La puissance civile étant entre les mains d’une infinité de seigneurs, il avait été aisé à la juridiction ecclésiastique de se donner tous les jours plus d’étendue : mais, comme la juridiction ecclésiastique énerva la juridiction des seigneurs, et contribua par là à donner des forces à la juridiction royale, la juridiction royale restreignit peu à peu la juridiction ecclésiastique, et celle-ci recula devant la première. Le parlement, qui avait pris dans sa forme de procéder tout ce qu’il y avait de bon et d’utile dans celle des tribunaux des clercs, ne vit bientôt plus que ses abus ; et la juridiction royale se fortifiant tous les jours, elle fut toujours plus en état de corriger ces mêmes abus. En effet, ils étaient intolérables ; et sans en faire l’énumération, je renverrai à Beaumanoir 1 , à Boutillier, aux ordonnances de nos rois. Je ne parlerai que de ceux qui intéressaient plus directement la fortune publique. Nous connaissons ces abus par les arrêts qui les réformèrent. L’épaisse ignorance les avait introduits ; une espèce de clarté parut, et ils ne furent plus. On peut juger, par le silence du clergé, qu’il alla lui-même au-devant de la correction ; ce qui, vu la nature de l’esprit humain, mérite des louanges. Tout homme qui mourait sans donner une partie de ses biens à l’église, ce qui s’appelait mourir déconfès, était privé de la communion et de la sépulture. Si l’on mourait sans faire de testament, il fallait que les parents obtinssent de l’évêque qu’il nommât, concurremment avec eux, des arbitres, pour fixer ce que le défunt aurait dû donner en cas qu’il eût fait un testament 2 . On ne pouvait pas coucher ensemble la première nuit des noces, ni même les deux suivantes, sans en avoir acheté la permission ; c’était bien ces trois nuits-là qu’il fallait choisir, car, pour les autres on n’aurait pas donné beaucoup d’argent. Le parlement corrigea tout cela. On trouve, dans le glossaire 3 du droit français de Ragueau, l’arrêt qu’il rendit contre l’évêque d’Amiens 4 .
Je reviens au commencement de mon chapitre. Lorsque, dans un siècle, ou dans un gouvernement, on voit les divers corps de l’État chercher à augmenter leur autorité, et à prendre les uns sur les autres de certains avantages, on se tromperait souvent si l’on regardait leurs entreprises comme une marque certaine de leur corruption. Par un malheur attaché à la condition humaine, les grands hommes modérés sont rares ; et, comme il est toujours plus aisé de suivre sa force que de l’arrêter, peut-être, dans la classe des gens supérieurs, est-il plus facile de trouver des gens extrêmement vertueux, que des hommes extrêmement sages.
L’âme goûte tant de délices à dominer les autres âmes ; ceux mêmes qui aiment le bien s’aiment si fort eux-mêmes, qu’il n’y a personne qui ne soit assez malheureux pour avoir encore à se défier de ses bonnes intentions : et, en vérité, nos actions tiennent à tant de choses, qu’il est mille fois plus aisé de faire le bien, que de le bien faire.
1 Voyez Boutillier, Somme rurale, tit. IX, Quelles personnes ne peuvent faire demande en cour laie ; et Beaum. c. XI, p. 56 ; et les règlements de Philippe-Auguste à ce sujet ; et l’établissement de Philippe-Auguste fait entre les clercs, le roi, et les barons. (M.)
2 Episcopus de jure est executor, est un adage du temps. Conf. Concile de Trente, sess. XXII, can. 8.
3 Au mot Exécuteurs testamentaires. (M.) L’Indice des droits royaux et seigneuriaux de Ragueau a été fondu dans le Glossaire du droit français d’Eusèbe de Laurière, Paris, 1704, 2 vol. in-4º.
4 Du 19 mars 1409. (M.)