II La naissance

Taudis que, dans de nombreuses sociétés d’un type plus élevé que les sociétés australiennes, les magiciens forment sinon une caste, du moins une corporation recrutée héréditairement, celles-ci ne contiennent qu’un si petit nombre de groupements pareils qu’il sera raisonnable de n’en tenir aucun compte au moment où nous conclurons. Nous ne connaissons que deux tribus où le fait ait été attesté, celle de la rivière Tully (Queensland Nord-Ouest), et la tribu des Anula (sud du golfe de Carpentarie). Mais, pour ce qui est de la première, M. Roth ne nous dit pas si c’est le pouvoir lui-même qui est héréditaire, ou si c’est simplement d’une transmission ordinaire des mystères professionnels qu’il s’agit, transmission faite régulièrement de père en fils. Dans ce cas, nous rentrerions presque dans la règle commune : l’enseignement magique se fait d’ordinaire en famille. Dans la seconde tribu, au contraire, nous avons un clan totémique proprement dit, et un seul, chargé de fournir des magiciens : c’est un clan des « étoiles filantes », clan spécialement associé avec les esprits malveillants vivant au ciel. Il se produit donc, dans ce clan, une espèce de révélation fatale lors de la naissance. Mais nous soupçonnons l’observation d’être imparfaite, car on ne nous dit pas que tous les membres de ce clan soient sorciers, ce qui devrait être si c’était exclusivement la naissance qui conférait le pouvoir magique.

On pourrait nous objecter que, dans quelques-unes des tribus australiennes, les fonctions des faiseurs de pluie sont parfaitement héréditaires et que même, dans certains cas bien observés, elles sont dévolues à un clan de l’eau. Mais nous écartons cette observation, car, dans le cas où les agents de ces fonctions font partie d’un tel clan et où la cérémonie est une cérémonie de clan, ce n’est ni de magie ni de magicien qu’il s’agit, mais de cette sorte de religion à caractère confus qu’est la religion des clans australiens et de cette sorte de prêtres que sont, dans les rites du culte totémique, les adultes mâles du clan. Ceci est particulièrement vrai des producteurs de pluie chez les Arunta, Anula, Mara, qui ne sont pas des magiciens : cela est évident encore pour la tribu du Mont-Gambier (Boandik ou Bung’andatch). Le cas de cette dernière est même particulièrement instructif au point de vue de la critique de textes ethnographiques : car le clan du corbeau, auteur de la pluie, a, précisément, dans les tribus voisines, la réputation d’être composé de véritables sorciers, alors que, par rapport à la tribu elle-même, ce clan ne remplit qu’un rôle licite, régulier ; on aurait donc pu, si l’on s’en était tenu à ces renseignements indirects, admettre que la tribu des Boandick avait des magiciens, faiseurs de pluie héréditaires. Les faiseurs de pluie Miorli auxquels s’adressent les Pitta-Pitta de Boulia sont probablement aussi les hommes d’un clan ou d’un sous-clan totémique ; en tout cas, les faiseurs de pluie Mallanpara de la rivière Tully inférieure le sont certainement. Même certaines tribus, où l’organisation totémique a presque disparu, n’en ont pour ainsi dire conservé de traces que pour nous empêcher de classer, autre part que parmi les rites religieux des clans, les cérémonies pour la fabrication de la pluie, et pour nous empêcher de voir, parmi les producteurs héréditaires de celle-ci, le véritables magiciens dont nous puissions dire qu’ils sont tels par droit de naissance. Nous voulons surtout parler des Kurnai du Gippsland. Justement M. Howitt insiste sur le caractère régulier et quasi religieux de leurs rites concernant la pluie ; chaque clan local a régulièrement pouvoir sur une des directions d’où peut venir la pluie, et son maître de la pluie ou du vent pour la faire tomber. D’ailleurs, même si ces derniers personnages étaient bien des magiciens, il ne serait nullement prouvé que, dans leur cas, leur pouvoir serait un don inné, car, précisément, M. Howitt nous dit qu’il faut des « conditions favorables pour qu’il devienne héréditaire » ; et même ailleurs, il maintient qu’il faut que ces personnages obtiennent leurs pouvoirs dans un rêve.

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