CHAPITRE III. DIFFÉRENCE CAPITALE ENTRE LES LOIS SALIQUES ET LES LOIS DES WISIGOTHS ET DES BOURGUIGNONS.

J’ai 1 dit que la loi des Bourguignons et celle des Wisigoths étaient impartiales ; mais la loi salique ne le fut pas : elle établit entre les Francs et les Romains les distinctions les plus affligeantes. Quand 2 on avait tué un Franc, un barbare, ou un homme qui vivait sous la loi salique, on payait à ses parents une composition de deux cents sous ; on n’en payait qu’une de cent, lorsqu’on avait tué un Romain possesseur 3  ; et seulement une de quarante-cinq, quand on avait tué un Romain tributaire : la composition pour le meurtre d’un Franc, vassal 4 du roi, était de six cent sous ; et celle du meurtre d’un Romain convive 5 du roi 6 , n’était que de trois cents. Elle mettait donc une cruelle différence entre le seigneur franc et le seigneur romain, et entre le Franc et le Romain qui étaient d’une condition médiocre.

Ce n’est pas tout : si l’on assemblait 7 du monde pour assaillir un Franc dans sa maison, et qu’on le tuât, la loi salique ordonnait une composition de six cents sous ; mais si on avait assailli un Romain ou un affranchi 8 , on ne payait que la moitié de la composition. Par la même loi 9 , si un Romain enchaînait un Franc, il devait trente sous de composition ; mais si un Franc enchaînait un Romain, il n’en devait qu’une de quinze. Un Franc dépouillé par un Romain, avait soixante-deux sous et demi de composition ; et un Romain dépouillé par un Franc, n’en recevait qu’une de trente. Tout cela devait être accablant pour les Romains.

Cependant un auteur célèbre 10 forme un système de l’Établissement des Francs dans les Gaules, sur la présupposition qu’ils étaient les meilleurs amis des Romains. Les Francs étaient donc les meilleurs amis des Romains, eux qui leur firent, eux qui en reçurent 11 des maux effroyables ? Les Francs étaient amis des Romains, eux qui, après les avoir assujettis par leurs armes, les opprimèrent de sang-froid par leurs lois. Ils étaient amis des Romains comme les Tartares qui conquirent la Chine étaient amis des Chinois.

Si quelques évêques catholiques ont voulu se servir des Francs pour détruire des rois ariens, s’ensuit-il qu’ils aient désiré de vivre sous des peuples barbares ? En peut-on conclure que les Francs eussent des égards particuliers pour les Romains ? J’en tirerais bien d’autres conséquences : plus les Francs furent sûrs des Romains, moins ils les ménagèrent.

Mais l’abbé Dubos a a puisé dans de mauvaises sources pour un historien, dans les poètes et les orateurs : ce n’est point sur des ouvrages d’ostentation qu’il faut fonder des systèmes.

1 Au chapitre I de ce livre. (M.)

2 Loi salique. tit. XLIV, § 1 (M.) Le sou d’or était le prix d’un bœuf.

3 Qui res in pago ubi remanet proprias habet. Loi salique, tit., XLIV, § 15 ; voyez aussi le § 7. (M.)

4 Qui in truste dominica est, Ibid., tit. XLIV, § 4. (M.)

5 Si Romanus homo conviva regis fuerit. Ibid. § 6. (M.)

6 Les principaux Romains s’attachaient à la cour, comme on le voit par la vie de plusieurs évêques qui y furent élevés. Il n’y avait guère que les Romains qui sussent écrire. (M.)

7 Loi Salique, tit. XLV. (M.)

8 Lidus, dont la condition était meilleure que celle du serf. Loi des Allemands, ch. xcv. (M.)

9 Tit. XXXV, § 3 et 4. (M.)

10 L’abbé Dubos. (M.) Le livre a paru en 1731, 2 vol., in-4º.

11 Témoin l’expédition d’Arbogaste, dans Grégoire de Tours, Histoire. liv. II. (M.)

a A. B. M. l’abbé Dubos a puisé dans de mauvaises sources pour l’histoire, etc.

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