III Autres thèmes : L'obligation de donner. L'obligation de recevoir

Il reste pour comprendre complètement l'institution de la prestation totale et du potlatch, à chercher l'explication des deux autres moments qui sont complémentaires de celui-là ; car la prestation totale n'emporte pas seulement l'obligation de rendre les cadeaux reçus ; mais elle en suppose deux autres aussi importantes : obligation d'en faire, d'une part, obligation d'en recevoir, de l'autre. La théorie complète de ces trois obligations, de ces trois thèmes du même complexus, donnerait l'explication fondamentale satisfaisante de cette forme du contrat entre clans polynésiens. Pour le moment, nous ne pouvons qu'indiquer la façon de traiter le sujet.

On trouvera aisément un grand nombre de faits concernant l'obligation de recevoir. Car un clan, une maisonnée, une compagnie, un hôte, ne sont pas libres de ne pas demander l'hos­pitalité , de ne pas recevoir de cadeaux, de ne pas commercer , de ne pas contracter alliance, par les femmes et par le sang. Les Dayaks ont même développé tout un système de droit et de morale, sur le devoir que l'on a de ne pas manquer de partager le repas auquel on assiste ou que l'on a vu préparer. 

L'obligation de donner est non moins importante ; son étude pourrait faire comprendre comment les hommes sont devenus échangistes. Nous ne pouvons qu'indiquer quelques faits. Refuser de donner , négliger d'inviter, comme refuser de prendre , équivaut à déclarer la guerre ; c'est refuser l'alliance et la communion . Ensuite, on donne parce qu'on y est forcé, parce que le donataire a une sorte de droit de propriété sur tout ce qui appartient au donateur . Cette propriété s'exprime et se conçoit comme un lien spirituel. Ainsi, en Australie, le gendre, qui doit tous les produits de sa chasse à son beau-père et à sa belle-mère, ne peut rien consommer devant eux, de peur que leur seule respiration n'empoisonne ce qu'il mange . On a vu plus haut les droits de ce genre qu'a le taonga neveu utérin à Samoa, et qui sont tout à fait comparables à ceux qu'a le neveu utérin (vasu) à Fiji .

En tout ceci, il y a une série de droits et de devoirs de consommer et de rendre, corres­pon­dant à des droits et des devoirs de présenter et de recevoir. Mais ce mélange étroit de droits et de devoirs symétriques et contraires cesse de paraître contradictoire si l'on conçoit qu'il y a, avant tout, mélange de liens spirituels entre les choses qui sont à quelque degré de l'âme et les individus et les groupes qui se traitent à quelque degré comme des choses.

Et toutes ces institutions n'expriment uniquement qu'un fait, un régime social, une men­ta­­lité définie : c'est que tout, nourriture, femmes, enfants, biens, talismans, sol, travail, servi­ces, offices sacerdotaux et rangs, est matière à transmission et reddition. Tout va et vient comme s'il y avait échange constant d'une matière spirituelle comprenant choses et hommes, entre les clans et les individus, répartis entre les rangs, les sexes et les générations.

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