V Les rapports entre l’initiation par révélation et l’initiation par tradition magique

Les liens qui unissent les deux modes d’entrée dans la profession magique paraissent, en somme, infiniment plus étroits que la nature même des circonstances ne le faisait supposer.

D’une part il est en effet constant que, après la révélation, après le changement des organes, dans des sociétés pour lesquelles nos informations sont assez complètes, comme chez les Arunta, le nouveau magicien a encore à apprendre, par tradition orale un certain nombre de formules et de rites nécessaires. La même chose se passe pour les magiciens Murring. Quelque importance qu’aient le contact direct, l’identification même avec les esprits, ils ne dispensent pas de l’éducation par les anciens dans les secrets de l’art magique.

D’autre part, même là où la tradition magique se fait le plus simplement, elle semble encore s’entourer d’une masse considérable de rites dont la portée imaginaire fait ressembler quelquefois complètement l’action des magiciens à l’action des esprits.

La relation intime entre les deux initiations s’exprime heureusement dans quelques faits. Ainsi ce semble être un principe chez les Murring de la côte que la révélation par Daramulum communique les pouvoirs sans communiquer la connaissance que donne la révélation par les autres magiciens.

Ce lien qui unit la tradition et la révélation magique provient des conditions mêmes de ces faits. Il ne s’agit ici que de phénomènes de croyance, où la foi et l’illusion jouent un rôle prédominant, quelque importance que puissent avoir les rites et les enseignements véritables. D’autre part, cette foi ne s’attache qu’à des objets tout traditionnels, à des personnes mythiques ou à des substances dont les propriétés sont indéfinies (os de mort, cristaux de roche), mais dont le pouvoir connu est nettement déterminé comme magique. C’est pourquoi la révélation ne fait que donner accès à la corporation des magiciens et, d’autre part, l’entrée dans le corps des docteurs est conçue comme une révélation, car c’est malgré tout de façon surnaturelle qu’au cours des rites on acquiert les pouvoirs magiques. C’est pourquoi, dans quelques renseignements précis, il nous est bien dit que le jeune magicien initié, même après avoir été mis en relation avec les esprits, reçoit une éducation très longue, ses pouvoirs n’arrivant à maturité qu’après un certain temps.

Il lui faut en effet acquérir la connaissance des substances et des rites traditionnels ; il lui faut, afin de ne pas ébranler, par des dérogations aux règles, les croyances qu’il s’agit d’exploiter, probablement, quelques tours de main indispensables. Il lui faut enfin le temps de se faire reconnaître comme magicien, de faire ses preuves ; et il est soumis à des épreuves quasi expérimentales. Peut-être y soumet-il lui-même son pouvoir. C’est du moins ce qu’il est permis de supposer. Une remarque très fine de MM. Spencer et Gillen dit que le nouveau magicien Arunta met quelque temps à se convaincre qu’il a bien réellement subi les aventures dont la tradition impose d’ailleurs l’image à son rêve. Il lui faut méditer pour retrouver et vérifier des souvenirs qui lui sont fournis stéréotypés par tous les on-dit. Il y a une nécessité psychologique qui fait que la révélation devient une espèce de tradition, même chez l’individu qui en fut le héros.

Il en est, toutes proportions gardées, exactement mais inversement de même en ce qui concerne les initiations par les magiciens. Elles sont, à quelque degré, des révélations. Non seulement certaines d’entre elles cadrent exactement avec des initiations par révélation, mais encore toutes ont pour effet de transporter les magiciens dans un monde spécial, imaginaire, de les mettre en contact direct avec les esprits. Le temps d’épreuves auxquels ils sont soumis même dans ce cas démontre précisément qu’il s’agit bien, pour eux et pour leurs crédules spectateurs, de prouver qu’ils ont acquis une qualité nouvelle, toute mythique, à savoir, la possession de pouvoirs spéciaux, matérialisés d’ordinaire dans l’os de mort ou le cristal de roche ; et qu’ils ont acquis des relations intimes avec des esprits familiers, relations que témoignent quelquefois des dessins ou même des stigmates particuliers.

En somme, tout se passe ici sur un terrain mouvant où le mythe et le rite, les sensations, les actes, les inspirations, les illusions et les hallucinations se mêlent, non sans harmonie, pour former une image traditionnelle du magicien ; image grossie chez les autres membres de la tribu, atténuée chez lui, mais à laquelle s’attache, en son esprit, une croyance ferme et relativement peu feinte.

Share on Twitter Share on Facebook