FRAGMENTS DE LA VERSION COPTE-THÉBAINE DU ROMAN D’ALEXANDRE

ÉPOQUE ARABE

Les débris du roman d’Alexandre ont été découverts parmi les manuscrits du Déîr Amba Shenoudah, acquis par mes soins en 1885-1888 pour la Bibliothèque nationale de Paris. Trois feuillets en furent publiés d’abord par :

U. Bouriant, Fragments d’un roman d’Alexandre en dialecte thébain, dans le Journal asiatique, 1887, VIIIe série, t. IX, p. 1-38, avec une planche ; tirage à part, in 8°, 36 p.

puis trois autres, quelques mois plus tard, par :

U. Bouriant, Fragments d’un roman d’Alexandre en dialecte thébain (Nouveau Mémoire) dans le Journal astatique, VIIIe série, t. X, p. 340-349 : tirage à part, in-8°, 12 p.

Plusieurs feuillets provenant du même manuscrit se retrouvèrent bientôt après dans les différentes bibliothèques de l’Europe : en 1891, un seul au British Muséum, qui fut publié par :

W. E. Crum, Another fragment of the Story of Alexander, dans les Proceedings de la Société d’Archéologie Biblique, 1892, t. XIX, p. 473-482 (tirage à part, in-8°, 10 p.) ;

Deux à Berlin, qui furent signalés, dès 1888, par L. Stern (Zeitschrift, t. XXVI, p. 56), mais qui ne furent publiés que quinze ans plus tard par :

O. de Lemm, der Alexanderroman bei der Kopter, ein Beitrag zur Geschichte der Alexandersage im Orient, gr. in-8°, Saint-Pétersbourg, 1903, t. XVIII, 161 p. et deux planches.

L’ensemble des fragments et leur disposition, la nature des épisodes conservés et la constitution du texte, ont été étudiés presque simultanément par O. de Lemm dans l’ouvrage dont je viens de citer le titre, et par :

R. Pietschmann, zu den Ueberbleibseln des Koptischen Alexanderbuches, dans les Beiträge zur Bùcherskunde und Philologie, August Wilmauns zum 25 Marz 1903 gewidmet, in-8°, Leipzig, 1903, p. 304-312, tirage à part, 12 p.

Le manuscrit était écrit sur du papier de coton, mince et lisse, et mesurait environ 0 m. 18 de hauteur sur 0 m. 125 de largeur. L’écriture en est écrasée, petite, rapide ; les lettres y sont déformées, l’orthographe y est corrompue, la grammaire parfois fautive. Il me paraît difficile d’admettre que le manuscrit soit antérieur au XIVe siècle, mais la rédaction de l’ouvrage pourrait remonter jusqu’au Xe siècle ou au XIe siècle après notre ère.

Autant qu’on peut en juger d’après le petit nombre de fragments qui nous ont été conservés, notre roman n’est pas la reproduction pure et simple de la vie d’Alexandre du Pseudo-Callisthènes. Ce qui reste des chapitres consacrés à l’empoisonnement d’Alexandre est tellement voisin du grec qu’on dirait une traduction. D’autre part, les fragments relatifs au vieillard Éléazar et à ses rapports avec Alexandre, au songe de Ménandre et au retour imprévu du héros macédonien dans son camp, ne répondent pas aux versions du Pseudo-Callisthènes publiées jusqu’à présent. Je conclus de ces observations qu’entre le moment où les rédactions que nous possédons du Pseudo-Callisthènes ont été fixées, et celui où notre traduction thébaine a été entreprise, le texte du roman s’était accru d’épisodes nouveaux, propres sans doute à l’Égypte ou à la Syrie c’est cette recension, encore inconnue, que nos fragments nous ont transmise en partie. Était-elle en copte, en grec ou en arabe ? Je crois que l’examen du texte nous permet de répondre aisément à cette question. Ce que nous avons du copte a tous les caractères d’une traduction : or, dans le récit du complot contre Alexandre, la phrase copte suit si exactement le mouvement de la phrase grecque qu’il est impossible de ne pas admettre qu’elle la transcrive. J’admettrai donc jusqu’à nouvel ordre que notre texte copte thébain a été traduit directement sur un texte grec, et, par suite, qu’on peut s’attendre à découvrir un jour une ou plusieurs versions grecques plus complètes que les versions connues actuellement. Elles auront sans doute été confinées à l’Égypte, et c’est pour cela qu’on ne trouve, dans les recensions occidentales, aucune trace de plusieurs épisodes que les feuillets du manuscrit copte nous ont révélés en partie.

L’ordre des fragments publiés ci-joint est celui que leur a donné O. de Lemm, et ma traduction a été refaite sur le texte qu’il a établi.

Les premiers feuillets conservés ont trait à une aventure qui n’est racontée dans aucune des versions orientales ou occidentales que je connais jusqu’à présent. Alexandre s’est déguisé en messager, comme le jour où il alla chez la reine d’Éthiopie, et il s’est rendu dans une ville où règne un de ses ennemis, probablement le roi des Lamites. Là, après avoir exposé son affaire à celui-ci, il rencontre un vieillard perse du nom d’Éléazar, qui l’emmène avec lui et lui apprend que le roi ne renvoie jamais les messagers des souverains étrangers, mais qu’il les garde prisonniers jusqu’à leur mort. Les messagers sont là qui se pressent pour voir le nouveau venu : au moment où le récit commence, Alexandre vient de leur être présenté et Éléazar achève de l’informer du sort qui l’attend.

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Il dit à Alexandre : « Demande à chacun de ceux-ci depuis combien de temps es-tu en ce lieu ? » Le premier d’entre eux dit : « Écoute-moi, mon frère. Je suis du pays de Thrace, et voici quarante ans que je suis venu en cet endroit, car on m’avait envoyé avec des lettres en ce pays ». Le second dit : « Quant à moi, mon frère, voici vingt-deux ans que j’ai accomplis depuis que je suis venu du pays des Lektouménos ». Le troisième lui dit : « Voici soixante-six ans que je suis venu en ce lieu, car on m’avait envoyé avec des lettres de mon seigneur le roi… ês. Maintenant donc, console-toi ! » Éléazar dit à Alexandre : « … J’ai entendu que c’est le fils du roi qui est roi aujourd’hui. Quant à toi, mon frère, tu ne reverras plus ton maître, ton roi, à jamais ». Alexandre pleura amèrement, tous ceux qui le voyaient s’en admirèrent et quelques-uns de la foule dirent : « Il ne fait que d’arriver tout droit et son cœur est encore chaud en lui ! » Éléazar, le vieillard perse, il se saisit d’Alexandre, il l’emmena à sa maison. Les messagers le suivirent et ils s’assirent ; chacun parla de son pays et ils se lamentèrent sur leur famille, et ils pleurèrent sur Alexandre qui pleurait… Monseigneur… Éléazar dit…

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Je ne saurais définir exactement ce qui se passe ensuite. Dans le gros, on peut dire qu’Alexandre réussit à prendre la ville des Lamites et à délivrer les prisonniers qui s’y trouvaient. Un des feuillets conservés nous apprend ce qu’il fit à cette occasion.

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Il prit le commandement des troupes ; il les envoya avec des hommes qu’on crucifia, tandis qu’on enchaînait les femmes par groupes. Alexandre commanda à ses troupes de se tenir à la porte de la ville et de ne laisser sortir personne. Or, quand l’aube fut venue, le vieillard Éléazar fit porter un vêtement royal, et tous les messagers qui étaient là, il les chargea de la sorte, d’or, d’argent, de pierres précieuses de choix qu’on avait trouvées dans le palais en question, de sardoines, de topazes, de jaspe, d’onyx, d’agathe, d’ambre, de chrysolithe, de chrysoprase, d’améthyste ; – or, cette pierre qui est l’améthyste, c’est celle avec laquelle on essaie l’or. Puis on dépouilla les Lamites, et ils sortirent de la ville, et il établit Iôdaê pour la gouverner. Alexandre dit : « …

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Le discours d’Alexandre manque. Il n’était pas long, mais la perte en est d’autant plus fâcheuse qu’il terminait l’épisode. Au verso du feuillet, nous sommes déjà engagés dans une aventure nouvelle dont le héros est un certain Antipater. Cet Antipater paraît avoir été le fils d’un des messagers qui se trouvaient chez les Lamites, et ce messager lui-même était roi d’une ville sur laquelle Antipater régnait présentement. Le père, délivré par Alexandre et se doutant bien que sa longue captivité l’avait fait oublier, ne voulut pas rentrer ouvertement dans ses États.

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Il prit les vêtements d’un mendiant, et il dit : « J’éprouverai tous les notables qui sont dans la ville et je saurai ce qu’ils font ». Il entra donc dans la ville et il s’y assit en face la maison du roi. Le roi ne l’avait jamais vu, il savait seulement que son père était depuis soixante-dix-sept ans avec les Lamites. Il n’interpella donc pas le vieillard, car il ne savait pas qu’il était son fils, et d’autre part le vieillard ne savait pas que c’était son père, l’homme qui était là enveloppé dans un manteau. Mais, voici, une femme l’interpella et lui dit : « Antipater, pourquoi ne vas-tu pas chercher ton père ? Car j’ai entendu dire des Lamites qu’Alexandre est leur maître et qu’il a renvoyé tous les messagers ». Le jeune homme dit : « Mon père est mort, et certes depuis plus de quarante ans… Car mon père partit avant que je ne fusse au monde et ma mère m’a raconté l’histoire de mon père… »

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Les trois feuillets suivants nous transportent en Gédrosie. Alexandre est tombé, nous ne savons par quelle aventure, aux mains du roi de la contrée, et celui-ci l’a condamné à être précipité dans le Chaos, dans le gouffre où l’on jetait les criminels. Un des conseillers Gédrosiens, Antilochos, a essayé vainement d’adoucir la sentence : chargé de l’exécuter, il négocie avec Alexandre et il cherche un moyen de le sauver. Il semble résulter des premières lignes du fragment, qu’au moment d’entrer dans la prison, il avait entendu Alexandre qui se lamentait sur son sort et qui s’écriait : « Que ne ferais-je pas pour qui me délivrerait ? »

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Lorsqu’Antilochos l’entendit, il entra vers Alexandre sur l’heure et il lui dit : « Si je dis au roi de te relâcher, que me feras-tu ? » Alexandre lui dit : « Te verrai-je une fois que je vais libre par ma ville ? S’il en est ainsi, la moitié de mon royaume prends-la de moi dès aujourd’hui ! » Antilochos lui donna de l’encre et du papier et il écrivit ce qui suit : « Par le trône de ma royauté et par mon salut personnel, si tu me délivres, tout ce que tu me demanderas, je te le donnerai ». Antilochos envoya donc en hâte au gardien du Chaos et il lui dit : « Prends de moi trois quintaux d’or, à une condition que je te vais dire. Alexandre, le roi a commandé de le jeter dans le Chaos, mais, quand on te l’amènera, cache-le dans ta cachette et jette une pierre de sa taille dans le Chaos, que nous l’entendions, nous et ceux qui sont avec nous. Si tu agis ainsi, tu vivras et tu trouveras grâce devant moi, et quand cet homme viendra vers toi, tu trouveras beaucoup de corbeilles et il te donnera de nombreux présents ». Ils passèrent leur parole et Antilochos rentra chez lui.

Lorsque l’aube fut venue, Antilochos chargea Alexandre de liens. Alexandre suivit Antilochos jusqu’à ce qu’il arrivât au bord du Chaos et qu’il le vît de ses yeux. Alexandre, dont le pouvoir avait cessé et que sa force avait abandonné, leva ses yeux au ciel et il parla à ceux qui le tenaient : « Permettez, mes frères, que je voie le soleil ! » Alexandre pleura, disant : « Ô soleil qui donnes la lumière, te verrai-je de nouveau à l’heure du matin ? » On le fit entrer et Antilochos lui dit : « Prends du vin et du pain et mange avant que tu voies le Chaos ! » Alexandre dit : « Si c’est la dernière nourriture que je dois manger, je ne la mangerai pas ! » Mais Antilochos lui parla à voix basse, lui disant : « Mange et bois ! Ton âme, je la délivrerai, car je suis déjà convenu de ce moyen : lorsqu’on saisira la pierre et qu’on la jettera, crie d’une voix forte, si bien que ce soit toi que nous entendions ». Antilochos sortit avec dix soldats, Antilochos dit : « Sortons pour que nos yeux ne voient pas sa misère ! » On saisit la pierre, Alexandre cria d’une voix forte, Antilochos dit en pleurant à ceux qui étaient avec lui : « Ô la misère du roi Alexandre et la pauvreté des grandeurs de ce monde ! » Or Alexandre, le gardien du Chaos le reconduisit à la ville…

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La lacune qui sépare ce fragment du fragment suivant ne peut pas être bien considérable. Le gardien du Chaos, après avoir reconduit Alexandre à la ville, l’enferme dans une cachette ainsi qu’il était convenu : cependant Antilochos court de son côté rendre compte de sa mission au roi, et le bruit se répand partout qu’Alexandre est mort. L’effet produit par la nouvelle est tel que le roi lui-même en est effrayé et qu’il regrette d’avoir fait périr le héros.

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« … Alexandre est mort dans le Chaos ». Tous ceux qui l’entendirent s’écrièrent ; en les entendant, le roi s’affligea et il gémit avec la reine et avec Antilochos, et il dit : « Je me repens d’avoir précipité ce grand roi dans le Chaos, et je crains que son armée ne marche contre nous ». Antilochos lui dit : « Je me suis épuisé à te supplier : « Laisse-le partir ! » et tu ne t’es pas laissé persuader de m’écouter et tu n’as pas incliné ton visage vers moi ». Le roi dit : « Que n’as-tu trouvé un moyen de le renvoyer ? » Or, pendant la nuit, on conduisit Alexandre à la maison d’Antilochos, et on le reçut, et on le descendit dans un trou, et on lui fournit tout le nécessaire. La nouvelle se répandit dans tout le pays « Alexandre est mort », et tous ceux qui l’entendirent devinrent tous figés comme des pierres à cause de ce qui était arrivé.

Après cela, Ménandre vit un songe de cette sorte et il aperçut une vision de cette manière : il voyait un lion chargé de fers que l’on jetait dans une fosse. Et voici qu’un homme lui parla : « Ménandre, pourquoi ne descends-tu pas avec ce lion, puisque sa pourpre est tombée ? Lève-toi maintenant et saisis-le par l’encolure de sa pourpre ». En hâte il se leva et il adressa la parole à Selpharios ainsi qu’à Diatrophê, disant : « Vous dormez ? » Ils dirent : « Qu’y a-t-il donc, ô le premier des philosophes, Ménandre ? » Il dit en pleurant : « Le rêve que j’ai vu s’accomplira contre les ennemis d’Alexandre, car la vision de ceux qui le haïssent est passée devant moi en un songe, et j’ai été pétrifié de douleur ». Ménandre leur dit : « Le lion que j’ai vu, c’est le roi ». Tandis qu’ils échangeaient ces paroles jusqu’au matin, voici, un messager vint vers Selpharios, Ménandre et Diatrophê, criant et pleurant, et il leur dit : « Qui entendra ces paroles que j’ai entendues et se taira ? c’est une terreur de les dire, c’est une infamie de les prononcer ». Ménandre dit : « Quel est ce discours, mon fils ? Je sais déjà ce qui est a arrivé au roi Alexandre ». Le messager leur dit : « Des hommes dignes de mort ont porté la main sur mon seigneur le roi, en Gédrosie, et ils l’ont tué ». Ménandre prit son vêtement de pourpre et il le déchira ; Selpharios et Diatrophê déchirèrent leur chlamyde, ils gémirent et ils se conduisirent tout comme si la terre tremblait. Diatrophê dit : « J’irai et je rapporterai des nouvelles de mon Seigneur ». Il prit avec lui un khiliarque et trois soldats, et ils allèrent en Gédrosie, ils entendirent la nouvelle, ils surent tout ce qui était arrivé et ils revinrent au camp, et ils en informèrent Ménandre, et ils le répétèrent avec gémissements et pleurs, disant : « …

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Les trois personnages mis en scène ne figurent pas d’ordinaire parmi les compagnons d’Alexandre. Deux d’entre eux, Selpharios et Diatrophê, – celui-ci un homme, malgré la tournure féminine de son nom, – sont complètement inconnus. Ménandre me paraît être le poète comique Ménandre, à qui les maximes morales tirées de ses comédies avaient valu une grande réputation dans le monde chrétien : le titre qu’il porte, premier des philosophes ou premier des amis, nous montre que la tradition lui assignait un haut rang parmi cette troupe de savants et d’écrivains qui avaient accompagné Alexandre en Orient. Il paraît, en effet, exercer une autorité considérable sur ceux qui l’entourent, car c’est lui qui prend, de concert avec Selpharios, les mesures que les circonstances ont rendues nécessaires : dans deux ou trois pages, aujourd’hui perdues, il annonçait aux troupes la nouvelle de la mort d’Alexandre, il ordonnait le deuil et il venait mettre le siège devant la ville où le crime avait été commis pour en tirer vengeance. Cependant, Antilochos, profitant des remords du roi, lui apprenait qu’Alexandre vivait encore, et l’aventure se terminait par une convention grâce à laquelle le Macédonien recouvrait la liberté, à la condition d’oublier l’injure qu’il avait reçue. Sachant que son armée le croyait mort, il voulut éprouver la fidélité de ses lieutenants et il se déguisa afin de pouvoir circuler librement parmi eux.

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Lorsque le soir fut venu, Alexandre prit un équipage de simple soldat et il sortit pour se rendre aux camps. Or Selpharios avait prescrit dans sa proclamation que personne ne bût du vin ou ne se revêtit d’habits précieux, pendant les quarante jours de deuil en l’honneur du roi Alexandre. Alexandre donc vint et il aperçut Agricolaos, le roi des Perses, étendu sur son lit, qui parlait à ses gens ; « Debout maintenant, les hommes qui ont du cœur, mangez et buvez, car un joug est tombé de vous, cet Alexandre qu’on vient de tuer. Qu’est-ce donc qu’il y a en vos cœurs ? Je ne permettrai pas que vous restiez ainsi esclaves de la Macédoine et de l’Égypte » Alexandre dit à part soi : « Non certes, il ne sera pas aujourd’hui que tu manges et que tu boives, excellent homme et qui es si content de toi-même ! » Il se leva donc et il leur dit : « Pourquoi ne mangez-vous ni ne buvez-vous ? Car le voilà mort celui qui vous faisait mourir dans les guerres ; maintenant qu’on l’a fait mourir lui-même, réjouissez-vous, soyez remplis d’allégresse ! » Ils lui dirent : « Tu es fou ! » et lorsqu’ils lui eurent dit cela, ils commencèrent à lui jeter des pierres. Alexandre se tint caché jusqu’au milieu de la nuit, puis il alla à la maison d’Antilochos, il monta sur Chiron et il se rendit à l’endroit où était Ménandre, car ses yeux étaient lourds de sommeil. Il dit à Ménandre, à Selpharios et à Diatrophê : « C’est vous ma force ! » Ménandre dit « Mon père, qu’y a-t-il ? C’est donc une invention que j’avais entendue à ton sujet ! » Quand ils se turent, il reprit la parole : « Je suis bien Alexandre, celui qu’ont tué ceux de Gédrosie, mais Antilochos m’a rendu la vie : Chiron, dis-leur ce qui m’est arrivé ! » Quand l’aube se fit, il s’assit sur le trône de sa royauté. Alexandre sur l’heure fit crier par le héraut, disant : « Le roi Alexandre est arrivé ». Et, sur l’heure, la multitude vint. Agricolaos vint lui-même et il dit : « Nous avons vu ta face et nous vivons ! » Le roi Alexandre lui dit « Tu t’es donc éveillé de ton ivresse de hier soir, quand tu disais : « Il a été retiré de nous le joug d’Alexandre, mangez, buvez ! » Le roi ordonna sur l’heure de lui trancher la tête avec l’épée ; le roi dit : « Prends maintenant du vinaigre au lieu du vin que tu avais bu jusqu’à en être ivre. » Puis le roi Alexandre dit : « Amenez-moi les ilarques », et on les lui amena…

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Selpharios est le héros du fragment suivant, mais je ne vois rien chez le Pseudo-Callisthènes qui ressemble à ce qu’on lit dans le texte copte. Vaincu dans une première expédition contre les Perses et sur le point de repartir en guerre, il dicte son testament :

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« Ils s’en iront… ils entendront le nom de… Jérémie… ta santé… le roi, voici ce que tu feras : Celui qui t’apportera ma lettre, fais-lui grâce et délivre-le, si bien qu’il s’en aille avec tout ce qui est sien. Je salue…, le général ; je salue Jérémie et Dracontios, je salue Sergios et Philéa. Mon fils, qui posera ta bouche sur ma bouche, tes yeux sur mes yeux, mes mains sur ta chevelure ? Les oiseaux du ciel qui volent, ils emplissent leur bec des fruits des champs et ils les apportent au bec de leurs petits ; et ceux-ci, les oiselets, ils se réjouissent de la présence de leurs parents à cause de la récolte que ceux-ci ont faite pour eux, et ils battent leurs petites ailes, et c’est ainsi que les petits oiseaux manifestent leur apprivoisement. Toi même, Philéa, mon fils à moi, rappelle-toi l’heure où je sortis de… En un rêve, il a vu la ruine de notre Seigneur Alexandre… que se repose un instant Alexandre, notre roi ; songe… mon pouvoir pour toi. J’ai combattu… Okianos, et je l’ai renversé, mais je n’ai pu triompher de la vaillance des Perses, ils ont été les plus puissants et ils m’ont vaincu. Moi, Selpharios, j’ai écrit ceci de ma propre main ; quand tu seras grand, regarde-le et prends-en connaissance, et lis-le et récite-le avec des pleurs et des gémissements. J’ai écrit les lignes de mon testament avec les pleurs de mes yeux pour encre, car les endroits où je buvais sont devenus des solitudes et les endroits où je me rafraîchissais sont devenus des déserts ! Je vous salue tous un à un, mes frères ; portez-vous bien, mes aimés, et vous souvenez de moi ! »

Lorsqu’il eut écrit cela, il donna le papier à Alexandre, et Alexandre pleura et il détourna les yeux pour que Selpharios ne le vît point. Alexandre dit…

L’épisode suivant rappelle un des passages les plus curieux du Pseudo-Callisthènes, celui où Alexandre, arrivé aux confins de la Terre des Morts, y veut pénétrer et s’enfonce dans les ténèbres qui le séparent de la terre des vivants.

Il s’émerveilla de la beauté du jardin, duquel quatre fleuves s’échappaient, qui sont le Pisôn, le Gihon, le Tigre et l’Euphrate ; ils y burent de l’eau et ils se réjouirent car elle était douce. Ensuite ils aperçurent des ténèbres profondes et ils dirent : « Nous ne pouvons y pénétrer ». Ménandre dit : « Prenons des juments poulinières, montons-les et qu’on retienne leurs poulains, tandis que nous nous enfoncerons dans les ténèbres ! » Ils s’émerveillèrent, car il faisait très sombre, si bien que les gens n’apercevaient pas le visage de leurs camarades. Alexandre dit : « Venez avec moi, toi Ménandre ainsi que Selpharios et Diatrophê ! » Ils enfourchèrent quatre juments poulinières, dont les poulains demeurèrent à la lumière de telle sorte que les unes entendissent la voix des autres, et ils s’enfoncèrent dans les ténèbres. Mais ils entendirent une voix qui disait : « Alexandre et Ménandre ainsi que Selpharios et Diatrophê, tenez-vous heureux d’avoir pénétré jusqu’ici ! » Alexandre dit : « Je ne me tiendrai pas heureux, jusqu’à ce que je trouve ce que je cherche ». Il poussa en avant un petit et il s’arrêta avec les juments. La voix lui dit une seconde fois : « Tiens-toi pour heureux, ô Alexandre ! » Mais Alexandre ne voulut pas s’arrêter. Il regarda sous les pieds des chevaux et il aperçut des lumières. Alexandre dit : « Prenons ces lumières, car ce sont des pierres précieuses ». Selpharios allongea sa main et il en prit quatre, Ménandre trois, Selpharios deux ; quant à Alexandre il allongea sa main gauche et il la remplit, et il prit trois pierres de la main droite, et sur l’heure sa main gauche devint telle que sa main droite, et lorsqu’il alla à la guerre, depuis cette heure il combattit avec ses deux mains. Alexandre sentit un parfum violent, mais la voix frappa les oreilles d’Alexandre pour la troisième fois : « Tiens-toi pour content, ô Alexandre ! Lorsqu’un cheval se presse trop pour courir, il bute et tombe ! » Et la voix parla de nouveau : « Je te le demande, que veux-tu ? » Alexandre dit « Donne-moi la puissance sur la terre entière et que mes ennemis se soumettent à moi ! » La voix lui dit « Parce que tu n’as pas demandé une vie longue, mais seulement la puissance sur la terre entière, voici, la terre entière tu la verras de tes yeux et tu seras son maître ; mais quand le matin répandra sa lumière, alors…

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* *

La voix annonçait probablement une mort immédiate, mais Alexandre réussissait par ruse ou par prière à obtenir une prolongation de vie, de laquelle il profitait pour aller visiter les Brachmanes dans leur pays. Un feuillet nous avait conservé la description de leur costume et de leurs mœurs, mais toutes les lignes en sont mutilées à tel point qu’on ne peut plus en tirer un texte suivi. On voit seulement qu’il y était question du pays des Homérites, de Kalanos dont le nom est déformé en Kalynas, de l’Inde, des lits de feuilles sur lesquels les Gymnosophistes se couchaient, de leur nudité, sans que le lien soit évident entre toutes ces notions éparses.

Le dernier des fragments que nous possédons appartenait à la fin de l’ouvrage. Il racontait, dans des termes qui rappellent beaucoup ceux que le Pseudo-Callisthènes emploie, les intrigues qui précédèrent la mort d’Alexandre, et la manière dont Antipater aurait procédé pour préparer et pour faire verser le poison dont le héros serait mort.

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Il calma la rage d’Olympias et sa rancune contre Antipater, en envoyant Kratéros en Macédoine et en Thessalie. Lorsqu’Antipater sut la colère d’Alexandre, – car il l’apprit par des hommes qui avaient été licenciés du service militaire, – Antipater complota de tuer Alexandre, afin de ne pas être soumis à de grandes tortures ; car il avait appris et il savait ce qu’Alexandre méditait contre lui, à cause de sa superbe et de ses intrigues. Or, Alexandra fit venir la troupe des archers, qui était très considérable, à Babylone. Il y avait parmi eux un fils d’Antipater, nommé Joulios, qui servait Alexandre. Antipater prépara une potion mortelle dont aucun vase ni de bronze, ni de terre, ne peut supporter la force, mais tous se brisaient dès qu’elle les touchait. Lors donc qu’il l’eut préparée, il la mit dans un récipient de fer et il la donna à Casandre, son fils, qu’il envoya comme page à Alexandre ; celui-ci devait s’entretenir avec son frère Joulios d’un entretien secret sur la façon de servir le poison à Alexandre. Quand Casandre vint à Babylone, il trouva Alexandre occupé à faire un sacrifice et à recevoir ceux qui venaient à lui. Il parla à Joulios, son frère, car celui-ci était le premier échanson d’Alexandre. Or, il était arrivé, peu de jours auparavant, qu’Alexandre avait frappé le serviteur Joulios d’un bâton sur la tête, tandis qu’il était assis, pour un motif qui provenait d’un manque de soin : c’est pourquoi le jeune homme était furieux et se déclara volontiers prêt à commettre le crime. Il prit avec lui Mésios le Thessalien, l’ami d’Alexandre, et un de ses juges qu’il avait puni pour prévarication, et ils convinrent entre eux de faire boire le poison à Alexandre.

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