On n’a jamais remarqué aux Romains de jalousie sur le commerce. Ce fut comme nation rivale, et non comme nation commerçante, qu’ils attaquèrent Carthage. Ils favorisèrent les villes qui faisaient le commerce, quoiqu’elles ne fussent pas sujettes : ainsi ils augmentèrent, par la cession de plusieurs pays, la puissance de Marseille. Ils craignaient tout des barbares, et rien d’un peuple négociant. D’ailleurs, leur génie, leur gloire, leur éducation militaire, la forme de leur gouvernement, les éloignaient du commerce.
Dans la ville, on n’était occupé que de guerres, d’élections, de brigues et de procès ; à la campagne, que d’agriculture ; et dans les provinces, un gouvernement dur et tyrannique était incompatible avec le commerce.
Que si leur constitution politique y était opposée, leur droit des gens n’y répugnait pas moins. « Les peuples, dit le jurisconsulte Pomponius 1 , avec lesquels nous n’avons ni amitié, ni hospitalité, ni alliance, ne sont point nos ennemis : cependant, si une chose qui nous appartient tombe entre leurs mains, ils en sont propriétaires, les hommes libres deviennent leurs esclaves ; et ils sont dans les mêmes termes à notre égard. »
Leur droit civil n’était pas moins accablant. La loi de Constantin, après avoir déclaré bâtards les enfants des personnes viles qui se sont mariées avec celles d’une condition relevée, confond les femmes qui ont une boutique 2 de marchandises avec les esclaves, les cabaretières, les femmes de théâtres, les filles d’un homme qui tient un lieu de prostitution, ou qui a été condamné à combattre sur l’arène. Ceci descendait des anciennes institutions des Romains.
Je sais bien que des gens pleins de ces deux idées : l’une, que le commerce est la chose du monde la plus utile à un État, et l’autre, que les Romains avaient la meilleure police du monde, ont cru qu’ils avaient beaucoup encouragé et honoré le commerce ; mais la vérité est qu’ils y ont rarement pensé 3 .
1 Leg. 5, §. 2, ff. de captivis. (M.)
2 Quae mercimoniis publice praefuit. Leg. 1, cod. de natural liberis. (M.)
3 C’est à l’abbé de Saint-Pierre que s’adresse cette réfutation.