Chapitre III Survivances de ces principes dans les droits anciens et les économies anciennes

Tous les faits précédents ont été recueillis dans ce domaine qu'on appelle celui de l'Ethno­graphie. De plus, ils sont localisés dans les sociétés qui peuplent les bords du Pacifique . On se sert d'ordinaire de ce genre de faits à titre de curiosités ou, à la rigueur, de comparaison, pour mesurer de combien nos sociétés s'écartent ou se rapprochent de ces genres d'institutions qu'on appelle « primitives ».

Cependant, ils ont une valeur sociologique générale, puisqu'ils nous permettent de comprendre un moment de l'évolution sociale. Mais il y a plus. Ils ont encore une portée en histoire sociale. Des institutions de ce type ont réellement fourni la transition vers nos for­mes, nos formes à nous, de droit et d'économie. Elles peuvent servir à expliquer histori­que­ment nos propres sociétés. La morale et la pratique des échanges usitées par les sociétés qui ont immédiatement précédé les nôtres gardent encore des traces plus ou moins importantes de tous les principes que nous venons d'analyser. Nous croyons pouvoir démontrer, en fait, que nos droits et nos économies se sont dégagés d'institutions similaires aux précédentes .

Nous vivons dans des sociétés qui distinguent fortement (l'opposition est maintenant critiquée par les juristes eux-mêmes) les droits réels et les droits personnels, les personnes et les choses. Cette séparation est fondamentale : elle constitue la condition même d'une partie de notre système de propriété, d'aliénation et d'échange. Or, elle est étrangère au droit que nous venons d'étudier. De même, nos civilisations, depuis les civilisations sémitique, grecque et romaine, distinguent fortement entre l'obligation et la prestation non gratuite, d'une part, et le don, de l'autre. Mais ces distinctions ne sont-elles pas assez récentes dans les droits des grandes civilisations ? Celles-ci n'ont-elles pas passé par une phase antérieure, où elles n'avaient pas cette mentalité froide et calculatrice 'l N'ont-elles pas pratiqué même ces usages du don échangé où fusionnent personnes et choses ? L'analyse de quelques traits des droits indo-européens va nous permettre de montrer qu'ils ont bien traversé eux-mêmes cet avatar. A Rome, ce sont des vestiges que nous allons en retrouver. Dans l'Inde et en Germanie, ce seront ces droits eux-mêmes, encore vigoureux, que nous verrons fonctionner à une époque encore relativement récente.

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