Un rapprochement entre ces droits archaïques et le droit romain d'avant l'époque, relativement très basse où il entre réellement dans l'histoire , et le droit germanique à l'époque où il y entre , éclaire ses deux droits. En particulier, il permet de poser à nouveau une des questions les plus controversées de l'histoire du droit, la théorie du nexum .
Dans un travail qui a plus qu'éclairé la matière , Huvelin a rapproché le nexum du wadium germanique et en général des « gages supplémentaires » (Togo, Caucase, etc.) donnés à l'occasion d'un contrat, puis il a rapproché ceux-ci de la magie sympathique et du pouvoir que donne à l'autre partie toute chose qui a été en contact avec le contractant. Mais cette dernière explication ne vaut que pour une partie des faits. La sanction magique n'est que possible, et elle-même n'est que la conséquence de la nature et du caractère spirituel de la chose donnée. D'abord, le gage supplémentaire et en particulier le wadium germanique sont plus que des échanges de gages, même plus que des gages de vie destinés à établir une emprise magique possible. La chose gagée est d'ordinaire sans valeur: par exemple les bâtons échangés, la slips dans la stipulation du droit romain et la festuca notata dans la stipulation germanique ; même les arrhes , d'origine sémitique, sont plus que des avances. Ce sont des choses ; elles-mêmes animées. Surtout, ce sont encore des résidus des anciens dons obligatoires, dus à réciprocité ; les contractants sont liés par elles. A ce titre, ces échanges supplémentaires expriment par fiction ce va-et-vient des âmes et des choses confondues entre elles . Le nexum, le « lien » de droit vient des choses autant que des hommes.
Le formalisme même prouve l'importance des choses. En droit romain quiritaire, la tradition des biens - et les biens essentiels étaient les esclaves et le bétail, plus tard, les biens-fonds - n'avait rien de commun, de profane, de simple. La tradition est toujours solennelle et réciproque ; elle se fait encore en groupe : les cinq témoins, amis au moins, plus le « peseur ». Elle est mêlée de toutes sortes de considérations étrangères à nos conceptions purement juridiques et purement économiques modernes. Le nexum qu'elle établit est donc encore plein, comme Huvelin l'a bien vu, de ces représentations religieuses qu'il a seulement trop considérées comme exclusivement magiques.
Certes, le contrat le plus ancien du droit romain, le nexum, est détaché déjà du fond des contrats collectifs et détaché aussi du système des anciens dons qui engagent. La préhistoire du système romain des obligations ne pourra peut-être jamais être écrite avec certitude. Cependant nous croyons pouvoir indiquer dans quel sens on pourrait chercher.
Il y a sûrement un lien dans les choses, en plus des liens magiques et religieux, ceux des mots et des gestes du formalisme juridique.
Ce lien est encore marqué par quelques très vieux termes du droit des Latins et des peuples italiques. L'étymologie d'un certain nombre de ces termes paraît incliner dans ce sens. Nous indiquons ce qui suit à titre d'hypothèse.
A l'origine, sûrement, les choses elles-mêmes avaient une personnalité et une vertu.
Les choses ne sont pas les êtres inertes que le droit de Justinien et nos droits entendent. D'abord elles font partie de la famille : la familia romaine comprend les res et non pas seulement les personnes. On en a la définition encore au Digeste , et il est très remarquable que, plus on remonte dans l'antiquité, plus le sens du mot familia dénote les res qui en font partie jusqu'à désigner même les vivres et les moyens de vivre de la famille . La meilleure étymologie du mot familia est sans doute celle qui le rapproche du sanskrit dhaman, maison.
De plus, les choses étaient de deux sortes. On distinguait entre la familia et la pecunia, entre les choses de la maison (esclaves, chevaux, mulets, ânes) et le bétail qui vit aux champs loin des étables . Et on distinguait aussi entre les res mancipi et les res nec mancipi, suivant les formes de vente . Pour les unes, qui constituent les choses précieuses, y compris les immeubles et même les enfants, il ne peut y avoir aliénation que suivant les formules de la mancipatio , de la prise (capere) en mains (manu). On discute beaucoup pour savoir si la distinction entre familia et pecunia coïncidait avec la distinction des res mancipi et des res nec mancipi. Pour nous cette coïncidence - à l'origine - ne fait pas l'ombre d'un doute. Les choses qui échappent à la mancipatio sont précisément le petit bétail des champs et la pecunia, l'argent, dont l'idée, le nom et la forme dérivaient du bétail. On dirait que les veteres romains font la même distinction que celles que nous venons de constater en pays tsimshian et kwakiutl, entre les biens permanents et essentiels de la « maison » (comme on dit encore en Italie et chez nous) et les choses qui passent : les vivres, le bétail des lointaines prairies, les métaux, l'argent, dont, en somme, même les fils non émancipés pouvaient commercer.
Ensuite, la res n'a pas dû être, à l'origine, la chose brute et seulement tangible, l'objet simple et passif de transaction qu'elle est devenue. Il semble que l'étymologie la meilleure est celle qui compare avec le mot sanscrit rah, ratih , don, cadeau, chose agréable. La res a dû être, avant tout, ce qui fait plaisir à quelqu'un d'autre . D'autre part, la chose est toujours marquée, au sceau, à la marque de propriété de la famille. On comprend dès lors que de ces choses mancipi, la tradition solennelle , mancipatio, crée un lien de droit. Car, entre les mains de l'accipiens elle reste encore, en partie, un moment, de la « famille » du premier propriétaire ; elle lui reste liée et elle lie l'actuel possesseur jusqu'à ce que celui-ci soit dégagé par l'exécution du contrat, c'est-à-dire, par la tradition compensatoire de la chose, du prix ou service qui liera à son tour le premier contractant.