CHAPITRE II.

De l'équité, de la Loi.—Opposition du théologien et du juriste.

«Il vaut mieux se gouverner d'après la raison naturelle que d'après la loi écrite, car la raison est l'âme et la reine de la loi[r89]. Mais où sont les gens qui ont une telle intelligence? on en peut à peine trouver un par siècle. Notre gracieux seigneur, l'électeur Frédéric, était un tel homme. Il y a eu encore son conseiller le seigneur Fabian de Feilitsch, un laïc, qui n'avait point étudié et qui répondait sur apices et medullam juris mieux que les juristes d'après leurs livres.—Maître Philippe Mélanchton enseigne les arts libéraux, de manière qu'il en tire moins de lumière qu'il ne leur en prête lui-même. Moi aussi, je porte mon art dans les livres, je ne l'en tire point. Celui qui voudrait imiter les quatre hommes dont je viens de parler, ferait aussi bien d'y renoncer; il faut plutôt qu'il apprenne et qu'il écoute. De tels prodiges sont rares. La loi écrite est pour le peuple et l'homme du commun. La raison naturelle et la haute intelligence sont pour les hommes dont j'ai parlé.»

«Il y a un éternel combat entre les juristes et les théologiens; c'est la même opposition qu'entre la loi et la grâce.»

«Le droit est une belle fiancée, pourvu qu'elle reste dans son lit nuptial[r90]. Si elle monte dans un autre lit et veut gouverner la théologie, c'est une grande p...... Le droit doit ôter sa barrette devant la théologie.»

A Mélanchton. «Je pense comme autrefois sur le droit du glaive; je pense avec toi que l'Évangile n'a rien enseigné ni conseillé sur ce droit, et que cela ne devait être en aucune façon, parce que l'Évangile est la loi des volontés et des libertés, qui n'ont rien à faire avec le glaive ou le droit du glaive. Mais ce droit n'y est pas aboli, il y est même confirmé et recommandé; ce qui n'a lieu pour aucune des choses simplement permises.»

«Avant moi, il n'y a aucun juriste qui ait su ce qu'est le droit, relativement à Dieu[r91]. Ce qu'ils ont, ils l'ont de moi. Il n'est point mis dans l'Évangile que l'on doive adorer les juristes. Si notre Seigneur Dieu veut juger, que lui importent les juristes? Pour ce qui regarde le monde, je les laisse maîtres. Mais dans les choses de Dieu ils doivent être sous moi. Mon psaume à moi, c'est celui-ci: Rois soyez châtiés, etc. S'il faut qu'un des deux périsse, périsse le droit, règne le Christ!

»Principes convenerunt in unum. David le dit lui-même, contre son fils se dresseront la puissance, la sagesse, la multitude du monde, et il doit être seul contre beaucoup, insensé contre les sages, impuissant contre les puissans. Certes, c'est là une merveilleuse conduite des choses. Notre Seigneur Dieu ne manque de rien que de gens sages, mais derrière sonne le terrible Et nunc, reges, intelligite; erudimini qui judicatis terram (Comprenez maintenant, ô rois; instruisez-vous, juges de la terre).

»Si les juristes ne prient point pour le pardon de leurs péchés et n'acceptent point l'Évangile, je veux les confondre, de sorte qu'ils ne sachent plus comment se tirer d'affaire. Je n'entends rien au droit, mais je suis seigneur du droit dans les choses qui touchent la conscience.

»Nous sommes redevables aux juristes d'avoir enseigné et d'enseigner au monde tant d'équivoques, de chicanes, de calomnies, que le langage est devenu plus confus que dans une Babel. Ici, nul ne peut comprendre l'autre, là, nul ne veut comprendre. O sycophantes, ô sophistes, pestes du genre humain. Je t'écris tout en colère, et je ne sais si, de sang-froid, j'enseignerais mieux.» (6 février 1546.)

La veille d'un jour où on allait faire un docteur en droit, Luther disait: «Demain on fera une nouvelle vipère contre les théologiens.»

«On a raison de dire: un bon juriste est un mauvais chrétien. En effet, le juriste estime et vante la justice des œuvres, comme si c'était par là qu'on est juste devant Dieu. S'il devient chrétien, il est considéré parmi les juristes comme un animal monstrueux, il faut qu'il mendie son pain, les autres le regardent comme séditieux.

»Qu'on frappe la conscience des juristes, ils ne savent ce qu'ils doivent faire. Münzer les attaquait avec l'épée; c'était un fou.

»Si j'étudiais seulement deux ans en droit, je voudrais devenir plus savant que le docteur C.; car je parlerais des choses, selon qu'elle sont véritablement justes ou injustes. Mais lui, il chicane sur les mots.

»La doctrine des juristes n'est rien qu'un nisi, un excepté. La théologie ne procède pas ainsi, elle a un ferme fondement.

»L'autorité des théologiens consiste en ce qu'ils peuvent obscurcir les universaux, et tout ce qui s'y rapporte. Ils peuvent élever et abaisser. Si la Parole se fait entendre, Moïse et l'Empereur doivent céder.

»Le droit et les lois des Perses et des Grecs sont tombés en désuétude et abolis. Le droit romain ou impérial ne tient plus qu'à un fil[a64]. Car si un empire ou un royaume tombe, ses lois et ordonnances doivent tomber aussi.

»Je laisse le cordonnier, le tailleur, le juriste pour ce qu'ils sont. Mais qu'ils n'attaquent point ma chaire!...

»Beaucoup de gens croient que la théologie qui est révélée aujourd'hui, n'est rien. Si cela a lieu de notre vivant, que sera-ce après notre mort? En récompense beaucoup d'entre nous sont gros de cette pensée dont ils accoucheront plus tard, que le droit n'est rien.

Sermon contre les juristes, prêché le jour des Rois. «Voilà comme agissent nos fiers juristes et chevaliers ès-lois de Wittemberg... Ils ne lisent point nos livres, les appellent catoniques (pour canoniques), ne s'inquiètent pas de notre Seigneur, et ne visitent point nos églises[r92]. Eh bien! puisqu'ils ne reconnaissent point le docteur Pomer pour évêque de Wittemberg, ni moi pour prédicateur de cette église, je ne les compte plus dans mon troupeau.

»Mais, disent-ils, vous allez contre le droit impérial. J'emm...e ce droit qui fait tort au pauvre homme.»

Suit un dialogue du juriste avec le plaideur à qui il promet pour dix thalers de faire traîner une affaire dix ans... «Bonnes et pieuses gens comme Reinicke Fuchs, dans le poème du Renard...»

«Bon peuple, veuillez agréer les motifs pour lesquels je veux être impitoyable envers les juristes[r93]... Ils vantent le droit canonique, la m...e du pape, et le représentent comme une chose magnifique, lorsque nous l'avons, avec tant de peine, repoussé et chassé de nos églises... Je te le conseille, juriste, laisse dormir le vieux dogue[a65]. Une fois éveillé, tu ne le ramènerais pas aisément à la loge.

»Les juristes se plaignent fort, et m'en veulent. Qu'y puis-je faire? Si je ne devais pas rendre compte de leurs âmes, je ne les châtierais point.» Il déclare pourtant ensuite[a66] qu'il n'a point parlé des juristes pieux.[a67]

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