(XXe DYNASTIE)
Ils nous ont été conservés sur quatre tessons de pot, dont un est aujourd’hui au Louvre et un autre au Musée de Vienne ; les deux derniers sont au Musée Égyptien de Florence.
L’Ostracon de Paris est formé de deux morceaux recollés ensemble et portant les débris de onze lignes. Il a été traduit, mais non publié, par Devéria, Catalogue des manuscrits égyptiens du Musée du Louvre, Paris, 1872, p. 208, et le cartouche qu’il renferme étudié par Lincke, Ueber einem noch nicht erklärten Königsnamen auf einem Ostracon des Louvre, dans le Recueil de Travaux relatifs à la philologie et à l’archéologie Égyptienne et Assyrienne, 1880, t. II, p. 85.89. Cinq lignes du texte ont été publiées en fac-similé cursif par Lauth, qui lit le nom royal Râ-Hap-Amh et le place dans la IVe dynastie (Manetho und der Turiner Königspapyrus ; p. 187) ; enfin l’ensemble a été donné par Spiegelberg, Varia, dans le Recueil des Travaux, t. XVI, p. 31-32. Les deux fragments de Florence portent, sur le Catalogue de Migliarini, les numéros 2616 et 2617. Ils ont été photographiés en 1876 par Golénicheff, puis transcrits d’une manière incomplète par Erman dans la Zeitschrift (1880, 3e fasc.), enfin publiés en fac-similé, transcrits et traduits par Golénicheff, Notice sur un Ostracon hiératique du Musée de Florence (avec deux planches), dans le Recueil, 1881, t. III, p. 3-7. J’ai joint au mémoire de Golénicheff une note (Recueil, t. III, p. 7) qui renferme quelques corrections sans grande importance. Les deux fragments de Florence ne donnent en réalité qu’un seul texte, car l’Ostracon 2617 paraît n’être que la copie de l’Ostracon 2616. Enfin l’Ostracon de Vienne a été découvert, publié et traduit par E. de Bergmann, dans ses Hieratische und Hieratisch-Demotische Texte der Sammlung Ægyptischer Alterthümer des Allerhöchsten Kaiserhauses, Vienne, 1886, pl. IV, p. VI. Il est brisé par le milieu et la moitié de chaque ligne a disparu.
Il est impossible de deviner quelle était la donnée principale du conte. Plusieurs personnages y jouaient un rôle, un grand-prêtre d’Amon Thébain, Khonsoumhabi, trois hommes sans nom, et un revenant qui parle en fort bons termes de sa vie d’autrefois. L’Ostracon de Paris paraît nous avoir conservé un fragment du début. Le grand-prêtre Khonsoumhabi semble préoccupé de l’idée de trouver un emplacement convenable pour son tombeau.
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Il envoya un de ses subordonnés à l’endroit où s’élevait le tombeau du roi de la Haute et de la Basse-Égypte, Râhotpou, v. s. f., et avec lui des gens sous les ordres du grand-prêtre d’Amonrâ, roi des dieux, trois hommes, en tout quatre hommes : celui-ci s’embarqua avec eux, il navigua, il les amena à l’endroit indiqué, auprès du tombeau du roi Râhotpou, v. s. f. Ils s’en approchèrent avec elle, ils y pénétrèrent : elle adora vingt-cinq… dans la royale… contrée, puis, ils vinrent au rivage, et ils naviguèrent vers Khonsoumhabi, le grand-prêtre d’Amonrâ, roi des dieux, et ils le trouvèrent qui chantait les louanges du dieu dans le temple de la ville d’Amon.
Il leur dit : « Réjouissons-nous, car je suis venu et j’ai trouvé le lieu favorable pour y établir mon séjour à perpétuité ! » Les trois hommes lui dirent d’une seule bouche : « Il est trouvé le lieu favorable pour y établir ton séjour à perpétuité », et ils s’assirent devant elle, et elle passa un jour heureux, et son cœur se donna à la joie. Puis il leur dit : « Soyez prêts demain matin, quand le disque solaire sortira des deux horizons ». Il ordonna au lieutenant du temple d’Amon de loger ces gens-là, il dit à chacun d’eux ce qu’il avait à faire et il les fit revenir se coucher dans la ville, le soir. Il établit…
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Dans les fragments de Florence, le grand-prêtre se trouve en tête-à-tête avec le revenant, et peut-être est-ce en faisant creuser le tombeau plus ancien, dont les hôtes se sont mis à causer avec lui, de la même façon que les momies de Nénoferképhtah avec le prince Satni-Khâmoîs. Au point où nous prenons le texte, une des momies semble raconter sa vie terrestre au premier prophète d’Amon.
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« Je grandissais et je ne voyais pas les rayons du soleil, et je ne respirais pas le souffle de l’air, mais l’obscurité était devant moi chaque jour, et personne ne me venait trouver ». L’esprit lui dit : « Moi, quand j’étais encore vivant sur terre, j’étais trésorier du roi Râhotpou, v. s. f., j’étais aussi son lieutenant d’infanterie. Puis, je passai en avant des gens et à la suite des dieux, et je mourus en l’an XIV, pendant les mois de Shomou du roi Manhapourîya, v. s. f. Il me fit mes quatre enveloppes et mon sarcophage en albâtre ; il fit faire pour moi tout ce qu’on fait à un homme de qualité, il me donna des offrandes… »
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Tout ce qui suit est fort obscur. Le mort semble se plaindre de quelque accident qui lui serait arrivé à lui-même ou à son tombeau, mais je ne vois pas bien quel est le sujet de son mécontentement. Peut-être désirait-il simplement, comme Nénoferképhtah dans le conte de Satni-Khâmoîs, avoir à demeure auprès de lui sa femme, ses enfants, ou quelqu’une des personnes qu’il avait aimées. Son discours fini, le visiteur prend la parole à son tour.
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Le premier prophète d’Amonra, roi des dieux, Khonsoumhabi, lui dit : « Ah ! donne-moi un conseil excellent sur ce qu’il convient que je fasse, et je le ferai faire pour toi, ou du moins accorde qu’on me donne cinq hommes et cinq esclaves, en tout dix personnes, pour m’apporter de l’eau, et alors je donnerai du grain chaque jour, et cela m’enrichira, et on m’apportera une libation d’eau chaque jour ». L’esprit Nouîtbousokhnou lui dit « Qu’est-ce donc que tu as fait ? Si on ne laisse pas le bois au soleil, il ne restera pas desséché ; ce n’est pas la pierre vieillie qu’on fait venir… »
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Le prophète d’Amon semble, comme on voit, demander un service à l’esprit ; l’esprit de son côté ne paraît pas disposé à le lui accorder, malgré les promesses que le vivant lui fait. La conversation se prolongeait sur le même thème assez longtemps, et je crois en trouver la suite sur l’Ostracon de Vienne. Khonsoumhabi désirait savoir à quelle famille appartenait l’un de ses interlocuteurs, et celui-ci satisfaisait amplement cette curiosité bien naturelle.
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L’esprit lui dit : « X… est le nom de mon père, X… le nom du père de mon père, et X… le nom de ma mère ». Le grand-prêtre Khonsoumhabi lui dit : « Mais alors je te connais bien. Cette maison éternelle où tu es, c’est moi qui te l’ai fait faire ; c’est moi qui t’ai fait ensevelir, au jour où tu as rejoint la terre, c’est moi qui t’ai fait faire tout ce qu’on doit faire à quiconque est de haut rang. Mais moi, voici que je suis dans la misère, un mauvais vent d’hiver a soufflé la faim sur le pays, et je ne suis pas plus heureux, mon cœur ne déborde pas (de joie) comme le Nil… » Ainsi dit Khonsoumhabi, et après cela Khonsoumhabi resta là, en pleurs, pendant longtemps, sans manger, sans boire, sans…
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Le texte est criblé de tant de lacunes que je ne me flatte pas de l’avoir bien interprété partout. Il aurait été complet que la difficulté aurait été à peine moins grande. Je ne sais si la mode était chez tous les revenants égyptiens de rendre leur langage obscur à plaisir : celui-ci ne paraît pas s’être préoccupé d’être clair. Son discours est interrompu brusquement au milieu d’une phrase, et, à moins que Golénicheff ne découvre quelque autre tesson dans un musée, je ne vois guère de chances que nous en connaissions jamais la fin, non plus que la fin de l’histoire.