Analyse raisonnée de l’Esprit des Lois

PAR BERTOLINI 1

1754

L’auteur des Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence a publié un ouvrage de législation. Une parfaite harmonie, un heureux enchaînement, une exacte ressemblance, et, pour ainsi dire, un même air majestueux de famille entre ces deux originaux, ont indiqué d’abord les mêmes mains paternelles. C’est ainsi que Platon, Cicéron, et autres grands hommes, après avoir développé les ressorts des gouvernements, s’attachèrent à donner des règles de législation ; tant il est vrai que la durée et la prospérité des États sont inséparables de la bonté des lois, et que de pareilles opérations sont réservées à des hommes rares et d’une extrême vigueur de génie, capables de tracer le plan des empires et d’en jeter les fondements.

L’objet de l’ouvrage ne saurait être plus intéressant : on ne cherche qu’à augmenter les connaissances de ceux qui commandent, sur ce qu’ils doivent prescrire, et à faire trouver à ceux qui obéissent un nouveau plaisir à obéir.

Il est aisé de remplir un objet aussi bienfaisant, quand on se propose des principes également bienfaisants. La paix et le désir de vivre en société, puisés dans les lois de la nature ; le système, autant dangereux qu’absurde, de l’état naturel de guerre, anéanti ; le droit des gens établi sur ce grand principe, que les nations doivent se faire dans la paix le plus de bien, et dans la guerre le moins de mal qu’il est possible ; l’esprit de conquête et d’agrandissement, décrié ; des flétrissures perpétuelles sur le despotisme ; de l’horreur contre les grands coups d’autorité ; la félicité publique fondée sur le rapport d’amour entre le souverain et les sujets ; enfin des maximes propres à faire naître la candeur des mœurs et la douceur des lois : voilà les principaux traits de cet ouvrage, qui forment son esprit général, ou plutôt le triomphe de la modération et de la sûreté.

Notre auteur considère d’abord les lois dans la vue la plus universelle, c’est-à-dire ces lois générales et immuables qui, dans la relation qu’elles ont avec les divers êtres physiques, s’observent, sans aucune exception, avec un ordre, une régularité et une promptitude infinie.

Il fait descendre du ciel les lois primitives dans la relation qu’elles ont avec les êtres intelligents. Comme ces lois doivent leur origine non aux institutions humaines, mais à l’auteur de la nature, on est charmé d’y voir résider la vérité, sans que leurs traits vieillissent jamais.

Il examine les lois par rapport à l’homme considéré avant l’établissement des sociétés, et par conséquent dans l’état de nature. Il les cherche telles qu’on les a fixées après que les hommes se sont liés en société, dans les rapports, ou de nation à nation, ce qui forme le droit des gens ; ou du souverain aux sujets, ce qui établit le droit politique ; ou de citoyen à citoyen, ce qui constitue le droit civil. Notre auteur a trop de pénétration pour ne pas apercevoir la suprême influence de ces notions, qui dominent sur le corps entier de son ouvrage : aussi est-il attentif à porter une lumière toute nouvelle sur cette matière qui, malgré les éclaircissements de tant d’habiles gens, ne laissait pas d’être encore de nos jours défigurée par des absurdités.

Après ces notions préliminaires, la constitution des gouvernements, leur force offensive et défensive, la liberté, le physique du climat et du terroir, l’esprit général de la nation, le commerce, la population, sont les principaux chefs auxquels notre auteur rapporte la législation 2 . C’est de ces rapports primitifs qu’une infinité d’autres coulent comme de leur source.

Pour ce qui est de la constitution, il fixe trois espèces de gouvernements : républicain, monarchique et despotique. Il en découvre la nature, et il montre les lois fondamentales qui en dérivent. Ces lois partent d’elles-mêmes d’une si grande universalité, qu’on peut les regarder comme la base de la constitution. Comme c’est par ces lois fondamentales qu’il faut régler la puissance souveraine, les droits des sujets et les fonctions des magistrats, aussi est-ce dans la juste fixation de ces mêmes lois que notre auteur s’est signalé. J’oserai presque dire que ses théories n’ont pas produit une admiration stérile. Il ne s’arrête pas à des préjugés ; il va directement au but des choses, tirant ces lois de la nature de chaque constitution. C’est ainsi qu’un auteur judicieux établit des principes.

Comme chaque espèce de gouvernement, outre ses lois fondamentales qui lui sont propres, a besoin aussi de ressorts particuliers qui maintiennent et soutiennent sa constitution et la fassent agir, notre auteur, avec un esprit de justesse et de précision incomparable, recherche, examine et découvre ces ressorts dans la nature même de chaque gouvernement ; ressorts qu’il appelle principes. La vertu politique, c’est-à-dire l’amour de la patrie et de l’égalité, fait agir le gouvernement républicain ; l’honneur est le mobile du gouvernement monarchique ; la crainte entraîne tout dans le gouvernement despotique. Ces principes ont tant de vues, et ils influent si immédiatement sur la constitution, qu’on peut les considérer comme la clef d’une infinité de lois. Notre auteur découvre d’un si beau point de vue les détails immenses des lois.

C’est à ce principe qu’il rapporte les lois de l’éducation. En effet, c’est par là que les grands politiques et les sages législateurs ont tracé le plan de leur législation, ayant toujours regardé l’éducation comme l’âme, l’ordre, le conseil, la vigueur du gouvernement. C’est surtout lorsqu’il parle de l’éducation propre au gouvernement monarchique, qu’il fouille dans les replis les plus secrets du cœur humain, afin de pouvoir dévoiler les ressorts de l’honneur, et développer les semences de ses bizarreries. Il remonte à l’antiquité la plus reculée pour y chercher des exemples frappants de cette vertu politique si nécessaire à former un vrai républicain, il nous fait trouver des points fixes dans ces institutions singulières que, sans ses éclaircissements, on aurait crues n’être que l’ouvrage d’une spéculation oisive, ou de quelque esprit inquiet.

Notre auteur, sûr de la possession de ses immenses richesses, se plaît à faire toujours entrevoir des germes de pensées cachées, que la méditation du lecteur fait éclore. La chaîne précieuse des idées qui se suivent, même sans se montrer, parait indiquer dans ce livre sur l’éducation que ce serait l’endroit propre pour rendre hommage à cette philosophie qui, débarrassée de toutes questions frivoles, ou plus curieuses qu’utiles, n’a pour objet que la recherche du vrai bien et les principes de la saine morale ; par conséquent cette philosophie saine et bienfaisante qui, avec des yeux de mère, n’a d’autre soin que de cultiver un esprit et une âme qui doit être vigilante, qui doit être sage, qui doit être juste pour la société ; cette philosophie, qui a une force et une efficace de vive loi, parce qu’elle forme le bon prince, le bon magistrat, le bon sujet, le bon patriote, le bon parent et, pour tout dire, le citoyen vertueux. Sans cette philosophie, Alexandre n’aurait jamais civilisé tant de peuples. Inspirés par cette philosophie, les enfants de ces contrées barbares faisaient leur passe-temps de lire les vers d’Homère, et de chanter les tragédies de Sophocle et d’Euripide. Sans cette philosophie, Épaminondas n’aurait pas fait l’admiration de l’univers.

Notre auteur, après avoir jeté des fondements si solides à l’égard de l’éducation, suivant toujours de près les principes de chaque gouvernement, rapporte à une théorie si féconde et si générale de ces mêmes principes les lois que le législateur veut donner à toute la société.

Chose singulière ! toutes promptes et étendues que sont les vues de notre auteur, elles ne sauraient ici le décharger de la plus laborieuse attention. Comme il a l’habileté suprême de distinguer quand il faut seulement indiquer, quand il faut enseigner, quand il faut diriger, ce n’est qu’après des recherches sans nombre et compliquées, inséparables d’un grand travail et d’une application suivie, qu’il découvre ici toutes les faces de ces objets de législation, et leurs différences les plus délicates. C’est ainsi que dans une beauté achevée du corps humain, qui consiste dans la juste proportion de ses parties, celles qui doivent avoir plus de force ont aussi plus de grosseur, celles qui doivent être plus déliées sont à mesure plus déchargées.

Ainsi c’est avec la dernière exactitude que notre auteur, en conformité des principes du gouvernement républicain, où il est souverainement important que la volonté particulière ne trouble pas la disposition de la loi fondamentale, montre les lois propres à favoriser la subordination aux magistrats, le respect pour les vieillards, la puissance paternelle, l’attachement aux anciennes institutions, la bonté des mœurs. II règle aussi le partage des terres, les dots, les manières de contracter, les donations, les testaments, les successions, pour conserver l’égalité qui est l’âme de ce gouvernement.

Et comme les lois romaines, malgré la révolution des empires, seront toujours à plusieurs égards le modèle de toute législation sensée, notre auteur, pour faire mieux sentir l’étroite liaison des lois de succession avec la nature du gouvernement, remonte jusqu’à l’origine de Rome pour chercher sous des toits rustiques, et dans le partage du petit territoire d’un peuple naissant, composé de pâtres, les lois civiles à ce sujet, dont le changement tint toujours à celui de la constitution 3 . Ici, comme partout ailleurs, on est convaincu que la politique, la philosophie, la jurisprudence, par leur secours mutuel, portent des lumières là où l’on n’entrevoyait que de faibles lueurs.

Les prééminences, les rangs, les distinctions, la noblesse, entrent dans l’essence de la monarchie. C’est donc des principes de ce gouvernement qu’il fait descendre les lois qui concernent les privilèges, des terres nobles, les fiefs, les retraits lignagers, les substitutions et autres prérogatives, qu’on ne saurait par conséquent communiquer au peuple sans diminuer la force de la noblesse et celle du peuple même, et sans choquer inutilement tous les principes.

Notre auteur est charmé de reconnaître ici l’excellence des principes du gouvernement monarchique, et ses avantages sur les autres espèces de gouvernements : les différents ordres qui tiennent à la constitution la rendent inébranlable au point de voir ses ressorts remis en équilibre au moment même de leur dérèglement.

Il développe les lois qui sont relatives à ce mouvement de rapidité, à ces violences, à cette affreuse tranquillité, à cette léthargie, à cet esclavage du gouvernement despotique : il se déchaîne contre ces caprices, ces fureurs, ces vengeances, cette avarice, ces volontés rigides, momentanées et subites d’un visir qui est tout, tandis que les autres ne sont rien : il trace avec les couleurs les plus noires une peinture si naïve des fantaisies, des indignations, des inconstances, des imbécillités, des voluptés, de cette paresse et de cet abandon de tout, d’un despote, ou plutôt du premier prisonnier enfermé dans son palais, que, nous inspirant de l’horreur contre cette espèce de gouvernement, il parait nous avertir tacitement combien nous sommes obligés de rendre grâces au ciel de nous avoir fait naître dans nos contrées heureuses, où les souverains, toujours agissants, toujours travaillants, et menant une vie appliquée, ne sont occupés que du bien-être de leurs sujets, comme un bon père de famille est attentif au bien de ses enfants.

C’est en tirant les conséquences de ces mêmes principes, par rapport à la manière de former les jugements, qu’il sait tendre les piéges les plus adroits au despotisme, heureusement inconnu aux sages gouvernements de nos jours, où un corps permanent de plusieurs juges est le seul dépositaire de la vie, de l’honneur et des biens de chaque citoyen ; où les souverains, laissant aux mêmes juges le pouvoir de punir, se réservent celui de faire grâce, qui est le plus bel attribut de la souveraineté ; et où les ministres, sans se mêler des affaires contentieuses, veillent nuit et jour aux grands intérêts de l’État, n’exigeant d’autre récompense de leurs travaux que le pouvoir de faire des heureux. Notre auteur, pour inspirer par le contraste plus de respect pour ces corps augustes, ou, pour mieux dire, pour ces sanctuaires de justice, de vérité, de sagesse, nous rappelle avec horreur le jugement d’Appius, ce magistrat inique qui abusa de son pouvoir jusqu’à violer la loi faite par lui-même.

Il nous met entre les mains des trésors inestimables à l’égard de l’établissement des peines. Il nous montre que la douceur et la modération sont les vertus propres des grandes âmes, nées pour faire le bonheur des peuples. Il faut en convenir, les connaissances rendent les hommes doux, la raison porte à l’humanité, et il n’y a que les préjugés qui y fassent renoncer.

Ainsi, ce n’est pas ici un de ces législateurs qui, avec un air irrité et terrible, avec des yeux pleins d’un feu sombre, lance des regards farouches, menace, tonne, et porte l’épouvante partout, et ne sachant être juste sans outrer la justice même, ni bienfaisant sans avoir été oppresseur, prend toujours les voies extrêmes pour agir avec violence au lieu de juger, pour faire des outrages au lieu de punir, pour exterminer tout par le glaive au lieu de régler.

C’est un bon législateur qui cherche plutôt à corriger qu’à mortifier, plutôt à humilier qu’à déshonorer, plutôt à prévenir des crimes qu’à les punir, plutôt à inspirer des mœurs qu’à infliger des supplices, plutôt à obliger à vivre selon les règles de la société qu’à retrancher de la société : c’est un sage magistrat qui sait distinguer les cas où il faut être neutre, et ceux où il faut être protecteur ; parce qu’il a assez d’esprit et de cœur pour saisir le point critique et délicat auquel la justice finit et où commence l’oppression, qui, étant exercée à l’ombre de la justice et de sang-froid, serait la source la plus empoisonnée d’une tyrannie sourde et inexorable : c’est un père tendre et compatissant, qui sait trouver ce sage milieu entre l’indolence et la dureté, je veux dire la clémence.

Il n’est pas indifférent que je fasse ici une remarque. Quand notre auteur parle des peines, il ne faut pas attendre de lui des interprétations, des déclarations, des axiomes et des décisions, comme on voit dans les livres des jurisconsultes : ce serait n’avoir pas une idée juste de son ouvrage que de le regarder dans un point de vue si borné. Notre auteur, ici comme partout ailleurs, aspire à quelque chose de plus haut, de plus noble et de plus étendu ; il n’enseigne point en simple jurisconsulte qui s’arrête à examiner en détail ce qui est juste ou injuste dans les affaires contentieuses ; son dessein est de découvrir tous les objets différents de législation, qu’il a dû embrasser d’une vue générale. Ainsi le grand ressort de son ouvrage est la science du gouvernement, qui réunit toutes les sciences, tous les arts, toutes les connaissances, toutes les lois, en un mot tout ce qui peut être utile à la société.

C’est lorsqu’il traite du luxe propre au gouvernement républicain, et lorsqu’il parle de la condition des femmes, qu’il sait accorder d’une manière merveilleuse la politique avec la pureté des mœurs. Pour preuve de cette heureuse conciliation, il suffirait de rappeler ici le bel éloge que notre auteur fait des coutumes de ces peuples où l’amour, la beauté, la chasteté, la vertu, la naissance, les richesses même, tout cela était, pour ainsi dire, la dot de la vertu.

On est charmé de la juste apologie que notre auteur fait de l’administration des femmes, jusqu’à les placer sur le trône, non par leurs grâces, par leurs talents, mais par leur humanité, mais par leur douceur, mais par leurs sentiments tendres et compatissants qui assurent la modération dans le gouvernement. En effet, quel beau règne que celui de l’auguste souveraine Marie-Thérèse ! Non, le ciel n’a jamais confié la tutelle des peuples à une princesse plus vertueuse et plus digne de les gouverner.

L’influence des principes de chaque gouvernement est si grande, et ils ont tant de force sur la constitution, que c’est par leur corruption que tout gouvernement doit périr. Sparte, dont les institutions furent avec raison regardées comme l’ouvrage des dieux, périt par la corruption de ses principes. Dès lors ce ne furent plus les mêmes vues, les mêmes désirs, les mêmes craintes, les mêmes précautions, les mêmes soins, les mêmes travaux. Rien ne se rapporta plus au bien général, personne ne respira plus la gloire et la liberté. Ce fut par la corruption de ses principes qu’Athènes, malgré sa police, ses mœurs et les belles institutions de Solon, reçut des plaies profondes, sans pouvoir retrouver aucun vestige de cette ancienne politique mâle et vigoureuse, qui savait préparer les bons succès et réparer les mauvais. Dès lors Athènes, autrefois si peuplée d’ambassadeurs qui venaient en foule réclamer sa protection ; Athènes, superbe par le nombre de ses vaisseaux, de ses troupes, de ses arsenaux, par l’empire de la mer, fut réduite à combattre, non pour la prééminence sur les Grecs, mais pour la conservation de ses foyers. Quel spectacle affreux de voir des scélérats qui conspiraient à la ruine de la patrie, prétendre aux honneurs rendus à Thémistocle, et aux héros qui moururent aux batailles de Marathon et de Platée ! Cela fit que des citoyens impies, et vendus aux puissances ennemies lorsqu’elles prospéraient, se promenaient avec un visage content et serein dans les places publiques ; et, au récit des événements heureux pour la patrie, ils n’étaient point honteux de trembler, de gémir, de baisser les yeux vers la terre. Cela fit qu’on vit paraître sur la tribune, des flatteurs, des prévaricateurs, des mercenaires, pour proposer des décrets aussi fastueux que lâches et scandaleux, qui dégradaient la cité et la couvraient d’opprobre. Ce fut enfin par la corruption de ces principes que tout fut perdu à Rome. Rome, cette ville réputée éternelle, qu’on vénérait comme un temple ; Rome, dont le sénat était respecté comme une assemblée de rois, où l’on voyait les rois étrangers se prosterner et baiser le pas de la porte, appelant les sénateurs leurs patrons, leurs souverains, leurs dieux ; Rome enfin, dont le gouvernement était regardé comme le plus grand et le plus beau chefd’œuvre qui fut jamais parmi les humains, perdit par la corruption de ses principes la force de son institution. Plus de patrie, plus de lois, plus de mœurs, plus de déférence, plus d’intérêt public, plus de devoirs. Les citoyens, qui le dirait ! à la vue même du Capitole et de ses dieux, déserteurs de la foi de leurs pères, ne sentant plus de répugnance pour l’esclavage, s’apprivoisèrent avec la tyrannie, contents de jouir d’un repos indigne du nom romain, de la république, de leurs ancêtres. C’est de ce débordement de corruption générale d’une république mourante qu’on vit naître successivement, tantôt une anarchie générale, où l’on donna le nom de rigueur aux maximes, de gêne à la subordination, d’opiniâtreté à la raison, aux lumières, à l’examen, de passion et de haine à l’attention contre les abus et à une justice intrépide, et par là l’inertie tint lieu de sagesse ; tantôt un gouvernement dur et militaire qui ôta les prérogatives des corps et les privilèges des peuples vaincus, qui conduisit tout immédiatement par lui-même, changea tout l’ordre des choses, confondit l’infamie et les dignités, avilit tous les honneurs jusqu’à être le partage de quelques esclaves ou de quelques gladiateurs ; tantôt une tyrannie réfléchie, qui ne respira que des ordres cruels, des délateurs, des amitiés infidèles, et l’oppression des innocents ; tantôt un despotisme idiot et stupide, auquel on faisait accroire que cet abattement affreux de Rome, de l’Italie, des provinces, des nations, était une paix et une tranquillité du monde romain.

Comme la corruption de chaque gouvernement marche d’un pas égal avec celle de ses principes, c’est avec sa main de maître que notre auteur propose les moyens propres pour maintenir la force de ces principes, qu’il montre la nécessité de les rappeler quand on s’en est éloigné, et qu’il va chercher les remèdes jusque dans le maintien de l’État, dans la grandeur qui est naturelle et proportionnée à chaque espèce de gouvernement.

Ici, que de raisons de nous féliciter de nos temps modernes, de la raison présente, de notre religion, de notre philosophie, et, pour tout dire, de nos mœurs qui, comme a remarqué notre auteur, forment le grand ressort de nos gouvernements, et en éloignent la corruption ! Quel bonheur pour nous que la bonté des mœurs soit l’âme de la constitution, qui, indépendamment de tout autre principe, règle tout, et que par la douceur de ces mœurs chacun aille au bien commun, en assurant sa félicité particulière !

II faut l’avouer, ce ne furent point ces vertus humaines, ce faux honneur, cette crainte servile, qui maintinrent et firent agir toutes les parties du corps politique de l’État sous les Tite, les Nerva, les Marc-Aurèle, les Trajan, les Antonin : ce furent les mœurs qui ont toujours autant contribué à la liberté que les lois. Une belle carrière à remplir pour un lecteur attentif serait de développer ce principe fécond et intéressant, que notre auteur n’a laissé renfermé dans son germe que pour le plaisir que les seules grandes âmes goûtent à trouver des compagnons de leurs travaux. On peut dire de notre auteur que tout, jusqu’à ses négligences, se ressent de son caractère.

Après la constitution, la force défensive et offensive du gouvernement forme une des principales branches de la législation. Comme la raison et l’expérience se sont toujours trouvées d’accord à montrer que l’agrandissement du territoire au delà de ses justes bornes n’est pas l’augmentation des forces réelles de l’État, mais plutôt, une diminution de sa puissance, notre auteur, après avoir indiqué les moyens propres à pourvoir à la sûreté de la monarchie, c’est-à-dire à la force défensive, fait sentir à ceux à qui la monarchie a confié sa puissance, ses forces, le sort de ses États, combien il faut qu’ils saient circonspects à ne porter pas trop loin leur zèle pour la gloire du maître, étant plus de son intérêt qu’il augmente son influence au lieu d’augmenter la jalousie, et qu’il devienne plutôt l’objet du respect de ses voisins que de leurs craintes.

Pour ce qui est de la force défensive des républiques, notre auteur la voit là où on l’a toujours trouvée, c’est-à-dire dans ces associations fédératives de plusieurs républiques, qui ont toujours assuré à cette forme de gouvernement la prospérité au dedans et la considération au dehors.

Je ne saurais quitter ce sujet sans faire ici une remarque. Notre auteur, qui ne paraît avoir fait son ouvrage que pour s’opposer aux sentiments de l’abbé de Saint-Pierre 4 , comme Aristote ne composa sa Politique que pour combattre celle de Platon, soutient que cette constitution fédérative ne saurait subsister à moins qu’elle ne soit composée d’États de même nature, surtout d’États républicains ; principe entièrement opposé au plan de la diète européenne de l’abbé de Saint-Pierre. Ce n’est pas à moi à prononcer sur cette question : je ne ferai que rappeler ici les suffrages respectables des Grotius, des Leibnitz et, qui plus est, de Henri le Grand ; suffrages qui font connaître que le projet de l’abbé de Saint-Pierre ne devait pas être regardé comme un rêve. Peut-être le monde est-il à cet égard encore trop jeune pour établir en politique certaines maximes dont la fausse impossibilité ne paraîtra qu’aux yeux de la postérité ; mais qu’il me soit du moins permis de nous féliciter de la présente situation de l’Europe, qui ne saurait être mieux disposée pour embrasser un si beau plan. Un meilleur droit des gens, la science de ce droit et celle des intérêts des souverains mises en système ; la bonne philosophie, l’étude des langues vivantes, la langue française devenue la langue de l’Europe ; un esprit général de commerce, qui a fait que la connaissance des mœurs de toutes les nations a pénétré partout, qui a éteint l’esprit de conquête et entretient celui de la paix,dont à présent jouit tout l’univers ; les places de commerce, les foires, le change, un luxe des productions des pays étrangers, les banques publiques, les compagnies de commerce, les grands chemins bien entretenus, la navigation facilitée et étendue, les postes, les papiers politiques, le goût des voyages, l’hospitalité, les bons règlements de santé ; l’équilibre mis en système ; les alliances, les traités de commerce, une parfaite harmonie entre les souverains 5  ; les ministres étrangers résidant aux cours, les consuls ; les universités, les académies, les correspondances littéraires, des savants étrangers appelés et entretenus par des souverains, l’art de l’imprimerie, le théâtre français et la musique italienne répandus partout ; mais, qui plus est, la modération, les mœurs et les lumières, qui forment le caractère général de tous les souverains de nos jours, et, pour comble de prospérité, le chef 6 visible de notre religion, grand prince, et, pour mieux employer les expressions de notre auteur 7  : « l’homme le plus propre à honorer la nature humaine et à représenter la divine : » toutes ces combinaisons forment une si étroite liaison de l’Europe entière, que par ce grand nombre de rapports on peut dire qu’elle ne compose qu’un seul État, et qu’elle n’est, pour ainsi dire, qu’une grande famille dont tous les membres sont unis par une parfaite harmonie. Cette liaison peut être regardée comme un heureux présage, et presque un traité préliminaire du grand traité définitif de la diète européenne. Heureux les ministres qui auront l’honneur de cette signature, et plus heureux les souverains qui auront celui de la ratification, en stipulant par ce traité le bonheur éternel du genre humain ! C’est après cette signature qu’il faut ériger un mausolée à l’abbé de Saint-Pierre pour éterniser sa mémoire, en y gravant ces vers d’Euripide :

« O Paix, mère des richesses, la plus aimable des divinités, que je vous désire avec ardeur ! Que vous tardez à venir ! Que je crains que la vieillesse ne me surprenne avant que je puisse voir le temps heureux où tout retentira de nos chansons, et où, couronnés de fleurs, nous célébrerons des festins ! »

A la force défensive de chaque État est liée la force offensive. Celle-ci est réglée par le droit des gens ; c’est-à-dire par cette loi politique qui établit les rapports que les différentes nations ont entre elles. Le droit de la guerre et celui de conquête forment le principal objet de ce droit des gens. Je le dis, toujours à la louange de notre auteur, l’ouvrage du cœur donne ici, comme partout ailleurs, son caractère à l’ouvrage de l’esprit. Pour preuve de cela, il ne faut que rappeler ici sa belle, haute, sage et grande définition du droit de conquête ; « droit nécessaire, dit-il, légitime et malheureux, qui laisse toujours à payer une dette immense pour s’acquitter avec la nature humaine. » De là cette belle conséquence, que le droit de conquête porte avec lui le droit de conservation, non celui de destruction ; de là les droits barbares et insensés de tuer l’ennemi après la conquête, et de le réduire en servitude, tant décriés ; de là cette nécessité de laisser aux peuples vaincus leurs lois et, ce qui est plus important, leurs mœurs et leurs coutumes, qu’on ne saurait changer sans de grandes secousses ; de là enfin ces pratiques admirables pour joindre les deux peuples par des nœuds indissolubles d’une amitié réciproque. Une chaîne de conséquences aussi justes que bienfaisantes nous oblige de rendre ici hommage à notre droit des gens, ou plutôt à celui de la raison qui, toujours éloignée des préjugés destructeurs, sait développer les idées éternelles et constantes du vrai et du faux, du juste et de l’injuste, pour démontrer les moyens propres à diminuer les maux et augmenter les biens des sociétés ; objet qui constitue le sublime de la raison humaine.

Il y aurait une grande imperfection dans cet ouvrage, si on n’y avait en même temps considéré les lois dans leur rapport avec le droit le plus précieux que nous tenions de la nature, je veux dire la liberté. Mais il ne faudrait d’autre preuve du génie de notre auteur que ses théories étendues et lumineuses sur cette partie de législation ; théories qu’il tire également de la majesté du sujet et de ses profondes connaissances.

Il examine d’abord les lois qui forment la liberté politique dans son rapport le plus important, je veux dire relativement à la constitution. Pour que le lecteur ne puisse abuser des termes, il donne une juste définition du mot de liberté : il en réveille l’idée la plus conforme à la nature de la chose ; et comme cette liberté est inséparable de l’ordre civil, de l’harmonie tant requise dans la société, et, pour tout dire, de la subordination aux lois, notre auteur ne la cherche point dans ces gouvernements que des préjugés font appeler libres, parce que le peuple y paraît faire ce qu’il veut, confondant ainsi les idées de licence et de liberté ; mais il voit le triomphe de la liberté dans ces gouvernements où les différents pouvoirs sont distribués de façon que la force de l’un tient la force de l’autre en tel équilibre, qu’aucun d’eux n’emporte la balance.

Il ne faudrait que ces justes réflexions de notre auteur sur cette distribution des différents pouvoirs pour prouver que les affaires politiques bien approfondies se réduisent, comme les autres sciences, à des combinaisons et, pour ainsi dire, à des calculs très-exacts. Ainsi, autant nous avons lieu de nous féliciter des progrès de la raison humaine de nos jours, qui a fait que l’autorité ne saurait craindre les talents, autant avons-nous raison de plaindre l’excès d’idiotisme de quelques-uns de nos aïeux, ou plutôt le comble d’orgueil de leurs petites âmes, qui se croyaient dégradées en s’asservissant aux règles, et, dédaignant d’acquérir des connaissances, avaient la hardiesse de se croire en état de pouvoir conduire tout avec le seul bon sens, qui, dépourvu de principes, ne leur offrait que la confiance de n’avoir jamais des contradicteurs, suite de l’abus de l’autorité. De là ces torrents d’erreurs, ces lois gauches, absurdes, contradictoires, si mal assorties, et, s’il est permis de lâcher le mot, plus insensées que les colonnes où elles furent affichées ; de là enfin ces établissements qui naquirent, vieillirent, moururent presque dans le même instant. On sentira mieux ceci en réunissant des traits parsemés dans l’ouvrage de notre auteur sur la conduite aveugle du despotisme oriental. « Le despote, dit-il, n’a point à délibérer ni à raisonner ; il n’a qu’à vouloir 8 . Dans ce despotisme il est également pernicieux qu’on raisonne bien ou mal, et il suffîrait qu’on raisonnât pour que le principe de ce gouvernement fût choqué 9 . Le savoir y est dangereux 10 . Comme il ne faut que des passions pour établir ce gouvernement, tout le monde est bon pour cela ; et le despote, malgré sa stupidité naturelle, n’a besoin que d’un nom pour gouverner les hommes 11 . »

C’est par cette sage distribution des pouvoirs que les politiques grecs et romains calculèrent les degrés de liberté des anciennes constitutions. Ils regardèrent cet équilibre comme le chef-d’œuvre de la législation : ils en furent même si étonnés, que j’oserais dire qu’ils n’imaginèrent le concours des dieux avec les hommes dans la fondation de leurs cités que pour faire l’éloge de cette espèce de gouvernement. C’est dans ce point de vue que l’Histoire de Polybe a été toujours regardée comme le livre des philosophes, des grands capitaines et des maîtres du monde. Ainsi notre auteur, semblable à Michel-Ange, qui cherchait la belle nature dans les débris de l’antiquité, parcourt les annales et les monuments de Rome naissante 12 et de Rome florissante, où il décèle des liaisons jusqu’à présent inconnues, qui lui font voir dans le plus beau jour cette harmonie des pouvoirs qui formèrent une conciliation si admirable des différents corps ; harmonie qui mérita d’être regardée comme la source principale de la liberté politique de cette capitale de l’univers.

Le plaisir qu’on ressent à rapprocher l’antiquité de nos temps modernes fait que notre auteur se plait à chercher aussi cet équilibre des pouvoirs dans la constitution de l’Angleterre, formée et établie pour maintenir la balance entre les prérogatives de la couronne et la liberté des sujets, et pour conserver le tout. En effet, où doit-on chercher cette liberté, si ce n’est dans un État où le corps législatif étant composé de deux parties, c’est-à-dire du grand conseil de la nation et du corps qui représente le peuple, l’une enchaîne l’autre par la faculté d’empêcher, et toutes les deux sont liées par la puissance exécutrice, comme celle-ci est liée par la législative ?

Comme c’est des décombres d’un édifice gothique que notre auteur déterre le beau concert des pouvoirs intermédiaires subordonnés et dépendants du souverain dans les monarchies que nous connaissons, il fait aussi descendre ce beau système, ou, pour mieux dire, ce juste équilibre de la constitution de l’Angleterre, des forêts des anciens Germains ; système que notre auteur a développé, dans le détail immense de ses relations, par des réflexions d’un homme d’État.

Après avoir examiné la liberté politique dans son rapport avec la constitution, c’est-à-dire dans cet heureux milieu entre la licence et la servitude, qui forme le caractère distinctif du gouvernement modéré, notre auteur fait voir cette même liberté dans le rapport qu’elle a avec le citoyen. Il a cherché avec succès le premier rapport dans la sage distribution des pouvoirs, il a trouvé le second dans la sûreté des citoyens.

La vie et la propriété des citoyens doivent être assurées comme la constitution même. Cette sûrete à l’égard de la vie peut être extrêmement attaquée dans les accusations publiques et privées, et, à l’égard de la propriété, dans la levée des tributs. C’est donc dans l’examen des jugements criminels et dans la sagesse à régler la levée des tributs que notre auteur s’est occupé : deux objets qui forment les principales branches de la société.

Les crimes blessent ou la religion, ou les mœurs, ou la tranquillité, ou la sûreté des citoyens. C’est un grand ressort dans les lois criminelles que cette juste fixation des classes des crimes, qui ne pouvait demeurer stérile entre les mains de notre auteur. Il connaissait trop que sans ces bornes immuables les erreurs doivent se multiplier tour à tour avec les volumes ; et, dans cette confusion d’idées, il fallait que de si grands intérêts dépendissent quelquefois de l’arbitraire des juges, et souvent des contradictions des praticiens.

C’est par le secours de cette théorie qu’il guérit de ces idées superstitieuses qui, dans les jugements criminels, frappaient d’un même coup et la religion et la liberté : mais il en agit avec tant de circonspection et de sagesse, qu’on dirait qu’il ne fait que lever avec ménagement le voile que d’autres déchirèrent d’une main hardie, faisant ainsi naître un nouveau mal du remède même. Ces sortes d’emportements, indépendamment de leur injustice et de leur imprudence, seraient de nos jours un sujet de raillerie, vu les progrès de la raison humaine.

C’est en partant de ces principes qu’il nous fait voir combien on a besoin, dans la punition de certains crimes, de toute la modération, de toute la prévoyance, de toute la sagesse, en leur laissant pourtant toutes les flétrissures.

Le merveilleux concert de la politique avec la bonté des mœurs, qui domine toujours dans cet ouvrage, paraît ici plus lumineux lorsque notre auteur nous fait sentir avec un secret plaisir que les mœurs du souverain favorisent autant la liberté que les lois.

Enfin c’est en tirant chaque peine de la nature des crimes qu’il nous rappelle avec horreur le violent abus de donner autrefois le nom de crimes de lèse-majesté à des actions qui ne le sont pas ; abus qui donna des secousses terribles à la liberté des citoyens de Rome, sous ces empereurs également subtils et cruels à imaginer des prétextes odieux pour faire périr les gens de bien et éluder les lois les plus salutaires.

Notre auteur, dans ce livre, qui forme le tableau le plus intéressant que l’on puisse présenter à l’humanité, nous mène, sans rien dire, à une réflexion. Comme il est résulté des biens sans nombre d’avoir suivi la législation romaine, il y a aussi des cas où l’on bénira à jamais nos sages législateurs pour s’en être éloignés. En effet, combien n’a-t-on pas gagné à nous guérir des préjugés de la plupart de nos pères qui, pleins de cette idée fastueuse d’une législation dominatrice sur toute la terre, adoptèrent aveuglément les dispositions de ces mêmes empereurs qui, en manifestant leurs volontés par ces édits de majesté, semblaient avoir voulu en même temps déclarer leur inimitié envers la nature humaine !

Notre auteur, ayant ainsi développé les ressorts de la législation par rapport à la sûreté de la vie, s’attache à examiner les lois propres à assurer la propriété. C’est surtout dans la levée des tributs que cette propriété doit être assurée : c’est là le triomphe de la liberté politique par rapport au citoyen : le souverain lui-même, étant le plus grand citoyen de l’État, est le plus intéressé à favoriser la sûreté à cet égard.

Les vices d’administration dans la levée des tributs naissent, ou de leur excès, ou de leur répartition disproportionnée, ou des vexations dans la perception : vices qui blessent également la sûreté, et d’où par conséquent dérive cette maladie de langueur qui afflige tant les peuples.

Ainsi notre auteur, après avoir démontré le faux raisonnement de ceux qui disent que la grandeur des tributs est bonne par elle-même pour empêcher tout excès, fait voir combien il importe à un sage législateur d’avoir égard aux besoins des citoyens, afin de bien régler cette portion qu’on ôte, pour la sûreté publique, de la portion qu’on laisse aux sujets. Il veut que ces besoins soient réels, non imaginaires : c’est pourquoi il se déchaîne contre ces projets qui flattent tant ceux qui les forment, parce qu’ils ne voient qu’un bien qui n’est que momentané, sans s’apercevoir qu’ils obèrent par là l’État pour toujours.

Notre auteur fixe la proportion des tributs en raison de la liberté des sujets. Tout ce qu’il dit se plie à ces principes. Comme il a posé que les revenus de l’État ne sont que cette portion que chaque citoyen donne de son bien pour avoir la sûreté de la portion dont il doit jouir, il est de la nature de la chose de lever les tributs à proportion de la liberté, et de les modérer à mesure que la servitude augmente. Il y a, dit-il, ici une espèce de compensation : dans les gouvernements modérés, la liberté est un dédommagement de la pesanteur des tributs, pourvu que par l’excès des tributs on n’abuse pas de la liberté même ; dans les gouvernements despotiques on regarde comme un équivalent pour la liberté la modicité des tributs.

De là il s’ensuit que, dans les pays où l’esclavage de la glèbe est établi, on ne saurait être trop circonspect à ne point augmenter les tributs pour ne point augmenter la servitude.

Pour ne point choquer cette proportion, notre auteur fait ainsi voir combien il importe que la nature des tributs soit relative à chaque espèce de gouvernement, telle sorte d’impôt convenant plus aux peuples libres, telle autre aux peuples esclaves.

Enfin, avec le guide de ces principes, notre auteur cherche à couper les nerfs à toute vexation, proposant les remèdes propres à guérir mille maladies du corps politique à cet égard. Ces principes sont si féconds, qu’un lecteur attentif en peut tirer des conséquences à perte de vue.

Jusqu’ici notre auteur a examiné l’esprit de la législation dans ses rapports intrinsèques, je veux dire dans ses relations avec la constitution, avec la force défensive et offensive du gouvernement, et avec la liberté. Il considère ensuite les rapports extrinsèques, je veux dire les relations avec le physique du climat et du terroir, avec l’esprit général de la nation, le commerce, la population.

La raison, l’expérience, les livres et les relations de tous les temps et de tous les lieux ont avoué d’un cri général l’influence du physique, particulièrement du climat, sur les mœurs et le caractère des hommes, de façon que celui qui oserait seulement en douter serait regardé comme un imbécile.

Ainsi notre auteur fait voir les lois dans leur rapport particulier avec la nature du climat ; et, comme une des grandes beautés de cet ouvrage est qu’un ordre merveilleux, quoique caché, donne à chaque chose une place qu’on ne saurait lui ôter, c’est à l’occasion de l’examen que fait notre auteur de cette relation des lois avec la nature du climat, qu’il traite de l’esclavage civil, domestique et politique.

L’esclavage civil, dit notre auteur, est l’établissement d’un droit qui rend un homme tellement propre à un autre homme, qu’il est le maître absolu de sa vie et de ses biens. L’esclavage domestique est cette servitude des femmes, établie non pour la famille, mais dans la famille. L’esclavage politique est cette servitude des nations qui sont dominées par un gouvernement despotique. C’est surtout dans l’examen de cette espèce d’esclavage politique que notre auteur excelle par des réflexions neuves et lumineuses.

On dirait que tout ce que notre auteur dit des lois dans leur rapport avec la nature du climat, surtout à l’égard de l’esclavage, est dicté plus par le cœur que par l’esprit, plus par un sentiment pour la religion que par des vues politiques ; tant on y cherche à exciter le travail des hommes et à encourager l’industrie ; tant on y recommande l’humanité, la douceur, la prévoyance, l’amour pour la partie de la nation même la plus vile ; tant on y est attentif à inspirer la pureté des mœurs.

Chose singulière ! on s’est d’abord déchaîné, par une impétuosité générale, contre notre auteur sur ce chapitre. Mais, ou il ne faut avoir lu cet ouvrage que par sauts, ou il faut très-peu d’équité pour accuser ici notre auteur.

Je ne présume pas assez de moi pour m’arroger le titre de défenseur de notre auteur. Il s’est déjà justifié lui-même, et il l’a fait avec cette modération propre à un esprit né pour dominer sur les autres. C’est un de ces habiles athlètes qui ne terrassent pas leurs adversaires, mais qui leur serrent si fort la main, qu’ils sont obligés de demander grâce et de quitter la partie.

D’ailleurs, comme, dans un ouvrage de raisonnement, des paroles et des phrases, et souvent des pages entières ne signifient rien par elles-mêmes, et dépendent de la liaison qu’elles ont avec les autres choses, en rapprochant ici les idées qui paraissent éloignées, on justifie l’ouvrage par l’ouvrage même.

Bien loin que notre auteur ait jamais prétendu justifier les effets physiques du climat, il a fait au contraire une protestation authentique « qu’il ne justifie pas les usages, mais qu’il en rend les raisons 13  ».

Il rend cette justice à notre religion qu’elle sait triompher du climat et des lois qui en résultent. « C’est, dit-il 14 , le christianisme qui dans nos climats a ramené cet âge heureux où il n’y avait ni maître ni esclave. » Et ailleurs 15 il remarque que « nous aimons, en fait de religion, tout ce qui suppose un effort ». Il le prouve par l’exemple du célibat, qui a été plus agréable aux peuples à qui, par le climat, il semblait convenir le moins.

Il rend hommage à notre religion, qui, « malgré la grandeur de l’empire et le vice du climat, a empêché le despotisme de s’établir en Ethiopie, et a porté au milieu de l’Afrique les mœurs de l’Europe 16  ».

Et, comme il est convaincu que les bonnes maximes, les bonnes lois, la vraie religion, sont indépendantes par elles-mêmes de tout effet physique quelconque, que ce qui est bon dans un pays est bon dans un autre, et qu’une chose ne peut être mauvaise dans un pays sans l’être dans un autre, il s’est attaché à faire sentir la nécessité des bonnes lois pour vaincre les effets contraires du climat.

C’est pourquoi, en parlant du caractère des Indiens, il dit : « Comme une bonne éducation est plus nécessaire aux enfants qu’à ceux dont l’esprit est dans sa maturité, de même les peuples de ces climats ont plus besoin d’un législateur sage que les peuples du nôtre, etc. 17  ».

Là-dessus il nous fait sentir une vérité importante : savoir, que les mauvais législateurs sont ceux qui ont favorisé les vices du climat, et les bons ceux qui s’y sont opposés 18 .

Il dit aussi que plus le climat porte les hommes à fuir la culture des terres, plus la religion et les lois doivent y exciter 19 . Il fait là-dessus l’éloge des institutions chinoises, qui ont une attention particulière à exciter les peuples au labourage 20  ; et il remarque que pour cet effet, dans le midi de l’Europe, il serait bon de donner des prix aux laboureurs qui auraient le mieux cultivé leurs terres 21 .

Il veut que là où le vin est contraire au climat, et par conséquent à la santé, l’excès en soit plus sévèrement puni 22 .

Lorsqu’il parle de l’esclavage relatif au climat, il dit qu’il n’y a point de climat sur la terre où l’on ne pût engager au travail des hommes libres, et il se plaint de ce que, les lois étant mauvaises, on a trouvé des hommes paresseux, et de ce que, les hommes étant paresseux, on les a mis dans l’esclavage 23 . Il faut, selon lui, que les lois civiles cherchent à ôter d’un côté les abus de l’esclavage, et de l’autre les dangers 24 .

Il déplore le malheur des pays mahométans, où la plus grande partie de la nation n’est faite que pour servir à la volupté de l’autre ; l’esclavage, selon lui, ne devant être que pour l’utilité, et non pour la volupté. « Car, dit-il, les lois de la pudicité étant du droit naturel, elles doivent être senties par toutes les nations du monde 25 . »

Lorsqu’il parle de la polygamie qu’on trouve dans certains climats, il proteste qu’il ne fait qu’en rendre les raisons, et qu’il se garde bien d’en justifier les usages 26 . Il prouve que la polygamie n’est utile ni au genre humain, ni à aucun des deux sexes ; au contraire, qu’elle est par sa nature et en elle-même une chose mauvaise, et il en fait sentir les funestes suites 27 .

Enfin il fait voir que quand la puissance physique de certains climats viole la loi naturelle des deux sexes, c’est au législateur à faire des lois civiles qui forcent la nature du climat, et rétablissent les lois primitives de la pudeur naturelle 28 .

Si les lois doivent être relatives aux divers climats, glacés, brûlants ou tempérés, surtout pour s’opposer à leurs vices, il faut aussi qu’elles se rapportent à la nature du terroir. Notre auteur, en les examinant dans ce second rapport, ouvre un des plus beaux spectacles de la nature, qui, dans ses variétés mêmes, ne laisse pas de suivre une espèce de méthode. Il nous fait voir comment cette sage ordonnatrice a su faire dépendre souvent la liberté, les mœurs, le droit civil, le droit politique, le droit des gens, le nombre des habitants, leur industrie, leur courage, de la qualité du terroir, soit fertile, stérile, inculte ou marécageux ; de sa situation, soit des montagnes, des plaines ou des îles ; du genre de vie des peuples, soit laboureurs, chasseurs ou pasteurs. Il pénètre si à fond dans les rapports différents des lois avec la qualité du terroir, qu’on dirait que la nature aime à lui confier ses plus intimes secrets.

Pour faire mieux sentir ces rapports, notre auteur se dépayse. Tantôt il suit les hordes des Tartares ; tantôt il se promène dans les immenses plaines des Arabes, au milieu de leurs troupeaux ; tantôt il se plaît à voir chez les sauvages de l’Amérique les femmes qui cultivent autour de la cabane un morceau de terre, tandis que leurs maris s’occupent à la chasse et à la pêche ; enfin il s’arrête dans les bois et dans les marécages des anciens Germains. A la naïve peinture qu’il trace de ces peuples, simples pasteurs, sans industrie, ne tenant à leur terre que par des cases de jonc, on dirait qu’en instruisant le lecteur il a voulu l’égayer par la vue d’un beau paysage du Poussin, pour le délasser après une pénible et sérieuse méditation. C’est ainsi que la raison même ne dédaigne point de plaire.

Il est beau de voir ici avec quel succès notre auteur sait rapprocher l’admirable ouvrage de Tacite sur les Mœurs des Germains avec les débris dispersés des lois barbares, et, par une heureuse conciliation de ces précieux monuments, qui paraissaient n’avoir rien de commun entre eux, porter une lumière nouvelle à cette loi salique, dont il a raison de dire que tant de gens ont parlé, et que si peu de gens ont lue. Il faut l’avouer, rien n’est plus capable de nous faire repentir de cette négligence où nous sommes tombés à l’égard de l’étude des anciens, que le profit que notre auteur sait tirer de ces beaux restes de l’antiquité.

C’est aussi en suivant de près ces lois pastorales des Germains, si liées à la nature du terroir, que notre auteur sait donner la vie à un amas de faits confus du moyen âge, faisant, pour ainsi dire, sortir d’une noble poussière les lois politiques des fondateurs de la monarchie française.

De tout ceci il faut conclure que c’est sur les sauvages et sur les peuples qui ne cultivent point les terres que la nature et le climat dominent presque seuls ; c’est ce que notre auteur a déclaré plus précisément ailleurs 29 . Il a donc voulu dire, et il a dit expressément, que le physique du climat et du territoire ne saurait avoir aucune influence sur ces contrées policées, où il est obligé de céder à la vraie religion, aux lois, aux maximes du gouvernement, aux exemples, aux mœurs, aux manières.

Il avoue d’ailleurs que, parmi ce nombre de causes, il y en a toujours une dans chaque nation qui agit avec plus de force que les autres, de façon que celles-ci sont obligées de lui céder.

Cette cause dominatrice forme le caractère presque indélébile de chaque nation, et la gouverne à son insu par des ressorts mystérieux. C’est par ces grands traits qu’on distingue une nation d’une autre. Choquer ces traits distinctifs, et, selon le langage de notre auteur, cet esprit général, ce serait exercer une tyrannie qui, selon lui, quoique de simple opinion, ne laisserait pas de produire des effets aussi funestes que la tyrannie réelle, c’est-à-dire la violence du gouvernement.

Notre auteur a bien senti l’importance de ce grand rapport des lois avec l’esprit général, les mœurs, les manières, qui régnent plus impérieusement que les lois, vu leur grande influence sur la façon de penser, de sentir et d’agir de toute une nation. Il a vu combien il faut être circonspect à n’apporter aucun changement à cet esprit général, afin qu’en gênant les vices politiques, on ne gêne pas les venus politiques, qui souvent en dérivent. Aussi s’est-il occupé entièrement à développer toutes ces relations.

Il veut qu’on procède lentement et par degrés à détromper les peuples de leurs erreurs fortifiées par le temps, vu le grand danger auquel on exposerait l’État par une réforme subite. Ce même changement des mœurs et des manières, lorsqu’il est nécessaire, ne doit être fait que par d’autres mœurs et d’autres manières, et jamais par des lois, à cause de la grande différence qu’il y a entre les lois et les mœurs, celles-là ne tenant qu’aux institutions particulières et précises du législateur, celles-ci aux institutions de la nation en général. De là il s’ensuit que, comme on ne saurait empêcher les crimes que par des peines, on ne peut aussi changer les manières que par des exemples.

Il fait aussi sentir combien il faut être attentif à ne point gêner par des lois les manières et les mœurs du peuple, lors qu’elles ne sont pas contraires aux principes du gouvernement, pour ne point gêner ses vertus.

C’est à ce sujet qu’il présente un tableau aussi impartial que frappant du caractère de ses compatriotes. Cette gaité, cette vivacité, pour me servir des expressions de notre auteur, sont des fautes légères qui disparaissent devant cette franchise, cette générosité, ce point d’honneur, ce courage, d’où il résulte des avantages suprêmes. Quelques-uns mêmes de ces vices, particulièrement cet empressement de plaire, ce goût pour le monde, et surtout pour le commerce des femmes [femme], augmentent l’industrie, les manufactures, la politesse, le goût général de ce peuple. Ainsi prétendre corriger ces vices, ce serait choquer l’esprit général au grand préjudice de la nation. Il en faut agir comme ces architectes de l’antiquité qui, voulant démolir les maisons attenantes aux temples de leurs dieux, laissaient debout les parties des édifices qui y touchaient, de peur de toucher aux choses sacrées.

Comme, dans les institutions ordinaires, il y a quelque cause qui agit avec plus de force que les autres, ce qui forme, selon notre auteur, l’esprit général de la nation, dans quelques institutions singulières on a confondu toutes ces causes, quoique entièrement séparées ; savoir, les lois, les mœurs, les manières, etc. Notre auteur trouve cette union dans les institutions anciennes de Lycurgue ; et, comme l’éloignement des lieux fait à notre égard le même effet que celui du temps, il cherche avec succès les raisons d’une pareille union dans les institutions des législateurs de la Chine. Il pénètre à fond les principes de la constitution de ce vaste empire, et l’objet particulier de son gouvernement, pour faire mieux sentir le rapport intime des choses qui paraîtraient d’ailleurs très-indifférentes, comme les cérémonies et les rites, à la constitution fondamentale.

Il nous montre comment les lois en général sont relatives aux mœurs, et par conséquent combien la bonté des mœurs influe sur la simplicité des lois. C’est la découverte d’une mine bien riche que de savoir bien démêler les théories, que notre auteur ne fait qu’indiquer ici, pour bien connaître le véritable esprit des lois romaines, liées si étroitement aux mœurs.

En effet, quelle différence entre les lois faites pour ces premiers Romains qui ne se portaient pas moins au bien par inclination que par la crainte des lois, et ne disputaient entre eux que de vertu, et entre ces dispositions qu’on fut obligé d’opposer au luxe, à l’avarice et à l’orgueil d’un peuple qui, lors de la corruption du gouvernement, se portait à toutes sortes d’excès, foulant aux pieds les choses divines et humaines !

Si les lois sont protégées par les mœurs, les mœurs sont aussi secourues par les lois. Notre auteur, qui a su pénétrer à fond les effets de cette action réciproque, doué d’un génie assez vaste pour embrasser toutes les différentes relations, prévoit le caractère, les mœurs et les manières qui ont résulté des lois et de la constitution de l’Angleterre, dont il a développé ailleurs les principes jusqu’à se rendre maître des événements à venir, semblable à Tacite, qui prévit, plusieurs siècles auparavant, les causes de la chute de l’empire romain.

A la vue du tableau qu’il nous présente de cette nation et de ses peuples, qu’il regarde plutôt comme des confédérés que comme des concitoyens, on dirait qu’il a adopté leurs passions, leurs inclinations, leurs terreurs, leurs animosités, leurs faiblesses, leurs espérances, leurs querelles, leurs jalousies, leurs haines, leurs vaines clameurs, leurs injures, qui, bien loin de faire tort à l’harmonie de la constitution, concourent à l’accord total de toutes ses parties.

Il voit comment les lois de ce pays libre ont dû contribuer à cet esprit de commerce, à ce sacrifice de ses intérêts pour la défense de la liberté publique, à ce crédit sur des richesses même de fiction, à la force offensive et défensive du gouvernement, à cette grande influence de la nation sur les affaires de ses voisins, à cette bonne foi tant requise dans les négociations.

Il prédit ce qui a dû résulter par rapport aux rangs, aux dignités, au luxe, à cette estime des qualités réelles, c’est-à-dire des richesses et du mérite personnel.

Enfin il aperçoit comment a pu se former cet esprit d’éloignement de toute politesse fondée sur l’oisiveté, ce mélange de fierté et de mauvaise honte, cette humeur inquiète au milieu des prospérités, cette modestie et cette timidité des femmes, cette préférence du véritable esprit à tout ce qui n’est que du ressort du goût, cette étude de politique jusqu’à prétendre calculer tous les événements, cette liberté de raisonner. Il connaît même le caractère de la nation dans ses ouvrages d’esprit.

Le portrait que notre auteur vient de donner d’une nation si commerçante de l’Europe, d’une nation qui, selon lui, fait même céder ses intérêts politiques à ceux du commerce, d’une nation où il fut si chéri et si respecté, le conduit à l’examen des lois dans le rapport qu’elles ont avec le commerce considéré dans sa nature et dans ses distinctions, dans les révolutions qu’il a eues dans le monde, et dans sa relation avec l’usage de la monnaie.

Je l’ai dit, cet ouvrage ne paraît fait que pour inspirer de la modération, de l’humanité et des mœurs. Ainsi il est beau d’apprendre ici que l’esprit du commerce est de guérir des préjugés destructeurs, de produire la douceur des mœurs, et de porter les nations à la paix, vu que toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels.

Il est aussi consolant pour quelques peuples malheureux d’être ici assurés qu’étant pauvres, non à cause de la dureté du gouvernement, mais parce qu’ils ont dédaigné ou parce qu’ils n’ont pas connu les commodités de la vie, ils peuvent malgré cela faire de grandes choses, parce que leur pauvreté fait une partie de leur liberté.

De là on voit combien l’esprit de commerce est lié à la constitution. Dans le gouvernement d’un seul, il est fondé sur le luxe ; dans le gouvernement républicain, il est ordinairement fondé sur l’économie. Par conséquent, comme dans ce dernier gouvernement l’esprit de commerce entraîne avec lui celui de frugalité, de modération, de travail, de sagesse, de tranquillité, d’ordre et de règle, il est aisé de comprendre comment il peut arriver que les grandes richesses des particuliers n’y corrompent point les mœurs.

C’est en développant les ressorts de ce commerce d’économie que notre auteur approfondit les principes qui rendent certains établissements plus propres au gouvernement de plusieurs qu’à celui d’un seul ; tels que les compagnies, les banques, les ports francs : principes qui ne laissent pourtant pas d’avoir leur limitation, lorsqu’on les examine sans les séparer de la sage administration de ceux qui sont à la tête des affaires même dans le gouvernement d’un seul.

Les grandes vérités que notre auteur établit ici pour se conduire dans les matières du commerce font voir combien on aurait tort de regarder les sciences comme incompatibles avec les affaires, surtout lorsqu’il fixe la juste idée de la liberté en fait de commerce, si éloignée de cette faculté qui serait plutôt une servitude ; lorsqu’il nous fait sentir combien, pour le maintien de cette liberté, il est important que l’État soit neutre entre sa douane et son commerce ; lorsqu’il nous apprend que, dans ce genre d’affaires, la loi doit faire plus de cas de l’aisance publique que de la liberté d’un citoyen ; enfin lorsqu’il montre que, comme le pays qui possède le plus d’effets mobiliers de l’univers, savoir, de l’argent, des billets, des lettres de change, des actions sur les compagnies, des vaisseaux et des marchandises, gagne à faire le commerce, au contraire le pays qui est dépourvu de ces effets, et qui par conséquent est obligé d’envoyer toujours moins qu’il ne reçoit, se mettant lui-même hors d’équilibre, perd à faire le commerce, et s’appauvrit.

Ces théories capitales ne pouvaient guère demeurer stériles entre les mains de notre auteur : ainsi c’est par leur secours qu’il dicte des dispositions très-sensées sur le sujet du commerce, sans pourtant être gêné par une exactitude servile. Ici notre auteur, conduit plus, si j’ose le dire, par un esprit citoyen que philosophique, se hâte d’aller au fait. Il veut que la méditation du lecteur se charge de placer d’autres vérités dans la chaîne de celles qu’il établit sur des fondements solides. Il l’emporte dans ce qui est essentiel au sujet, sans le fatiguer par de longs détours ; il suppose qu’il sait tout cela 30  : on dirait que sa modestie se plaît à partager avec le lecteur attentif la gloire de l’invention.

Comme notre auteur sait être savant sans rougir, ainsi que quelques-uns de nos pères, d’être philosophe, il sait être philosophe sans rougir, comme la plupart des esprits de nos jours, d’être savant. Ainsi, s’accommodant de ce sage milieu, c’est par le concours mutuel d’un jugement subtil et délié dans les sciences les plus abstraites, et d’un choix des matériaux tirés d’une vaste érudition, qu’il excelle et triomphe dans tout son ouvrage, surtout ici lorsqu’il examine les lois par rapport aux révolutions que le commerce a eues dans le monde.

Il est agréable, et ce plaisir renferme beaucoup d’instruction, de voir, à l’aide de ses éclaircissements, comment certaines causes physiques, telles que la qualité du terroir ou du climat, comment la différence des besoins des peuples, soit simples, soit volupteux, leur paresse, leur industrie, ont pu fixer, dans tous les âges, la nature du commerce dans quelques contrées.

C’est aussi un spectacle digne des recherches d’un génie du premier ordre, comme celui de notre auteur, de voir le commerce, tantôt détruit, tantôt gêné, tantôt favorisé, fuir des lieux où il était opprimé, se reposer où on le laissait respirer, régner aujourd’hui où l’on ne voyait que des déserts, des mers et des rochers, et là où il régnait, n’y avoir que des déserts ; changements qui ont rendu la terre si peu semblable à elle-même.

Ainsi notre auteur, se jetant avec un courage héroïque dans ces abîmes des siècles les plus reculés, parcourt la terre. Il ne voit qu’un vaste désert dans cette heureuse contrée de la Colchide, qu’on aurait peine à croire avoir été du temps des Romains le marché de toutes les nations du monde.

Il déplore le malheureux sort des empires de l’Asie. Il visite la partie de la Perse qui est au nord-est, l’Hyrcanie, la Margiane, la Bactriane, etc. A peine voit-il passer la charrue sur les fondements de tant de villes jadis florissantes. Il passe au nord de cet empire, c’est-à-dire à l’isthme qui sépare la mer Caspienne du Pont-Euxin, et il n’y trouve presque aucun vestige de ce grand nombre de villes et de nations dont il était couvert.

Il est étonné de ne voir plus ces communications des grands empires des Assyriens, des Mèdes, des Perses, avec les parties de l’Orient et de l’Occident les plus reculées. L’Oxus ne va plus à la mer Caspienne ; des nations destructrices l’ont détourné. Il le voit se perdre dans des sables arides. Le Jaxarte ne va plus jusqu’à la mer. Le pays entre le Pont-Euxin et la mer Caspienne n’est qu’un désert.

Notre auteur, au milieu de ces vastes désolations qui ne laissent plus voir que des ruines ou quelques débris de la dévastation, nous rappelle le commerce de luxe que les empires de l’Asie faisaient, tandis que les Tyriens, profitant des avantages que les nations intelligentes prennent sur les peuples ignorants, étaient occupés du commerce d’économie de toute la terre.

Il parcourt l’Égypte, qui, sans être jalouse des flottes des autres nations, contente de son terroir fertile, ne faisait guère de commerce au dehors.

Il remarque que les Juifs, occupés de l’agriculture, ne négociaient que par occasion ; que les Phéniciens, sans commerce de luxe, se rendirent nécessaires à toutes les nations par leur frugalité, par leur habileté, leur industrie, leurs périls, leurs fatigues ; qu’avant Alexandre les nations voisines de la mer Rouge ne négociaient que sur cette mer et sur celle d’Afrique.

Il nous ramène aux beaux siècles d’Athènes, qui, ayant l’empire de la mer, donna la loi au roi de Perse, et abattit les forces maritimes de la Syrie et de la Phénicie.

Il est frappé de l’heureuse situation de Corinthe, de son commerce, de ses richesses, comme aussi des causes de la prospérité de la Grèce, des jeux qu’elle donnait à l’univers, des temples où les rois envoyaient des offrandes, de ses fêtes, de ses oracles, de ses arts incomparables.

Il envisage la navigation de Darius sur l’Indus et sur la mer des Indes, plutôt comme une fantaisie d’un prince qui voulait montrer sa puissance que comme le projet réglé d’un sage monarque qui veut l’employer.

Il considère la révolution causée dans le commerce par quatre événements arrivés sous Alexandre : la prise de Tyr, la conquête de l’Égypte, celle des Indes, et la découverte de la mer qui est au midi de ce pays.

La relation d’Hannon lui sert de guide pour reconnaître la puissance et la richesse de Carthage, qui, étant maîtresse des côtes de l’Afrique, s’étendit le long de celles de l’Océan. Il est enchanté de la simplicité de cette relation d’Hannon, qui, ennemi de toute parure, était, comme les grands capitaines, plus glorieux de ce qu’il faisait que de ce qu’il écrivait. Ici il n’oublie pas le commerce d’économie de Marseille, qui augmenta sa gloire après la ruine de Carthage.

En parcourant les nations de l’antiquité, notre auteur nous fait connaître, à travers différents siècles, la nature, l’étendue, les bornes de leur commerce, avec un discernement si délicat, que des faits même connus prennent entre ses mains un nouvel intérêt ; et, trop convaincu que, pour mieux instruire le lecteur, il faut modifier le ton uniforme de l’instruction et ménager des surprises agréables, tantôt, portant jusqu’au prodige l’union des sciences et des lettres, il est charmé de nous rappeler la belle peinture tracée par Homère de ces contrées que les malheurs d’Ulysse ont rendues si célèbres ; tantôt, occupé des pratiques purement mécaniques, il nous explique les causes physiques des différents degrés de vitesse des navires, suivant leur différente grandeur et leur différente force ; d’où vient que nos navires vont presque à tous vents, et que ceux des anciens n’allaient presque qu’à un seul, et comment on mesurait les charges qu’ils pouvaient porter. Ici il nous fait reconnaître la situation et le commerce ancien d’Athènes vis-à-vis de la situation et du commerce présent de l’Angleterre ; là il nous fait contempler le projet de Séleucus de joindre le Pont-Euxin à la mer Caspienne ; et, parmi les grands desseins d’Alexandre, il s’arrête à admirer Alexandrie, ville que ce conquérant fonda dans la vue de s’assurer de l’Égypte, devenue le centre de l’univers. Par ces remarques variées, mais toujours intéressantes, on dirait que notre auteur, dans son tour de la terre, faisant pour ainsi dire reparaître à nos yeux tout ce que le torrent des âges avait renversé, en agit comme le czar Pierre, qui, dans ses voyages de l’Europe, cherchait à connaître les établissements utiles des différents pays, et à s’instruire des principales parties des gouvernements, de leurs forces, de leurs revenus, de leurs richesses, de leur commerce. A Paris, parmi tant de merveilles de cette ville enchanteresse, ou, pour mieux dire, dans cette école de toutes les nations, tandis qu’il se plaisait à contempler les peintures du Louvre, il prenait jusque entre ses bras l’auguste personne du roi encore enfant, pour le garantir de la foule, de la manière la plus tendre. A Amsterdam, au milieu de ces dépositaires, et, pour ainsi dire, de ces facteurs du commerce de toute la terre, il aimait à travailler dans le chantier pour apprendre la construction des vaisseaux. En Angleterre, il étudiait comment cette nation a su, non moins par son commerce que par son gouvernement, se rendre la gardienne de la liberté de l’Europe. De retour en Russie, il forma le dessein hardi de la jonction des deux mers dans cette langue de terre où le Tanaïs s’approche du Volga, et il jeta les fondements de Pétersbourg dans la vue de former un entrepôt du commerce de l’univers.

Notre auteur, tout plein qu’il est de ces deux idées : l’une, que le commerce est la source de la conservation et de l’agrandissement des états, l’autre, que les Romains avaient la meilleure police du monde, avoue néanmoins que les Romains furent éloignés du commerce par leur gloire, par leur constitution politique, par leur droit des gens, par leur droit civil. A la ville, ils n’étaient occupés que de guerres d’élections, de brigues ; à la campagne, que d’agriculture : dans les provinces, un gouvernement dur et tyrannique était incompatible avec le commerce. Cela fit qu’ils n’eurent jamais de jalousies de commerce. Ils attaquèrent Carthage comme puissance rivale, et non comme nation commerçante. En effet, à Rome, dans la force de son institution, les fortunes étaient à peu près égales : à Carthage, des particuliers avaient des richesses de rois. Comme les Romains ne faisaient cas que des troupes de terre, les gens de mer n’étaient ordinairement que des affranchis. Leur politique fut de se séparer de toutes les nations non assujetties : la crainte de leur porter l’art de vaincre fit négliger l’art de s’enrichir. Leur commerce intérieur était celui de l’importation des bleds ; ce qui était un objet important, non de commerce, mais d’une sage police pour la subsistance du peuple de Rome. Le négoce de l’Arabie heureuse et celui des Indes furent presque les deux seules branches du commerce extérieur. Mais ce négoce ne se soutenait que par l’argent des Romains ; et si les marchandises de l’Arabie et des Indes se vendaient à Rome le centuple, ce profit des Romains se faisait sur les Romains mêmes, et n’enrichissait point l’empire ; quoique d’un autre côté on puisse dire que ce commerce procurait aux Romains une grande navigation, c’est-à-dire une grande puissance ; que des marchandises nouvelles augmentaient le commerce intérieur, favorisaient les arts, entretenaient l’industrie ; que le nombre des citoyens se multipliait à proportion des nouveaux moyens de subsistance ; que ce nouveau commerce produisait le luxe ; que le luxe à Rome était nécessaire, puisqu’il fallait qu’une ville qui attirait à elle toutes les richesses de l’univers les rendît par son luxe.

Notre auteur, suivant de siècle en siècle la marche du commerce, le trouve plus avili après la destruction des Romains en Occident par l’invasion de leur empire. Un déluge de barbares, comme par une crise violente de la nature, renouvela pour ainsi dire la face de la terre ; bientôt il n’y eut presque plus de commerce en Europe. La noblesse, qui régnait partout, ne s’en mettait pas en peine. Les barbares le regardèrent comme un objet de leurs brigandages. Quelques restes de leurs lois insensées, qui subsistent encore de nos jours, montrent la grossièreté de leur origine.

Depuis l’affaiblissement des Romains en Orient, lors des conquêtes des mahométans, l’Égypte, ayant ses souverains particuliers, continua de faire le commerce : maîtresse des marchandises des Indes, elle attira les richesses de tous les autres pays.

A travers cette barbarie le commerce se fit jour en Europe. Notre auteur le voit, pour ainsi dire, sortir du sein de la vexation et de la barbarie. Les Juifs, proscrits de chaque pays, inventèrent les lettres de change : par ce moyen ils sauvèrent leurs effets, et rendirent leurs retraites fixes. Il remarque que depuis cette invention les grands coups d’autorité ne sont, indépendamment de l’horreur qu’ils inspirent, que des imprudences, et qu’on a reconnu par expérience qu’il n’y a plus que la bonté du gouvernement qui donne de la prospérité. C’est toujours par ces sages réflexions que notre auteur sait présenter au trône les plus utiles vérités, dont il est doux de rappeler le précieux souvenir dans nos contrées, où le lien de tendresse entre les princes et les sujets ne saurait être plus fort. Notre auteur, il est vrai, a caché son nom ; mais on le découvre dans le plus grand jour par ces traits frappants de sagesse, de modération, de bienfaisance, qui le font regarder comme l’âme de la probité même. Il en agit comme Phidias qui, n’ayant pas écrit son nom sur le bouclier de Minerve, y grava son portrait.

Notre auteur, attentif à développer la naissance, le progrès, la transmigration, la décadence et le rétablissement du commerce, est enfin ravi de la découverte de deux nouveaux mondes. C’est le commerce qui, à l’aide de la boussole, fit trouver l’Asie et l’Afrique, dont on ne connaissait que quelques bords, et l’Amérique, dont on ne connaissait rien du tout. L’Italie, hélas ! notre belle Italie, ne fut plus au centre du monde commerçant : elle fut réduite dans un coin. Mais qu’il me soit permis de faire une remarque patriotique. Comme heureusement le germe des grands génies de cette belle contrée n’est pas éteint, et, ce qui est plus, comme les vues et les desseins de ceux qui la gouvernent sont toujours d’accord avec la félicité publique, elle a lieu d’espérer de recueillir les fruits de la découverte faite par ses enfants.

Les Espagnols découvraient et conquéraient du côté de l’Occident ; les Portugais, du côté de l’Orient ; mais les autres nations de l’Europe ne les laissèrent pas jouir tranquillement de leurs conquêtes. Les Espagnols regardèrent les terres découvertes comme des objets de conquête ; les autres nations trouvèrent qu’elles étaient des objets de commerce, et, par des compagnies de négociants et des colonies, y formèrent une puissance accessoire, sans préjudice de l’État principal.

Notre auteur fait voir l’utilité et l’objet des colonies de nos jours ; en quoi les nôtres diffèrent de celles des anciens. Il explique leurs lois fondamentales, surtout pour les tenir dans la dépendance de la métropole : il relève la sagesse de ces lois par le contraste de la conduite des Carthaginois qui, pour rendre quelques nations conquises plus dépendantes, par un débordement d’ambition qui les dégradait de l’humanité, défendirent, sous peine de la vie, de planter, de semer, et de rien faire de semblable ; défense dont on ne peut se souvenir sans exécration.

II se félicite de ce que l’Europe, par cette découverte du Nouveau-Monde, est parvenue à un si haut degré de puissance, qu’elle fait le commerce et la navigation des trois autres parties du monde. L’Amérique a lié à l’Europe l’Asie et l’Afrique. Elle fournit à la première la matière de son commerce avec cette vaste partie de l’Asie qu’on appelle les Indes orientales : le métal, si utile au commerce comme signe, fut la base du plus grand commerce de l’univers comme marchandise. La navigation de l’Afrique devint nécessaire, fournissant des hommes pour le travail des mines et des terres de l’Amérique.

Comme les Indes, au lieu d’être dans la dépendance de l’Espagne, sont devenues le principal, notre auteur n’est point surpris que l’Espagne, devenue accessoire, se soit appauvrie, malgré les richesses immenses tirées de l’Amérique, et, qui plus est, malgré son ciel pur et serein, et malgré ses richesses naturelles. Le travail des mines du Mexique et du Pérou détruit la culture des terres d’Espagne. O vous qui êtes à la tête des affaires, vous qui êtes les dépositaires des sentiments des princes et les interprètes de leur amour, écoutez ce grand principe de notre auteur : « C’est une mauvaise espèce de richesse qu’un tribut d’accident, et qui ne dépend pas de l’industrie de la nation, du nombre de ses habitants, ni de la culture de ses terres. »

Notre auteur propose ici une question à examiner ; savoir, si l’Espagne ne pouvant faire le commerce des Indes par elle-même, il ne vaudrait pas mieux qu’elle le rendit libre aux étrangers ; ce qui pourtant, selon lui, ne devrait pas être séparé des autres considérations, surtout du danger d’un grand changement, des inconvénients qu’on prévoit, et qui souvent sont moins dangereux que ceux qu’on ne peut pas prévoir.

Notre auteur, après avoir traité des lois dans leur rapport avec le commerce considéré dans sa nature et ses distinctions, et avec le commerce considéré dans ses révolutions, examine les lois dans leur rapport avec la monnaie.

II commence par expliquer la raison de l’usage de la monnaie, qui est la nécessité des échanges, vu l’inégalité des productions de chaque pays ; sa nature, qui est de représenter la valeur des marchandises comme signe ; sa forme, qui est l’empreinte de chaque État. Il examine ensuite dans quel rapport la monnaie doit être, pour la prospérité de l’État, avec les choses qu’elle représente. Il distingue les monnaies réelles des monnaies idéales. Les réelles sont, dit-il, d’un certain poids et d’un certain titre ; elles deviennent idéales lorsqu’on retranche une partie du métal de chaque pièce en lui laissant le même nom. Pour que le commerce fleurisse, les lois doivent faire employer des monnaies réelles, éloignant toute opération qui puisse les rendre idéales, à moins de vouloir donner à l’état de terribles secousses ; témoin les plaies profondes et cruelles qui saignent encore dans quelques pays.

Notre auteur nous instruit que l’or et l’argent augmentent chez les nations policées, soit qu’elles tirent ces métaux de chez elles, soit qu’elles aillent les chercher là où ils sont, et qu’ils diminuent chez les nations barbares.

ll fait voir que l’argent des mines de l’Amérique est une marchandise de plus que l’Europe reçoit en troc, et qu’elle envoie en troc aux Indes. Ainsi une plus grande quantité d’or et d’argent est favorable, si on regarde ces métaux comme marchandises ; elle ne l’est point lorsqu’on les regarde comme signes, parce que leur abondance choque leur qualité de signes, qui est beaucoup fondée sur la rareté. Ainsi c’est en raison de la quantité de ces métaux que l’intérêt de l’argent est diminué ou augmenté.

Il nous montre une grande vérité ; savoir, que le prince ne peut pas plus fixer la valeur des marchandises qu’ordonner que le rapport, par exemple, d’un à dix soit égal à celui d’un à vingt : car l’établissement d’un prix des choses dépend fondamentalement de la raison totale des choses au total des signes.

Il passe à l’article du change. Comme tout est du ressort de l’esprit lumineux de notre auteur, de sorte que la matière qu’il traite successivement paraît celle qu’il sait le mieux, il examine, il analyse, il approfondit tout ce qui a rapport au change. Le change, dit-il, est une fixation de la valeur actuelle et momentanée des monnaies. Il est formé par l’abondance et la rareté relatives des monnaies des divers pays. Il entre dans un grand détail pour montrer les variations du change, comment il attire les richesses d’un État dans un autre ; il fait voir ses différentes positions, ses différents effets. Pour se faire mieux entendre, souvent il ne dédaigne pas les détails les plus minutieux, dont il profite pour s’élever aux vues générales ; il sait quelquefois même semer, pour ainsi dire, des fleurs sur les plus sèches et les plus épineuses recherches de cette matière de calcul, et il est consolant de voir élever entre ses mains ces mêmes recherches à un rang si éminent, qu’on les honore aujourd’hui du nom de sciences.

Notre auteur, toujours persuadé que l’érudition choisie, bien loin de s’opposer à la science du gouvernement, lui prête un grand secours, à l’aide des précieux monuments de l’antiquité, examine la conduite des Romains sur les monnaies. Il reconnaît que, quand ils firent des changements là-dessus, lors de la première et de la seconde guerre punique, ils agirent avec sagesse ; mais qu’on n’en doit pas faire un exemple de nos jours, vu les différentes circonstances. La monnaie haussa et baissa à Rome, à mesure que l’or et l’argent devinrent plus ou moins rares. Ainsi les Romains, dans leurs opérations sur les monnaies, ne firent que ce que demandait la nature des choses.

Du temps de la république, on procéda par voie de retranchement ; l’État confiait au peuple ses besoins sans le séduire. Sous les empereurs, on procéda par voie d’alliage. Ces princes, réduits au désespoir par leurs libéralités mêmes, altérèrent la monnaie. Ces opérations violentes, pratiquées pendant que l’empire était affaissé sous un mauvais gouvernement, ne sauraient avoir lieu dans ce temps-ci, où, indépendamment de la modération et de la douceur des gouvernements de nos jours, le change a appris à comparer toutes les monnaies du monde, et à les mettre à leur juste valeur. Le titre des monnaies ne peut plus être un secret. Si un État commence le billon, tout le monde continue, et le fait pour lui. Les espèces fortes sortent d’abord, et on les lui renvoie faibles. Ainsi ces sortes de violences ne feraient que dessécher les racines du commerce, et éteindre le germe même de son existence. Le change empêche les grands coups d’autorité, et rend inutiles les lois qui blesseraient la liberté de disposer de ses effets : enfin le change gêne le despotisme.

Les banquiers sont faits pour changer de l’argent, et non pas pour en prêter. Ainsi notre auteur les trouve utiles lorsque le prince ne s’en sert que pour changer, et comme le prince ne fait que de grosses affaires, le moindre profit fait un grand objet pour le banquier même. Si, au contraire, on les emploie à faire des avances, ils chargent le prince de gros intérêts, sans qu’on puisse les accuser d’usure.

L’esprit supérieur de notre auteur ramène tout aux premiers principes ; il aperçoit dans chaque matière l’origine des abus et leur remède. Ainsi, parlant des dettes de l’État, après avoir fait sentir l’importance de ne point confondre un papier circulant qui représente la monnaie, avec un papier qui représente la dette d’une nation, il fait voir les conséquences de ces dettes et les moyens de les payer sans fouler ni l’État ni les particuliers, et sans détruire la confiance publique, dont on a un souverain besoin, étant la seule et vraie richesse de l’État. Il fait aussi sentir combien il est essentiel que l’État accorde une singulière protection à ses créanciers, si on ne veut jeter la nation dans les convulsions les plus dangereuses et sans remède.

Quant au prêt de l’argent à intérêt, il remarque que, si cet intérêt est trop haut, le négociant, qui voit qu’il lui coûterait plus en intérêt qu’il ne pourrait gagner dans le commerce, n’entreprend rien. Si l’intérêt est trop bas, personne ne prête, et le négociant n’entreprend rien non plus ; ou, si on prête, l’usure s’introduit avec mille inconvénients.

Il trouve aussi, d’après les grands jurisconsultes, la raison de la grandeur de l’usure maritime dans les périls de la mer et dans la facilité que le commerce donne à l’emprunteur de faire promptement de grandes affaires et en grand nombre, au lieu que les usures de terre, n’étant fondées sur aucune de ces deux raisons, sont ou proscrites par les législateurs, ou réduites à de justes bornes.

Les continuels et brusques changements que des lois extrêmes causèrent à Rome, tantôt en retranchant les capitaux, tantôt en diminuant ou défendant les intérêts, tantôt en étant les contraintes par corps, tantôt en abolissant les dettes, naturalisèrent l’usure chez les Romains : car les créanciers, voyant le peuple leur débiteur, leur législateur, leur juge, n’eurent plus de confiance dans les contrats. Comme les lois ne furent point ménagées, cela fit que tous les moyens honnêtes de prêter et d’emprunter furent abolis à Rome ; qu’une usure affreuse, toujours foudroyée et toujours renaissante, s’y établit : tant il est vrai que les lois extrêmes, même dans le bien, font naître le mal extrême.

Notre auteur indique le taux de l’intérêt dans les différents temps de la république romaine : il en recherche les lois relatives. Comme les législateurs portèrent les choses à l’excès, on trouva une infinité de moyens pour les éluder : ainsi il en fallut faire beaucoup d’autres pour les confirmer, corriger, tempérer.

Il est surprenant de voir comment notre auteur, supérieur même aux préjugés qu’un certain respect pour l’antiquité pourrait justifier, sait relever l’erreur de Tacite, quoiqu’il soit un de ses auteurs de préférence, lorsqu’il prit pour une loi des Douze Tables une loi qui fut faite par les tribuns Duillius et Menenius, environ quatre-vingt-quinze ans après la loi des Douze Tables : cette loi fut la première qui fixa à Rome le taux de l’usure.

II finit cette matière par une maxime d’Ulpien : Celui-là paie moins, qui paie plus tard. « Cela décide, dit-il, la question si l’intérêt est légitime ; c’est-à-dire si le créancier peut vendre le temps, et le débiteur l’acheter. »

La population tient, par la nature de la chose, au commerce. Il y a, pour ainsi dire, une action et réaction entre ces deux agents. Ainsi notre auteur, faisant sentir l’enchaînement de ces deux objets et leur influence mutuelle, après avoir examiné la matière du commerce dans tous ses rapports, n’est pas moins attentif à développer les lois relatives au nombre des hommes et à leur multiplication, et quel est le vœu de la nature.

Il commence par remarquer que la propagation des bêtes est constante, mais que celle des hommes est toujours troublée par les passions, par les fantaisies, par le luxe ; que l’obligation naturelle qu’a le père de nourrir ses enfants a fait établir le mariage, qui déclare celui qui doit remplir cette obligation.

Notre auteur, toujours attentif à inspirer la pureté des mœurs, nous fait voir combien les conjonctions illicites choquent la propagation de l’espèce : car le père, qui a l’obligation de nourrir et d’élever les enfants, n’est point fixe ; les femmes soumises à la prostitution publique ne sauraient avoir la confiance de la loi : d’où il s’ensuit que la continence publique favorise la propagation de l’espèce.

La raison, dit notre auteur, nous dicte que quand il y a un mariage, les enfants suivent la condition du père ; quand il n’y en a point, ils ne peuvent concerner que la mère.

La propagation est très-favorisée par la loi qui fixe la famille dans la suite des personnes du même sexe. La famille est une sorte de propriété. Un homme qui a des enfants du sexe qui ne la perpétue pas, n’est jamais content qu’il n’en ait de celui qui la perpétue.

Il nous parle de divers ordres de femmes légitimes ; il traite des bâtards. Il observe comment, dans les républiques anciennes, on faisait des lois sur l’état des bâtards, par rapport à la constitution. Telle république recevait pour citoyens les bâtards, afin d’augmenter sa puissance contre les grands ; telle autre, comme Athènes, retrancha les bâtards du nombre des citoyens, pour avoir une plus grande portion de bled. Dans plusieurs villes, dans la disette de citoyens, les bâtards succédaient ; dans l’abondance, ils ne succédaient pas.

Il fonde le consentement des pères pour le mariage sur leur puissance, leur amour, leur raison, leur prudence ; mais il croit qu’il convient quelquefois d’y mettre des restrictions.

Comme la nature porte assez au mariage, il trouve inutile d’y encourager, à moins qu’elle ne soit arrêtée par la difficulté de la subsistance, par la dureté du gouvernement, par l’excès des impôts, qui font regarder aux cultivateurs leurs champs moins comme le fondement de leur nourriture que comme un prétexte à la vexation. Ainsi notre auteur nous fait sentir combien la population dépend de la sûreté, de la modération, de la douceur du gouvernement : tant il est vrai que chaque page de son ouvrage n’inspire que des sentiments paternels, surtout pour les cultivateurs, qu’on doit regarder comme la base de l’édifice politique.

Il nous fait voir comment la propagation dépend du nombre relatif des filles et des garçons : il développe la raison de la grande propagation dans les ports de mer ; comment elle est plus ou moins grande, suivant les différentes productions de la terre, les pays de pâturages étant peu peuplés, les terres à bled davantage, les vignobles encore plus ; qu’elle est en raison du partage égal des terres, ou en raison des arts, lorsque les terres sont inégalement distribuées ; comment elle dépend de la fécondité du climat, sans besoin des lois, comme à la Chine ; comment elle tient à la nature du gouvernement, comme dans les républiques de la Grèce, où les législateurs n’eurent pour objet que le bonheur des citoyens au dedans et une puissance au dehors. Ainsi, avec un petit territoire et une grande félicité, il était facile que la population devînt si considérable, que les politiques grecs crurent devoir s’attacher à régler le nombre des citoyens.

Notre auteur, soutenant pour ainsi dire son vol, mesure comme un aigle la terre d’un œil ferme, et, à l’aide des monuments de l’antiquité, il voit que l’Italie, la Sicile, l’Asie Mineure, l’Espagne, la Germanie, étaient, à peu près comme la Grèce, pleines de petits peuples, et regorgeaient d’habitants ; ainsi on n’y avait pas besoin de lois pour en augmenter le nombre ; mais, comme toutes ces petites républiques furent englouties dans une grande, on vit insensiblement l’univers se dépeupler.

Comme les Romains furent le peuple du monde le plus sage, et que, pour réparer ses pertes, il eut besoin du secours des lois, notre auteur, profitant de l’histoire et de la jurisprudence, si liées à l’esprit de conseil et aux talents de l’administration, recueille les lois que les Romains firent à ce sujet.

Il proteste de ne point parler ici de l’attention que les Romains eurent pour réparer la perte des citoyens à mesure qu’ils en perdirent, faisant des associations, donnant les droits de cité, et trouvant une pépinière de citoyens dans leurs esclaves : il se borne à parler de ce qu’ils firent pour réparer la perte des hommes.

Jamais les vues de sagesse et de prévoyance qui dictèrent ces lois n’ont eu une application plus nécessaire que dans les circonstances de nos jours. Ainsi il n’est point indifférent que je suive pas à pas notre auteur dans leur origine, leurs motifs, leurs avantages, leur suite, leurs infractions. Notre auteur a été très-exact à en recueillir toutes les vues, et assez sage pour en choisir les plus essentielles.

Les anciennes lois de Rome cherchèrent à déterminer les citoyens au mariage. Les censeurs y eurent l’œil, et, selon les besoins, ils y engagèrent et par la honte et par les peines.

La corruption des mœurs dégoûta du mariage, et détruisit la censure elle-même.

Le nombre des citoyens fut assez diminué par les discordes civiles, le triumvirat, les proscriptions, qui, si j’ose le dire, remplirent Rome d’un deuil général et d’un désastre universel.

Pour y remédier, César et Auguste rétablirent la censure, et se firent censeurs eux-mêmes. Ils firent aussi des règlements favorables au mariage.

César donna des récompenses à ceux qui avaient beaucoup d’enfants. Attaquant les femmes par la vanité, il défendit à celles qui avaient moins de quarante-cinq ans, et qui n’avaient ni mari ni enfants, de porter des pierreries et de se servir de litière.

Auguste augmenta les récompenses et imposa des peines nouvelles. Il fit sentir aux Romains que la cité ne consistait point dans les maisons, les portiques, les places publiques, mais dans le nombre des hommes, qui sont les premiers biens, et les biens les plus précieux de l’État. Il leur reprochait le célibat où ils vivaient pour vivre dans le libertinage, « Chacun de vous, s’écriait-il, a des compagnes de sa table et de son lit, et vous ne cherchez que la paix dans vos déréglements.»

Pour y remédier, il donna la loi qu’on nomma Julia Pappia Poppæa, du nom des consuls. Notre auteur la regarde avec raison comme un code de lois, ou un corps systématique de tous les règlements qu’on pouvait faire à cet égard. Elle fut, dit-il, la plus belle partie des lois civiles des Romains.

On y accorda au mariage et au nombre des enfants les prérogatives, c’est-à-dire tous les honneurs et toutes les préséances que les Romains accordaient par respect à la vieillesse.

On donna quelques prérogatives au mariage seul, indépendamment des enfants qui en pourraient naître ; ce qu’on appela le droit des maris.

On donna d’autres prérogatives à ceux qui avaient des enfants ; ce qu’on appela droit d’enfants.

On en donna de plus grandes à ceux qui avaient trois enfants ; ce qu’on appela droit de trois enfants.

Notre auteur nous avertit de ne point confondre ces trois choses. « II y avait, dit-il, des priviléges dont les gens mariés jouissaient toujours, comme, par exemple, une place particulière au théâtre ; il y en avait dont ils ne jouissaient que lorsque des gens qui avaient des enfants, ou qui en avaient plus qu’eux, ne les leur ôtaient pas. »

Les gens mariés qui avaient le plus grand nombre d’enfants étaient préférés, soit dans la poursuite des honneurs, soit dans leur exercice.

Le consul qui avait le plus d’enfants prenait le premier les faisceaux ; il avait le choix des provinces.

Le sénateur qui avait le plus d’enfants était écrit le premier dans le catalogue des sénateurs ; il disait son avis le premier.

L’on pouvait parvenir avant l’âge aux magistratures, chaque enfant donnant la dispense d’un an.

Le nombre de trois enfants exemptait de toutes charges personnelles.

Les femmes ingénues, qui avaient trois enfants, et les affranchies qui en avaient quatre, sortaient de la tutelle perpétuelle établie par les lois.

Outre les récompenses, il y avait des peines. Les voici :

Ceux qui n’étaient point mariés ne pouvaient rien recevoir par le testament des étrangers.

Ceux qui étaient mariés, mais n’avaient point d’enfants, ne recevaient que la moitié.

Le mari et la femme, par une exemption de la loi qui limitait leurs dispositions réciproques par testament, pouvaient se donner le tout, s’ils avaient des enfants l’un de l’autre ; s’ils n’en avaient point, ils pouvaient recevoir la dixième partie de la succession à cause du mariage ; et s’ils avaient des enfants d’un autre mariage, ils pouvaient se donner autant de dixièmes qu’ils avaient d’enfants.

Si un mari s’absentait d’auprès de sa femme pour autre cause que pour les affaires de la république, il ne pouvait en être l’héritier.

La loi donnait à un mari ou à une femme qui survivait, deux ans pour se remarier, et un an et demi pour le divorce.

Les pères qui ne voulaient pas marier leurs enfants, ou donner des maris à leurs filles, y étaient contraints par le magistrat.

On défendit les fiançailles lorsque le mariage devait être différé de plus de deux ans ; et comme on ne pouvait épouser une fille qu’à douze ans, on ne pouvait la fiancer qu’à dix, car la loi ne voulait pas que l’on pût jouir inutilement, et sous prétexte de fiançailles, des priviléges des gens mariés.

Il était défendu à un homme qui avait soixante ans d’épouser une femme qui en avait cinquante, car on ne voulait point de mariages inutiles après tant de priviléges.

La même raison déclara inégal le mariage d’une femme qui avait plus de cinquante ans avec un homme qui en avait moins de soixante.

Pour que l’on ne fût pas borné dans le choix, Auguste permit à tous les ingénus qui n’étaient pas sénateurs d’épouser des affranchies.

La loi pappienne interdisait aux sénateurs le mariage avec les affranchies, ou avec les femmes de théâtre.

Du temps d’Ulpien, la loi défendait aux ingénus d’épouser des femmes de mauvaise vie, des femmes de théâtre, des femmes condamnées par un jugement public. Du temps de la république, ces lois étaient inconnues ; car la censure corrigeait ces désordres, ou les empêchait de naître.

Les peines contre ceux qui se mariaient contre la défense des lois, étaient les mêmes que celles contre ceux qui ne se mariaient point du tout.

Les lois par lesquelles Auguste adjugea au trésor public les successions et les legs de ceux qu’elles déclaraient incapables, parurent plutôt fiscales que politiques et civiles. Ainsi le dégoût pour le mariage s’augmenta. Cela fit qu’on fut obligé tantôt de diminuer les récompenses des délateurs, tantôt d’arrêter leurs brigandages, tantôt de modifier ces lois odieuses.

D’ailleurs, les empereurs, dans la suite, les énervèrent par les priviléges des droits de maris, d’enfants, de trois enfants, par la dispense des peines. On donna le privilége des maris aux soldats. Auguste fut exempté des lois qui limitaient la faculté d’affranchir, et de celle qui bornait la faculté de léguer.

Les sectes de philosophie introduisirent un esprit d’éloignement pour les affaires. Ces fatales semences produisirent l’éloignement pour les soins d’une famille, et par conséquent la destruction de l’espèce humaine.

Les lois de Constantin ôtèrent les peines des lois pappiennes, et exemptèrent tant ceux qui n’étaient point mariés que ceux qui, étant mariés, n’avaient point d’enfants.

Théodose le jeune abrogea les lois décimaires, qui donnaient une plus grande extension aux dons que le mari et la femme pouvaient se faire à proportion du nombre des enfants, comme on l’a remarqué ci-dessus.

Justinien déclara valables tous les mariages que les lois pappiennes avaient défendus.

Par les lois anciennes, la faculté naturelle que chacun a de se marier et d’avoir des enfants ne pouvait être ôtée. Ainsi la loi pappienne annulait la condition de ne se point marier apposée à un legs, et le serment de ne se point marier et de n’avoir point d’enfants, que le patron faisait faire à son affranchi ; mais on vit émaner des constitutions des empereurs des clauses qui contredisent ce droit ancien.

Il n’y a point une loi expresse qui abroge les priviléges et les honneurs que les lois anciennes accordaient aux mariages et au nombre des enfants ; mais depuis qu’on accorda, comme firent les lois de Justinien, des avantages à ceux qui ne se remariaient pas, il ne pouvait plus y avoir des priviléges et des honneurs pour le mariage. Ici notre auteur, rendant hommage au célibat qui a pour motif la religion, déplore amèrement le célibat introduit par le libertinage, qui fait qu’une infinité de gens riches et voluptueux fuient le mariage pour la commodité de leurs dérèglements.

Notre auteur, avant de finir ce sujet, n’oublie pas cette loi abominable de l’exposition des enfants. Il nous fait remarquer qu’il n’y avait aucune loi romaine qui permît cette action dénaturée, et que la loi des douze tables ne changea rien aux institutions des premiers Romains, qui eurent à cet égard une police assez bonne, mais qu’on ne suivit plus lorsque le luxe ôta l’aisance, lorsque les richesses partagées furent appelées pauvreté, lorsque le père crut avoir perdu ce qu’il donna à sa famille, et qu’il distingua cette famille de la propriété.

Pour nous faire mieux connaître l’état de l’univers après la destruction des Romains, notre auteur observe que leurs réglements, faits pour augmenter le nombre des citoyens, eurent, comme les autres lois qui élevèrent Rome à cette grandeur, leur effet pendant que la république, dans la force de son institution, n’eut à réparer que les pertes qu’elle faisait par son courage, par sa fermeté, par son amour pour la gloire, et par sa vertu même. En réparant ces pertes, les Romains croyaient défendre leurs lois, leur patrie, leurs temples, leurs dieux pénates, leurs sépulcres, leur liberté, leurs biens. Mais sitôt que les lois les plus sages ne purent remédier aux pertes causées par une corruption générale, capable de rendre ce grand empire une solitude, pour qu’il ne restât, pour ainsi dire, personne pour en déplorer la chute, et l’extinction du nom romain, dès lors un déluge de nations gothes, gétiques, sarrasines et tartares coupa, pour ainsi dire, le nerf de ce corps immense et de cette machine monstrueuse ; bientôt des peuples barbares n’eurent à détruire que des peuples barbares.

Dans l’état où était l’Europe après cette affreuse catastrophe, et après un coup aussi surprenant, on n’aurait pas cru qu’elle put se rétablir, surtout lorsque sous Charlemagne elle ne forma plus qu’un vaste empire. Mais il arriva un changement par rapport au nombre des hommes. L’Europe, après Charlemagne, par la nature du gouvernement d’alors, se partagea en une infinité de petites souverainetés. Chaque seigneur n’étant en sûreté que par le nombre des habitants de son village ou de sa ville, où il résidait, s’attacha à faire fleurir son pays ; ce qui réussit tellement que, malgré les irrégularités du gouvernement, le défaut de connaissances sur le commerce, le grand nombre de guerres et de querelles, il y eut dans la plupart des contrées de l’Europe plus de peuple qu’il n’y en a aujourd’hui : témoin les prodigieuses armées des croisés.

La navigation, qui depuis deux siècles est augmentée en Europe, a procuré des habitants et en a fait perdre. Il ne faut pas juger de l’Europe comme d’un État particulier qui ferait seul une grande navigation : cet État augmenterait de peuple, parce que toutes les nations voisines viendraient prendre part à cette navigation ; il y arriverait des matelots de tous côtés. Mais l’Europe, séparée du reste du monde par des déserts, par la religion, étant presque partout entourée des pays mahométans, ne se répare pas ainsi.

De tout ceci notre auteur a raison de conclure que l’Europe a besoin de lois qui favorisent la propagation, laquelle, étant la partie la plus malade de la plupart des gouvernements de nos jours, mérite le plus de secours.

Notre auteur, bien loin de trouver ces secours dans des établissements singuliers, et encore moins dans les récompenses des prodiges, comme serait celle des privilèges de douze enfants, ne demande que des récompenses et des peines générales, comme demandaient les Romains, et il ne cherche que la nature dans les sillons des campagnes et dans les cabanes des laboureurs.

On dirait qu’il fait descendre les princes de la majesté du trône pour les conduire dans ces contrées malheureuses où la nature est aussi défigurée que les hommes qui y séjournent. Spectateur de l’abandon de ces pays, dont les plaies paraissent incurables seulement à ceux qui ne connaissent pas la force de sages lois, et pénétré des plaintes, des gémissements, de l’esprit de nonchalance de ces habitants pâles, débiles, exténués, portant sur leur visage l’empreinte de leur infortune, il propose des remèdes et des règles si sensées, qu’on dirait qu’elles ont été dictées par l’énergie d’une âme qui ne désire que le bien. Comme ce seul article, rempli de vues également éclairées et bienfaisantes, renferme, pour ainsi dire, le code d’administration publique le plus sage que puisse former un prince qui se sent plutôt le père que le maître de ses peuples, on me saura gré de ce que je le répète ici. « Lorsqu’un État se trouve dépeuplé par des accidents particuliers, des guerres, des pestes, des famines, il y a des ressources : les hommes qui restent peuvent conserver l’esprit de travail et d’industrie ; ils peuvent chercher à réparer leurs malheurs, et devenir plus industrieux par leur calamité même. Le mal presque incurable est lorsque la dépopulation vient de longue main par un vice intérieur et un mauvais gouvernement. Les hommes y ont péri par une maladie insensible et habituelle : nés dans la langueur et dans la misère, dans la violence ou les préjugés du gouvernement, ils se sont vu détruire souvent sans sentir les causes de leur destruction, etc.

« Pour rétablir un État aussi dépeuplé, on attenait en vain des secours des enfants qui pourraient y naître. Il n’est plus temps : les hommes, dans leurs déserts, sont sans courage et sans industrie. Avec des terres pour nourrir un peuple, on a à peine de quoi nourrir une famille. Le bas peuple, dans ces pays, n’a pas même de part à leur misère, c’està-dire aux friches dont ils sont remplis. Le prince, les villes, les grands, quelques citoyens principaux, sont devenus insensiblement propriétaires de toute la contrée : elle est inculte ; mais les familles détruites leur en ont laissé les pâtures, et l’homme de travail n’a rien.

« Dans cette situation, il faudrait faire dans toute l’étendue de l’empire ce que les Romains faisaient dans une partie du leur : pratiquer dans la disette des habitants ce qu’ils observaient dans l’abondance, distribuer des terres à toutes les familles qui n’ont rien, leur procurer les moyens de les défricher et de les cultiver. Cette distribution devrait se faire à mesure qu’il y aurait un homme pour la recevoir, de sorte qu’il n’y eût point de moment perdu pour le travail. »

Que d’heureuses conséquences naissent des principes et des moyens que notre auteur propose dans cet article pour exciter au travail, encourager l’agriculture, et trouver des bras et des charrues qui fertilisent les terres abandonnées ! Il fait sentir, avec son grand discernement, qui frappe toujours au but des choses, que la grande prospérité ou les désastres d’un pays dépendent de la bonté ou de la corruption du gouvernement ; que, sans la propriété, qui est, pour ainsi dire, la mère nourrice de l’agriculture, tout est perdu : chose qu’il a remarquée ailleurs par la pratique opposée des pays orientaux, où le despotisme, ôtant l’esprit de propriété, cause l’abandon de la culture des terres. « On ne bâtit, dit-il, de maisons que pour la vie ; on ne fait point de fossés, on ne plante point d’arbres ; on tire tout de la terre, on ne lui rend rien ; tout est en friche, tout est désert. » Notre auteur, toujours affectionné au bien public, nous montre que ces domaines étendus, sans bornes, sont le fléau de la culture des terres. Enfin il fait voir que rien n’annonce plus un gouvernement paternel qu’une attention non interrompue pour exciter au travail. Ces grandes vérités, si l’on en est bien pénétré, sont capables de ranimer l’agriculture et la population dans les fanges des marécages mêmes.

Cet amour du travail, et par conséquent cette horreur de l’oisiveté, que notre auteur inspire, lui font faire une remarque que peut-être le commun des hommes ne comprend pas, et qui cependant n’est que trop vraie ; savoir : que la population dans quelques circonstances peut être favorisée, dans quelques autres elle peut être affaiblie par l’établissement des hôpitaux. Il s’en faut bien que notre auteur, avec cette humanité éclairée qui marche à la tête de chaque page de son ouvrage, ne reconnaisse que la vraie indigence est quelque chose de sacré, que les vrais pauvres doivent être respectés comme des gens revêtus d’un caractère public, et que par conséquent leur subsistance est la dette la plus ancienne et la plus privilégiée de l’État ; mais il n’a que trop raison de dire que l’indigence même ne doit pas être regardée comme un mal, puisqu’elle a des ressources honnêtes pour ceux qui ne craignent pas le travail ; ainsi il n’a pas tort de dire que les hôpitaux sont nécessaires dans les pays de commerce, où, comme beaucoup de gens n’ont que leur art, l’État doit secourir les vieillards, les malades, les orphelins. Les richesses, dit-il, supposent une industrie ; mais comme, dans un si grand nombre de branches de commerce, il est impossible qu’il n’y en ait toujours quelqu’une qui souffre, l’État doit apporter un prompt secours aux ouvriers qui sont dans la nécessité ; laquelle étant momentanée, il ne faut que des secours de même nature, c’est-à-dire des secours passagers. Mais quand la nation est pauvre, la pauvreté particulière dérive de la misère générale : Tous les hôpitaux du monde ne peuvent guérir cette pauvreté particuculière : au contraire, l’esprit de paresse qu’ils inspirent augmente la pauvreté générale, et par conséquent la particulière ; témoin quelques pays remplis d’hôpitaux, où tout le monde est à son aise, excepté ceux qui ont de l’industrie, qui cultivent les arts et qui font le commerce.

Notre auteur, pour perfectionner son ouvrage, perfection qui consistait à ramener le tout à des règles générales, comme à un point, pour ainsi dire, de ralliement, s’attache à prendre comme par la main et conduire avec sûreté ceux que le ciel a assez aimés pour les choisir pour donner des lois. Ainsi, après avoir envisagé tous les différents rapports des lois, relativement à la constitution, à la liberté civile, à la liberté politique, à la force offensive, à la force défensive, au climat, au terroir, à l’esprit général, au commerce, à la population, il examine les lois dans leurs rapports avec les différents ordres des choses sur lesquelles elles statuent. Comme rien assurément n’égale la grandeur et l’importance de cet objet, digne d’un génie mâle et sublime, on dirait que notre auteur prend ici un nouvel essor, et tente des routes nouvelles.

Il fait l’énumération des différentes branches des droits qui gouvernent les hommes : droit divin, droit naturel, droit ecclésiastique, droit des gens, droit politique, droit de conquête, droit civil, droit domestique.

Comme il reconnaît que la sublimité de la raison humaine consiste à savoir bien auquel de ces différents ordres se rapportent principalement les choses sur lesquelles on doit statuer, et à ne point confondre les divers droits qui doivent gouverner les hommes, il pose les limites et le point auquel tel droit doit s’arrêter, et tel autre doit commencer. Ces bornes sont tellement nécessaires à la solidité de l’édifice dans la législation, que sans elle on énerverait cette science la plus importante, par des questions minutieuses, capables de jeter dans un chaos toute opération des lois.

Ainsi le sujet de ce livre est, ce me semble, le côté le plus lumineux de notre auteur. Il s’y distingue par l’ensemble des vues générales, et y excelle par le détail des divers droits qui concernent les successions, les devoirs des pères, des maris, des maîtres, des esclaves ; les mariages, l’empire de la cité, la propriété des biens, l’inviolabilité des ambassadeurs, les traités publics ; les crimes seulement à corriger et non à punir ; les obligations faites dans des circonstances particulières.

A travers ce détail, tout y annonce un génie accoutumé à envisager les objets sous toutes les faces, mais qui sait voir tout en grand, et montrer dans une seule pensée des choses qui en indiquent un grand nombre d’autres. En remontant à la source des lois divines, des lois de la nature, qui sont l’image de l’ordre et de la sagesse éternelle, des lois ecclésiastiques, des lois politiques, des lois des nations entre elles, notre auteur fixe, pour ainsi dire, des lignes de démarcation entre les différents droits, pour que le législateur puisse statuer avec sûreté sur les plus grandes affaires, selon leur différent ordre. Il apprend à ménager les droits sacrés de la couronne et de l’église ; à ne point décider des successions et des droits des royaumes par les mêmes maximes sur lesquelles on décide des successions et des droits entre particuliers ; à ne point confondre les règles qui concernent la propriété avec celles qui naissent de la liberté, c’est-à-dire de l’empire de la cité ; à distinguer avec une sage modération les violations de simple police, qu’on ne fait que corriger, des grandes violations des lois, qu’on doit punir. Il sépare les principes des lois civiles et politiques de ceux qui dérivent du droit des gens, inspirant ainsi du respect pour les prérogatives sacrées et réciproques des nations. Pour faire apercevoir les vues illimitées de notre auteur à ce sujet, je ne rapporterai qu’un seul trait. « Si les ambassadeurs abusent, dit-il, de leur être représentatif, on le fait cesser en les renvoyant chez eux ; on peut même les accuser devant leur maître, qui devient par là leur juge ou leur complice. » Ces deux mots renferment plus de choses que tous les volumes des publicistes qui traitent la grande question du juge compétent des ambassadeurs.

Après la fixation de ces limites entre les différents droits qui gouvernent les hommes, notre auteur couronne son travail par des règles très-sages, relatives à la manière de composer les lois. Il veut un style concis, simple, sans ostentation ; une expression directe ; des paroles qui réveillent chez tous les hommes les mêmes idées ; point d’expressions vagues ; point de subtilité, la loi n’étant que la raison simple d’un père de famille ; point d’exceptions, de limitations, de modifications ; point de lois inutiles ; point de lois qu’on puisse éluder ; point de changement dans une loi sans une raison suffisante. Il recommande que la raison de la loi soit digne d’elle ; que la loi ne choque point la nature des choses. Il fait aussi consister le génie du législateur à savoir dans quels cas il faut des différences, et il nous avertit de bien distinguer une décision, et souvent une faveur particulière de quelque rescrit, d’avec une constitution générale.

Notre auteur exige dans un législateur, non-seulement un génie étendu, mais, ce qui importe le plus, un cœur bon ; car un législateur est, si j’ose le dire, l’ange tutélaire des États.

Ainsi la candeur doit former le caractère de la loi. Il veut que l’esprit de modération soit celui du législateur, et il n’a que trop raison ; car un sage législateur doit savoir arrêter même le bien dans le point où commence l’excès ; et il doit éviter de mener les hommes par les voies extrêmes. Il se plaint amèrement de ce que les lois rencontrent presque toujours les préjugés, et, ce qui est pire, les passions des législateurs.

Enfin notre auteur développe l’esprit de quelques lois grecques et romaines, pour nous faire mieux connaître d’autres principes dans la manière de composer les lois. Ainsi il remarque que des lois qui paraissent s’éloigner des vues du législateur y sont souvent conformes ; que des lois qui paraissent les mêmes n’ont pas toujours le même effet, ou n’ont pas toujours le même motif, ou sont quelquefois différentes ; que des lois qui paraissent contraires dérivent quelquefois du même esprit. Il nous enseigne de quelle manière deux lois diverses peuvent être comparées ; qu’il ne faut pas séparer les lois de l’objet pour lequel elles sont faites, ni des circonstances qui les ont occasionnées ; qu’il est bon quelquefois qu’une loi se corrige elle-même.

Voilà l’économie de cet ouvrage magnifique. A la peinture que je viens de tracer, quelque faible qu’elle soit, il est aisé de voir que dans ce livre de l’Esprit des Lois régnent la précision, la justesse, un ordre merveilleux ; ordre peut-être caché aux yeux de ceux qui ne sauraient marcher que de conséquence en conséquence, toujours guidés par des définitions, des divisions, des avant-propos, des distinctions, mais qui paraît dans tout son jour aux esprits attentifs, capables de suppléer d’eux-mêmes les conséquences qui naissent des principes, et assez habiles pour rapprocher et joindre dans la chaîne des vérités établies celles qui s’ensuivent, qui, aux yeux des connaisseurs, ne sont, pour ainsi dire, couvertes que d’un voile transparent.

Son style majestueux, plein de sens, mais toujours concis, fait aussi voir combien notre auteur a compté sur la méditation du lecteur. Les grandes beautés qui éclatent dans ses expressions ne sauraient être mieux senties que par ceux qui se sont familiarisés avec la lecture des anciens ; tant notre auteur sait conserver partout un certain air antique, dont le caractère était de réunir une force digne de la majesté du sujet, avec les grâces les plus naïves et les nuances les plus délicates. Je n’exagère point lorsque je dis qu’en lisant Polybe, César et Tacite, après l’ouvrage de notre auteur, il ne me paraît pas que je change de lecture. C’est ainsi qu’en nous promenant dans notre galerie royale... parmi une foule d’étrangers, on ne croit pas changer d’objet en tournant l’œil, des statues des Grecs à celles de Michel-Ange, et de la Vénus de la Tribune, à celle du Titien.

Après avoir parlé de l’ouvrage de notre auteur, j’aurais mauvaise grâce à entretenir le lecteur de mon travail ; c’est au lecteur équitable à en juger par le travail même, pourvu qu’il mette à part, pour un moment, l’ouvrage de notre auteur, comme l’on cachait les simulacres des dieux.

Mon dessein est de montrer la conformité de penser de notre auteur avec les plus grands génies de tous les âges 31 . Mais à Dieu ne plaise que par là j’aie voulu porter atteinte à la plus précieuse prérogative de son ouvrage, qui consiste dans cet esprit créateur ! Il faut l’avouer, il était réservé à l’extrême vigueur du génie de notre auteur de former un si beau système par le précieux enchaînement de pensées détachées, et qu’on a regardées jusqu’à présent comme des matériaux épars et comme étrangers. Ainsi ma science, vis-à-vis de celle de notre auteur, qui est vraiment créatrice, mérite à peine le nom de science, n’étant, pour ainsi dire, que de seconde main : j’allais presque dire que je ne suis qu’un voyageur qui, à la vue d’une grande pyramide, se plaît à examiner la charpente qui a servi pour l’élever.

J’espère que notre auteur agréera mon intention. S’il y trouve quelque chose qui soit conforme à ses souhaits, je me trouverai le plus heureux des mortels ; car c’est le comble du bonheur que de travailler pour le progrès de la raison humaine, unique objet de notre auteur et de son ouvrage immortel.

1 Voyez l’Introduction à l’Esprit des Lois. chap. IV.

2 J’ai cru à propos, en renvoyant le lecteur à l’original, de me taire, dans mon travail, à l’égard des lois civiles de la monarchie française et de ses lois féodales, matières difficiles, épineuses, et qui demandent des connaissances locales et sans nombre. J’en ai agi de même au sujet des lois par rapport à la religion. Eh ! comment un écrivain subalterne oserait-il lever ses mains tremblantes pour cueillir des fruits d’un arbre qui a sa racine dans le ciel ? Je n’ai rien dit non plus sur quelques exemples. Néanmoins toutes les grosses masses y restent. (BERTOLINI.)

3 L’article des lois romaines sur les successions, qui seul dans l’original forme le livre XXVII, non sans interruption, trouve ici naturellement sa place après le chapitre V du livre V, où je l’ai mis. (BERTOLINI.)

4 Chose singulière ! ces deux auteurs, par des chemins différents et souvent opposés, vont au même but : je veux dire à la douceur et à la modération. (BERTOLINI.)

5 Cet écrit fut composé en 1754, temps d’une paix générale en Europe.

6 Le pape Benoît XIV, Prosper Lambertini.

7 Grandeur et décadence des Romains, chapitre XV. (Portrait de Trajan.)

8 Liv. IV, chap. III.

9 Liv. XIX, chap. xvii.

10 Ibid.

11 Liv. V, ch. xiv.

12 Et veteris Romæ sublimem interrogat umbram.

13 Liv. XVI, ch. iv.

14 Liv. XV, ch. vii.

15 Liv. XXV, ch. iv.

16 Liv. XXIV. ch. iii.

17 Liv. XIV, ch. iii.

18 Liv. XIV, ch. v.

19 Ibid., ch. vi.

20 Ibid., ch. viii.

21 Ibid., ch. ix.

22 Ibid., ch. x.

23 Liv. XV, ch. viii.

24 Ibid., ch. xi.

25 Ibid., ch. xii.

26 Liv. XVI, ch. iv.

27 Ibid., ch. vi.

28 Ibid., ch. Xii.

29 Liv. XIX, ch. iv.

30 Semper ad eventum fcstinat, et in medias res,

Non secus ac notas, auditorem rapit

HOR., de Art. poet.

31 Par des notes surl’Esprit des Lois, [qui n’ont jamais paru.]

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