On trouve des énigmes dans les codes des lois des barbares. La loi 1 des Frisons ne donne qu’un demi-sou de composition à celui qui a reçu des coups de bâton ; et il n’y a si petite blessure pour laquelle elle n’en donne davantage. Par la loi salique, si un ingénu donnait trois coups de bâton à un ingénu, il payait trois sous ; s’il avait fait couler le sang, il était puni comme s’il avait blessé avec le fer ; et il payait quinze sous : la peine se mesurait par la grandeur des blessures. La loi des Lombards 2 établit différentes compositions pour un coup, pour deux, pour trois, pour quatre. Aujourd’hui un coup en vaut cent mille.
La constitution de Charlemagne, insérée dans la loi des Lombards 3 , veut que ceux à qui elle permet le duel, combattent avec le bâton. Peut-être que ce fut un ménagement pour le clergé ; peut-être que, comme on étendait l’usage des combats, on voulut les rendre moins sanguinaires. Le capitulaire 4 de Louis le Débonnaire donne le choix de combattre avec le bâton ou avec les armes. Dans la suite il n’y eut que les serfs qui combattissent avec le bâton 5 .
Déjà je vois naître et se former les articles particuliers de notre point d’honneur. L’accusateur commençait par déclarer devant le juge qu’un tel avait commis une telle action ; et celui-ci répondait qu’il en avait menti 6 ; sur cela, le juge ordonnait le duel. La maxime s’établit que, lorsqu’on avait reçu un démenti, il fallait se battre.
Quand un homme 7 avait déclaré qu’il combattrait, il ne pouvait plus s’en départir ; et s’il le faisait, il était condamné à une peine. De là suivit cette règle que, quand un homme s’était engagé par sa parole, l’honneur ne lui permettait plus de la rétracter.
Les gentilshommes 8 se battaient entre eux à cheval et avec leurs armes ; et les villains 9 se battaient à pied et avec le bâton. De là il suivit que le bâton était l’instrument des outrages 10 parce qu’un homme qui en avait été battu, avait été traité comme un vilain.
Il n’y avait que les vilains qui combattissent à visage découvert 11 ; ainsi il n’y avait qu’eux qui pussent recevoir des coups sur la face. Un soufflet devint une injure qui devait être lavée par le sang, parce qu’un homme qui l’avait reçu, avait été traité comme un vilain.
Les peuples germains n’étaient pas moins sensibles que nous au point d’honneur ; ils l’étaient même plus. Ainsi les parents les plus éloignés prenaient une part très-vive aux injures ; et tous leurs codes sont fondés là-dessus. La loi des Lombards 12 veut que celui qui, accompagné de ses gens, va battre un homme qui n’est point sur ses gardes, afin de le couvrir de honte et de ridicule, paie la moitié de la composition qu’il aurait due s’il l’avait tué ; et que si, par le même motif, il le lie, il paie les trois quarts de la même composition 13 .
Disons donc que nos pères étaient extrêmement sensibles aux affronts ; mais que les affronts d’une espèce particulière, comme de recevoir des coups d’un certain instrument sur une certaine partie du corps, et donnés d’une certaine manière, ne leur étaient pas encore connus. Tout cela était compris dans l’affront d’être battu ; et, dans ce cas, la grandeur des excès faisait la grandeur des outrages.
1 Additio sapientium Wilemari, tit. V. (M.)
2 Liv. I, tit. VI, § 3. (M.)
3 Liv. II, tit. V, § 23. (M.)
4 Ajouté à la loi salique sur l’an 819. (M.)
5 Voyez Beaumanoir, ch. LXIV, p. 328. (M.)
6 Ibid., p. 329. (M.)
7 Ibid., ch. III, p. 25 et 329. (M.)
8 Voyez, sur les armes des combattants, Beaum., ch. LXI, p. 308, et ch. LXIV, p. 328. (M.)
9 Voyez Beaumanoir, ch. LXIV, p. 328. Voyez aussi les chartres de Saint-Aubin d’Anjou, rapportées par Galland, p. 263. (M.)
10 Chez les Romains les coups de bâton n’étaient point infâmes. L. Ictus fustium. De iis qui notantur infamia. (M.)
11 Ils n’avaient que l’écu et le bâton. Beaumanoir, ch. LXIV, p. 328. (M.)
12 Liv. I, tit. VI, § 1. (M.)
13 Ibid., § 2. (M.)