La Foi, la Loi.
A Gerbellius: «Dans cette cohue de scandales, ne te démens pas toi-même. Je te la rends pour te soutenir, l'épouse (la foi) que tu m'as montrée jadis; je te la rends vierge et sans tache. Mais ce qu'il y a en elle d'admirable et d'inouï, c'est qu'elle désire et attire une infinité de rivaux, et qu'elle est d'autant plus chaste qu'elle est l'épouse d'un plus grand nombre.
»Notre rival, Philippe Mélanchton, te salue. Adieu, sois heureux avec la fiancée de ta jeunesse.» (23 janvier 1523).
A Mélanchton. «Sois pécheur, et pèche fortement, mais aie encore plus forte confiance, et réjouis-toi en Christ, qui est le vainqueur du péché, de la mort et du monde. Il faut pécher, tant que nous sommes ici. Cette vie n'est point le séjour de la justice; non, nous attendons, comme dit Pierre, les cieux nouveaux et la terre nouvelle où la justice habite.....»
«Prie grandement; car tu es un grand pécheur.»
«Je suis maintenant tout-à-fait dans la doctrine de la rémission des péchés[r94]. Je n'accorde rien à la Loi ni à tous les Diables. Celui qui peut croire en son cœur à la rémission des péchés, celui-là est sauvé.»
«De même qu'il est impossible de rencontrer dans la nature le point mathématique, indivisible, de même l'on ne trouve nulle part la justice telle que la Loi la demande. Personne ne peut satisfaire à la Loi entièrement, et les juristes eux-mêmes, malgré tout leur art, sont bien souvent obligés de recourir à la rémission des péchés, car ils n'atteignent pas toujours le but, et quand ils ont rendu un faux jugement, et que le Diable leur tourmente la conscience, ni Barthole, ni Baldus, ni tous leurs autres docteurs ne leur servent de rien. Pour résister, ils sont forcés de se couvrir de l'ἐπιείκεια, c'est-à-dire de la rémission des péchés. Ils font leur possible pour bien juger, et après cela il ne leur reste plus qu'à dire: «Si j'ai mal jugé, ô mon Dieu, pardonne-le-moi.»—C'est la théologie seule qui possède le point mathématique, elle ne tâtonne pas, elle a le Verbe même de Dieu. Elle dit: «Il n'est qu'une justice, Jésus-Christ. Qui vit en lui, celui-là est juste.»
»La Loi sans doute est nécessaire, mais non pour la béatitude, car personne ne peut l'accomplir; mais le pardon des péchés la consomme et l'accomplit[r95].
»La Loi est un vrai labyrinthe qui ne peut que brouiller les consciences, et la justice de la Loi est un minotaure, c'est-à-dire une pure fiction qui ne nous conduit point à la béatitude, mais nous attire en enfer.»
Addition de Luther à une lettre de Mélanchton sur la Grâce et la Loi...—«Pour me délivrer entièrement de la vue de la loi et des œuvres, je ne me contente pas même de voir en Jésus-Christ mon maître, mon docteur et mon donateur, je veux qu'il soit lui-même ma doctrine et mon don, de telle sorte, qu'en lui je possède toute chose[r96]. Il dit: «Je suis le chemin, la vérité et la vie,» non pas: «Je te montre ou je te donne le chemin, la vérité et la vie,» comme s'il opérait seulement ceci en moi, et que lui-même il fût néanmoins en dehors de moi...»—«Il n'est qu'un seul point dans toute la théologie: vraie foi et confiance en Jésus-Christ[r97]. Cet article contient tous les autres.—«Notre foi est un soupir inexprimable.» Et ailleurs: «Nous sommes nos propres geôliers. (C'est-à-dire que nous nous enfermons dans nos œuvres, au lieu de nous élancer dans la foi[r98].)
»Le diable veut seulement une justice active, une justice que nous fassions nous-mêmes en nous, tandis que nous n'en avons qu'une passive et étrangère qu'il ne veut point nous laisser[r99]. Si nous étions bornés à l'active, nous serions perdus, car elle est défectueuse dans tous les hommes.»
Un docteur anglais, Antonius Barns, demandait au docteur Luther si les chrétiens, justifiés par la foi en Christ, méritaient quelque chose pour les œuvres qui venaient ensuite[r100]. Car cette question était souvent agitée en Angleterre. Réponse: 1o Nous sommes encore pécheurs après la justification; 2o Dieu promet récompense à ceux qui font bien. Les œuvres ne méritent point le ciel, mais elles ornent la foi qui nous justifie. Dieu ne couronne que les dons mêmes qu'il nous a faits.
Fidelis animæ vox ad Christum. Ego sum tuum peccatum, tu mea justitia; triumpho igitur securus, etc.
«Pour résister au désespoir, il ne suffit pas d'avoir de vains mots sur la langue, ni une vaine et faible opinion; mais il faut qu'on relève la tête, que l'on prenne une âme ferme et que l'on se confie en Christ contre le péché, la mort, l'enfer, la Loi et la mauvaise conscience[r101].»
«Quand la Loi t'accuse et te reproche tes fautes, ta conscience te dit: Oui, Dieu a donné la Loi et commandé de l'observer sous peine de damnation éternelle; il faut donc que tu sois damné. A cela tu répondras: Je sais bien que Dieu a donné la Loi, mais il a aussi donné par son fils l'Évangile qui dit: Celui qui aura reçu le baptême et qui croira, sera sauvé. Cet Évangile est plus grand que toute la Loi, car la Loi est terrestre et nous a été transmise par un homme; l'Évangile est céleste et nous a été apporté par le Fils de Dieu.—N'importe, dit la conscience, tu as péché et transgressé le commandement de Dieu; donc tu seras damné.—Réponse: Je sais fort bien que j'ai péché, mais l'Évangile m'affranchit de mes péchés, parce que je crois en Jésus, et cet Évangile est élevé au-dessus de la Loi autant que le ciel l'est au-dessus de la terre. C'est pourquoi le corps doit rester sur la terre et porter le fardeau de la Loi, mais la conscience monter, avec Isaac, sur la montagne, et s'attacher à l'Évangile, qui promet la vie éternelle à ceux qui croient en Jésus-Christ.—N'importe, dit encore la conscience, tu iras en enfer; tu n'as pas observé la Loi.—Réponse: Oui, si le ciel ne venait à mon secours; mais il est venu à mon secours, il s'est ouvert pour moi; le Seigneur a dit: Celui qui sera baptisé et qui croira, sera sauvé.»
«Dieu dit à Moïse: Tu verras mon dos, mais non point mon visage[r102]. Le dos c'est la Loi, le visage c'est l'Évangile.»
«La Loi ne souffre pas la Grâce, et à son tour la Grâce ne souffre pas la Loi. La Loi est donnée seulement aux orgueilleux, aux arrogans, à la noblesse, aux paysans, aux hypocrites et à ceux qui ont mis leur amour et leur plaisir dans la multitude des lois. Mais la Grâce est promise aux pauvres cœurs souffrans, aux humbles, aux affligés; c'est eux que regarde le pardon des péchés. A la Grâce appartiennent maître Nicolas Hausmann, Cordatus, Philippe (Mélanchton) et moi.»
«Il n'y a point d'auteur, excepté saint Paul, qui ait écrit d'une manière complète et parfaite sur la Loi, car c'est la mort de toute raison de juger la Loi: l'esprit en est le seul juge.» (15 août 1530.)
«La bonne et véritable théologie consiste dans la pratique, l'usage et l'exercice. Sa base et son fondement, c'est le Christ, dont on comprend avec la foi, la passion, la mort et la résurrection. Ils se font aujourd'hui, pour eux, une théologie spéculative d'après la raison. Cette théologie spéculative appartient au diable dans l'enfer. Ainsi Zwingle et les sacramentaires spéculent que le corps du Christ est dans le pain, mais seulement dans le sens spirituel. C'est aussi la théologie d'Origène. David n'agit pas ainsi, mais il reconnaît ses péchés et dit: Miserere mei Domine!»
«J'ai vu naguère deux signes au ciel. Je regardais par la fenêtre au milieu de la nuit, et je vis les étoiles et toute la voûte majestueuse de Dieu se soutenir sans que je pusse apercevoir les colonnes sur lesquelles le Maître avait appuyé cette voûte. Cependant elle ne s'écroulait pas. Il y en a maintenant qui cherchent ces colonnes et qui voudraient les toucher de leurs mains. Mais comme ils n'y peuvent arriver, ils tremblent, se lamentent, et craignent que le ciel ne tombe. Ils pourraient les toucher que le ciel n'en bougerait pas.
»Plus tard je vis de gros nuages, tout chargés, qui flottaient sur ma tête comme un océan. Je n'apercevais nul appui qui les pût soutenir. Néanmoins, ils ne tombaient pas, mais nous saluaient tristement et passaient. Et comme ils passaient, je distinguai dessous la courbe qui les avait soutenus, un délicieux arc-en-ciel. Mince il était sans doute, bien délicat, et l'on devait trembler pour lui en voyant la masse des nuages. Cependant cette ligne aérienne suffisait pour porter cette charge et nous protéger. Nous en voyons toutefois qui craignent le poids du nuage, et ne se fient pas au léger soutien; ils voudraient bien en éprouver la force, et, ne le pouvant, ils craignent que les nuages ne fondent et ne nous abîment de leurs flots..... Notre arc-en-ciel est faible, leurs nuages sont lourds. Mais la fin jugera de la force de l'arc. Sed in fine videbitur cujus toni.»[a68] (août 1530.)