait une alliance.

– « Tout droit », murmura une bouche invisible ; « dans la cour, au bout du corridor. »

Le vestibule se prolongeait par un couloir carrelé, vide et miroitant, qui s’enfonçait dans les profondeurs muettes de l’Asile. Sur la gauche, groupées comme pour une figuration, deux vieilles, accroupies sur les premières marches d’un escalier, les épaules serrées dans des fichus de crochet noirs, jacassaient à voix retenue, penchées l’une vers l’autre.

La cour, aux trois quarts ensoleillée, était déserte. Une chapelle en occupait le fond. L’un des battants, ouvert, creusait dans la façade un rectangle d’ombre ; il s’en échappait des sons d’harmonium. Le service était commencé. Antoine approcha. Son regard, plongeant dans les ténèbres de la chapelle, aperçut une herse de petites flammes. Le dallage était plus bas que le sol de la cour ; il fallait descendre deux degrés. Antoine se faufila entre les employés des pompes funèbres qui obstruaient le passage. Le petit vaisseau était plein de monde. Il y régnait une fraîcheur de crypte. Avec effort, s’appuyant d’une main au bénitier, Antoine sehaussa sur ses pointes. Devant l’autel, la bière, mal recouverte d’un drap noir, reposait entre quatre cierges. Debout derrière cet humble catafalque, un nain à lunettes et à cheveux blancs se tenait, les bras croisés, auprès d’une infirmière agenouillée, dont le voile bleu cachait le visage ; elle tourna la tête, et Antoine reconnut le profil de Gise. « Sans parents, sans amis… Personne, que cet imbécile de Chasle… », songea-t-il. « J’ai bien fait de venir… Jenny n’est pas là… Ni Mme de Fontanin, ni Daniel. Tant mieux. Je dirai à Gise de ne pas leur annoncer ma présence à Paris : ça m’évitera d’avoir à aller à Maisons-Laffitte. » Il s’assura, une dernière fois, qu’il ne découvrait aucune figure de connaissance dans les quelques rangées de bancs où s’entassaient des vieilles femmes à fichus et quelques religieuses à larges cornettes. « Jamais je ne pourrai rester debout jusqu’à la fin… Sans compter qu’il fait presque froid là-dedans… » Comme il se disposait à sortir, les bancs craquèrent : l’assistance se levait pour se mettre à genoux. Le prêtre qui officiait se retourna, les mains levées, vers les fidèles. Antoine reconnut la haute stature, le front dégarni, de l’abbé Vécard.

Il remonta les marches, se retrouva dans la cour, avisa un banc au soleil, et alla s’y asseoir. Il souffrait d’un point douloureux entre les omoplates. Pourtant, ce long voyage en chemin de fer ne l’avait pas fatigué outre mesure ; il avait pu s’allonger, une partie de la nuit. Mais le trajet de la gare de Lyon au Point-du-Jour, dans un vieux taxi, sur le pavé rocailleux des quais, l’avait rompu.

« Un cercueil d’enfant », songea-t-il. « Si petite ! » Il la revoyait, trottinant à travers l’appartement de la rue de l’Université, ou bien, dans sa chambre, piquée à contre-jour au bord d’une chaise, devant son bureau de marqueterie, – son « meuble de famille », comme elle disait ; le seul souvenir qu’elle eût apporté avec elle lorsqu’elle était venue tenir la maison de M. Thibault. Elle y serrait l’argent du mois, dans un tiroir « à secret » ; elle y gardait toutes ses reliques ; elle y entassait ses réserves. C’était là qu’elle rangeait son jujube et ses factures, son papier à lettres et l’étui à vanille, les bouts de crayon jetés par M. Thibault, ses prospectus et ses recettes, son fil, ses aiguilles, ses boutons, sa mort aux rats et son taffetas gommé, ses sachets d’iris et son arnica, toutes les vieilles clefs de la maison, et ses paroissiens, et des photographies, et la pommade au concombre qui lui adoucissait la peau des mains et dont l’odeur fade, mêlée à celle de la vanille, à celle de l’iris, se répandait jusqu’au vestibule, dès que le bureau était ouvert. Longtemps, pour Antoine et pour Jacques enfants, ce bureau avait eu le prestige d’un trésor magique. Plus tard, Jacques et Gise l’avaient baptisé « la papeterie-mercerie du village », parce qu’il était comme ces bazars de campagne où l’on trouve de tout…

Un bruit de piétinement lui fit dresser la tête. Les hommes noirs avaient poussé le second battant, et ils déposaient des couronnes par terre, dans la cour. Antoine se leva.

L’office se terminait. Deux femmes de service en coutil, attelées à un grand panier à roulettes chargé de légumes, passèrent, les yeux baissés, et se hâtèrent de disparaître dans un des bâtiments qui encadraient la cour. Aux croisées du premier étage, les rideaux s’étaient soulevés, et de vieilles impotentes, en camisoles, s’installaient derrière les vitres. Les pensionnaires valides commençaient à sortir de la chapelle, et, clopin-clopant, se groupaient de chaque côté du portail. L’harmonium s’était tu. Une croix d’argent, un surplis, émergèrent de l’ombre. La bière apparut, portée par deux hommes. Des enfants de chœur suivaient, puis un vieux prêtre, puis l’abbé Vécard.

À son tour, Gise monta les marches et surgit dans la lumière. M. Chasle était derrière elle. Les porteurs s’étaient arrêtés pour laisser aux employés des pompes funèbres le temps de replacer les couronnes sur le cercueil. Les yeux de Gise étaient pleins de larmes et tournés vers la bière. Sur son visage recueilli, Antoine remarqua une expression de maturité qui le surprit : lorsqu’il songeait à elle, c’était toujours la gamine de quinze ans qu’il évoquait. « Elle ne m’a pas vu… Elle est bien loin de soupçonner que je suis là », se dit-il, un peu gêné de pouvoir l’examiner tout à son aise, sans qu’elle se doutât de rien. Il avait oublié qu’elle eût le teint aussi fortement bistré. « C’est ce liséré blanc sur le front qui doit faire paraître la peau plus sombre… »

M. Chasle, ganté de noir, tenait à la main un chapeau de forme antique ; il tendait le cou et remuait de droite et de gauche sa petite tête d’oiseau. Soudain, il aperçut Antoine et mit brusquement sa main sur sa bouche, comme pour étouffer un cri. Gise tourna les yeux ; son regard vint se poser sur Antoine. Elle le dévisagea deux secondes, comme si d’emblée elle ne le reconnaissait pas ; puis elle courut à lui et fondit en sanglots. Il la tenait embrassée, gauchement. Il vit les porteurs se remettre en marche, et se dégagea avec douceur.

– « Viens près de moi », souffla-t-elle. « Ne me quitte pas. »

Elle alla reprendre sa place, et il la suivit. M. Chasle les regardait venir, la mine effarée.

– « Ah, c’est vous ? » murmura-t-il, comme en rêve, lorsque Antoine lui tendit la main.

– « Le cimetière est loin ? » demanda Antoine à Gise.

– « Notre caveau est à Levallois… Il y a des voitures », répondit-elle à voix basse.

Le cortège traversa lentement la cour.

Un fourgon à deux chevaux attendait dans la rue. Des gens du quartier, des gamins, faisaient la haie sur le trottoir. Une sorte de coupé à trois places était juché sur le haut du vieux véhicule, comme un palanquin sur un éléphant. On y accédait par plusieurs marchepieds. Les trois places étaient réservées à Gise, à M. Chasle, et à l’ordonnateur de la cérémonie ; mais ce dernier, cédant son privilège à Antoine, grimpa sur le siège, près du cocher à bicorne. La voiture s’ébranla et partit au pas, brimbalant sur le pavé de banlieue. Les deux prêtres suivaient dans un landau de deuil.

Pour se hisser dans le coupé, Antoine avait dû faire une suite d’efforts qui lui avaient irrité les bronches. À peine assis, il fut secoué par une quinte de toux tenace, et dut rester, un bon moment, tête baissée, le mouchoir aux lèvres.

Gise était placée entre les deux hommes. Elle attendit que la quinte fût passée, et toucha le bras d’Antoine.

– « Tu es bon d’être venu. Je m’y attendais si peu !… »

– « Ah, il faut s’attendre à tout, en ces temps », soupira sentencieusement M. Chasle. Il s’était penché pour regarder Antoine tousser, et il continuait à le considérer, par-dessus ses lunettes. Il hocha la tête : « Excusez. J’ai eu du mal à vous remettre, tout à l’heure. C’est déroutant, n’est-ce pas, Mademoiselle Gise ? »

Antoine ne put se défendre d’une impression désagréable. Il fit bonne contenance, néanmoins :

– « Hé, oui… J’ai passablement maigri… L’ypérite !… »

Gise se tourna, effrayée soudain par cette voix caverneuse. Au premier instant, dans la cour, elle avait bien été frappée par l’aspect général d’Antoine ; mais elle ne l’avait guère examiné. Rien d’étonnant d’ailleurs à ce qu’il lui parût changé, après ces cinq ans d’absence, et sous cet uniforme. La pensée qu’il était peut-être plus atteint qu’elle n’avait cru l’effleurait maintenant. Elle n’avait jamais eu de détails sur cette intoxication. Elle le savait en traitement dans le Midi : « En voie de guérison », disaient les lettres…

– « L’ypérite ? », répéta M. Chasle, d’un air satisfait et connaisseur. « Parfaitement… Le gaz d’Ypres. Qu’on appelle aussi : moutarde… Une découverte du modernisme… » Il dévisageait toujours Antoine avec curiosité. « Ça vous a tout écorcé, ce gaz… Mais ça vous a donné la croix de guerre. Et avec deux palmes, jusqu’à plus ample informé… C’est glorieux. »

Gise jeta les yeux sur la tunique d’Antoine. Dans sa correspondance, il n’avait jamais soufflé mot de ces décorations.

– « Et tes médecins ? », hasarda-t-elle ; « Que disent-ils ? Pensent-ils te garder longtemps encore dans leur clinique ? »

– « Les progrès, sont lents », avoua Antoine. Il s’efforça de sourire. Il voulut ajouter quelque chose, respira profondément, mais se tut : les chevaux s’étaient mis à trotter, et les secousses lui coupaient le souffle.

– « Nous vendons tout le nécessaire, et aussi le masque, bien entendu, à notre comptoir des Inventions », débita, tout d’un trait, M. Chasle, avec un rictus engageant.

Gise voulut dire un mot aimable :

– « Ça marche, votre commerce, Monsieur Chasle ? Vous êtes content ? »

– « Ça marche, euh, ça marche… Comme tout, en ces temps, Mademoiselle Gise ! Il faut s’adapter. On nous a mobilisé tous nos inventeurs, vous comprenez ; et, au front, dame, ils ne font plus rien d’utile… De temps à autre, il y en a un qui a une idée. Par exemple, notre Jeu de l’Oie des Alliés, qui vient de sortir… Portatif… Vignettes empruntées aux opérations : la Marne, les Éparges, Douaumont… Très apprécié dans les tranchées… Il faut s’adapter, Mademoiselle Gise… »

« Toi, en tout cas, tu n’as pas changé », pensa Antoine.

Le fourgon, pour aller du Point-du-Jour à Levallois, avait pris les boulevards extérieurs. Cette journée de dimanche s’annonçait lumineuse et gaie. Le soleil était déjà chaud. Sur les fortifications, des soldats flânaient. À la porte Dauphine, des Parisiennes, en robes claires, gagnaient le Bois, avec des enfants, des chiens ; et le long des trottoirs, des voitures des quatre saisons stationnaient, chargées de fleurs. Comme autrefois.

– « De quoi… Mademoiselle… est-elle morte ? » demanda Antoine, d’une voix brisée par les cahots.

Gise se tourna avec empressement :

– « De quoi ? Pauvre tante… Elle était usée, comme on dit. L’estomac, les reins, le cœur. Depuis des semaines, elle ne digérait rien. La dernière nuit, le cœur a brusquement flanché. » Elle se tut, quelques secondes. « Tu n’imagines pas à quel point son caractère s’était modifié, depuis qu’elle était à l’Asile… Elle ne s’intéressait plus qu’à elle… Son régime, son bien-être, sa Caisse d’épargne… Elle tyrannisait les bonnes, les religieuses… Mais oui ! Elle se plaignait de tout, elle se croyait persécutée. Elle a été jusqu’à accuser une voisine de l’avoir volée : toute une histoire… Elle restait des jours entiers sans boire, persuadée que les sœurs cherchaient à l’empoisonner !… »

Elle se tut de nouveau, et il y eut un silence. Elle s’expliquait mal le mutisme d’Antoine ; elle l’interprétait comme un reproche. Car elle était, depuis ces derniers jours, la proie de ses scrupules : elle ne cessait de se demander si elle avait bien fait pour sa tante tout ce qu’elle devait. « Elle m’a entièrement élevée », se disait-elle ; « et moi, dès que j’ai pu la quitter, je l’ai fait ; et c’est à peine si j’allais la visiter, à son Asile… »

– « À Maisons », reprit-elle, élevant un peu la voix, comme pour se disculper, « nous sommes tellement prises par notre hôpital !… Tu comprends, cela m’était très difficile de venir. Ces derniers mois, surtout, j’étais restée longtemps sans la voir. Et puis, le mois dernier, la Supérieure m’a écrit, et je suis arrivée tout de suite. Je n’oublierai jamais… Pauvre tante… Je l’ai trouvée au fond du cabinet où elle rangeait ses robes, assise sur une malle, en chemise et en jupon, l’air égaré, son bonnet de treillis blanc sur ses bandeaux, un bas mis, l’autre jambe nue. Elle était déjà squelettique. Le front bombé, les joues creuses, un cou décharné… Mais la jambe était restée étonnamment jeune, fraîche même : une jambe de petite fille… Elle ne m’a pas demandé de mes nouvelles ni de personne. Elle s’est mise à se plaindre de ses voisines, des sœurs. Et puis elle a été ouvrir son bureau, tu sais ? Elle voulait me montrer le tiroir où elle cachait ses économies, “pour payer le service”. Alors, elle a commencé à parler de son enterrement : “Tu ne me reverras pas. Je serai morte.” Et puis, elle m’a dit : “Mais, n’aie pas peur : je dirai à la Supérieure de t’envoyer quand même tes étrennes.” J’ai essayé de plaisanter : “Mais, ma tante, voilà des années que tu dis que tu vas mourir !” Elle s’est fâchée : “Je veux mourir ! Ça me fatigue de vivre !” Et puis, elle a regardé sa jambe : “Vois, comme j’ai le pied mignon. Toi, tu as toujours eu des pattes de garçon !” Au moment de partir, j’ai voulu l’embrasser, mais elle s’est débattue : “Ne m’embrasse pas. Je sens mauvais, je sens le vieux… Et c’est alors qu’elle a parlé de toi. J’étais à la porte ; elle m’a rappelée : “Tu sais, j’ai perdu six dents ! Cueillies, comme ça, comme des radis !” Et elle s’est mise à rire, gaiement, de son petit rire, tu sais ? “Six dents ! Dis-le à Antoine… Et qu’il se dépêche, s’il veut me revoir !”

Antoine écoutait. Non sans émotion : il éprouvait maintenant une sorte de curiosité pour les histoires de maladie, de mort. D’autre part, ce bavardage le dispensait de parler.

– « Et ç’a été ta dernière visite ? »

– « Non. Il y a une dizaine de jours, je suis revenue. On m’avait écrit qu’elle avait reçu les sacrements. La chambre était obscure. Elle ne supportait plus la lumière du jour… Sœur Marthe m’a conduite jusqu’au lit. Ma tante était pelotonnée sous l’édredon, minuscule… La sœur a essayé de la tirer de sa torpeur : “C’est votre petite Gise !” L’édredon a fini par remuer. Je ne sais pas si elle a compris, si elle m’a reconnue. Elle a dit très distinctement : “C’est long !” Et, un instant après : “Quoi de nouveau, cette guerre ?” Je lui ai parlé, mais elle ne répondait pas, elle ne paraissait pas comprendre. Elle m’a interrompue, à plusieurs reprises : “Alors ? Quoi de nouveau ?” Quand j’ai voulu l’embrasser sur le front, elle m’a repoussée : “Je ne veux pas qu’on me décoiffe !” Pauvre tante… Je ne veux pas qu’on me décoiffe, le dernier mot que j’aie entendu d’elle… »

M. Chasle s’essuya les yeux avec son mouchoir. Puis il replia soigneusement le mouchoir dans ses plis, et marmotta entre ses dents, avec un accent de réprobation :

– « Ça, il ne fallait pas… Il ne fallait pas qu’on la décoiffe ! »

Gise baissa rapidement la tête, et un sourire involontaire, jeune et malicieux, passa, comme un éclair, sur son visage. Antoine surprit ce sourire, et Gise lui redevint tout à coup très proche ; il eut envie de l’appeler « Nigrette », et de la taquiner, comme autrefois.

La voiture franchit la grille de la porte Champerret, et s’arrêta pour des formalités. Sur la place, stationnaient des autos-canons de défense aérienne, des autos-mitrailleuses, des projecteurs gardés par des sentinelles et recouverts de bâches camouflées.

Lorsque le cortège eut repris sa marche et se fut engagé dans les rues populeuses de Levallois, M. Chasle poussa un soupir :

– « Ah !… Quand même, elle a été heureuse, à l’Asile de l’Âge Mûr, la bonne Mademoiselle ! C’est ça que je cherche, moi, Monsieur Antoine : un asile d’hommes ; mais bien conditionné… Et alors, on serait tranquille… On n’aurait plus à s’occuper de ce qui se fait… » Il retira ses lunettes pour les essuyer. Ses yeux, débarrassés de leurs verres, avaient un regard clignotant, pathétique et doux. « Je leur laisserais la rente que j’ai de Monsieur votre père », reprit-il, « et je serais à l’abri, pour jusqu’à la fin… Je pourrais dormir le matin, je pourrais penser à mes choses… J’en ai visité un, à Lagny. Mais, pour ces temps, c’est-trop à l’Est. Est-ce qu’on peut être sûr de rien, avec ces Boches ? Et puis, leurs caves, non ; ça n’est pas des vraies caves. Et il faut de vraies caves, en ces temps… » Il prononçait : en ces temps, d’une voix craintive, en soulevant devant lui, comme pour écarter des présages néfastes, ses mains gantées de noir : des gants de Suède, râpés, trop longs, et dont la peau racornie se recroquevillait au bout des doigts en tortillons répugnants, pareils à des bigorneaux.

Antoine et Gise se taisaient. Ils n’avaient plus envie de sourire.

– « Rien n’est sûr, on n’a plus de tranquillité nulle part », reprit plaintivement le bonhomme. « On n’a plus de tranquillité que les nuits d’alerte, quand on peut avoir une vraie cave… Là, c’est sûr… Au 19, en face de chez moi, j’en ai une, de cave, une vraie… » Il se tut un instant, parce qu’Antoine toussait. Puis, il conclut : « Les nuits de cave, Monsieur Antoine, en ces temps, voyez-vous, c’est encore le meilleur ! »

Les chevaux s’étaient mis au pas pour longer un grand mur…

– « Ce doit être ici », dit Gise.

– « Et, après, où vas-tu ? » demanda Antoine. Il s’appuyait fortement des épaules au dossier de la guimbarde, pour atténuer les secousses qui lui labouraient les côtes.

– « Mais, rue de l’Université, chez toi… J’y couche, depuis avant-hier… Le fourgon doit m’y reconduire, c’est convenu dans le prix. »

– « Nous tâcherons plutôt de trouver un bon taxi », dit-il, en souriant. Depuis qu’il était grimpé dans le palanquin, il souffrait autant d’être obligé d’y rester qu’il appréhendait d’avoir à en descendre. Aussi, pour le retour, était-il bien résolu à chercher un autre mode de locomotion.

Elle le regarda, surprise. Mais elle ne demanda aucune explication.

D’ailleurs, la voiture venait de franchir le seuil du cimetière.

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