CHAPITRE XIII. DIFFÉRENCE DE LA LOI SALIQUE OU DES FRANCS SALIENS D’AVEC CELLE DES FRANCS RIPUAIRES ET DES AUTRES PEUPLES BARBARES 1 .

La loi salique n’admettait point l’usage des preuves négatives, c’est-à-dire que, par la loi salique, celui qui faisait une demande ou une accusation devait la prouver, et qu’il ne suffisait pas à l’accusé de la nier : ce qui est conforme aux lois de presque toutes les nations du monde.

La loi des Francs ripuaires avait tout un autre 2 esprit ; elle se contentait des preuves négatives ; et celui contre qui on formait une demande ou une accusation, pouvait, dans la plupart des cas, se justifier, en jurant, avec certain nombre de témoins, qu’il n’avait point fait ce qu’on lui imputait. Le nombre 3 des témoins qui devaient jurer augmentait selon l’importance de la chose ; il allait quelquefois 4 à soixante-douze. Les lois des Allemands, des Bavarois, des Thuringiens, celles des Frisons, des Saxons, des Lombards et des Bourguignons, furent faites sur le même plan que celles des Ripuaires.

J’ai dit que la loi salique n’admettait point les preuves négatives. Il y avait pourtant un 5 cas où elle les admettait ; mais, dans ce cas elle ne les admettait point seules et sans le concours des preuves positives. Le demandeur faisait 6 ouir ses témoins pour établir sa demande ; le défendeur faisait ouir les siens pour se justifier ; et le juge cherchait la vérité dans les uns et dans les autres 7 témoignages. Cette pratique était bien différente de celle des lois ripuaires et des autres lois barbares, où un accusé se justifiait en jurant qu’il n’était point coupable, et en faisant jurer ses parents qu’il avait dit la vérité. Ces lois ne pouvaient convenir qu’à un peuple qui avait de la simplicité et une certaine candeur naturelle. Il fallut même que les législateurs en prévinssent l’abus, comme on le va voir tout à l’heure.

1 Montesquieu est le premier qui ait remarqué cette différence.

2 Cela se rapporte à ce que dit Tacite, (de mor. germ., c. 28) que les peuples germains avaient des usages communs et des usages particuliers. (M.)

3 Loi des Ripuaires, tit. VI, VII, VIII et autres. (M.) Elle ne demandait pas de preuves à l’accusateur.

4 Ibid., tit. XI, XII et XVII. (M.)

5 C’est celui où un antrustion, c’est-à-dire un vassal du roi, en qui on supposait une plus grande franchise, était accusé. Voyez le titre LXXVI du Pactus legis salicœ. (M.)

6 Voyez le même titre LXXVI. (M.)

7 Comme il se pratique encore aujourd’hui en Angleterre. (M.)

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