Les maires du palais n’eurent garde de rétablir l’amovibilité des charges et des offices ; ils ne régnaient que par la protection qu’ils accordaient à cet égard à la noblesse : ainsi les grands offices continuèrent à être donnés pour la vie, et cet usage se confirma de plus en plus.
Mais j’ai des réflexions particulières à faire sur les fiefs. Je ne puis douter que, dès ce temps-là, la plupart n’eussent été rendus héréditaires.
Dans le traité d’Andeli 1 , Gontran et son neveu Childebert s’obligent de maintenir les libéralités faites aux leudes et aux églises par les rois leurs prédécesseurs ; et il est permis aux reines, aux filles, aux veuves des rois, de disposer par testament, et pour toujours, des choses qu’elles tiennent du fisc 2 .
Marculfe écrivait ses formules du temps des maires 3 . On en voit plusieurs où les rois donnent et à la personne et aux héritiers 4 : et, comme les formules sont les images des actions ordinaires de la vie, elles prouvent que, sur la fin de la première race, une partie des fiefs passait déjà aux héritiers. Il s’en fallait bien que l’on eût, dans ce temps-là, l’idée d’un Domaine inaliénable 5 ; c’est une chose très-moderne, et qu’on ne connaissait alors ni dans la théorie, ni dans la pratique.
On verra bientôt sur cela des preuves de fait : et, si je montre un temps où il ne se trouva plus de bénéfices pour l’armée, ni aucun fonds pour son entretien, il faudra bien convenir que les anciens bénéfices avaient été aliénés. Ce temps est celui de Charles Martel, qui fonda de nouveaux fiefs, qu’il faut bien distinguer des premiers.
Lorsque les rois commencèrent à donner pour toujours, soit par la corruption qui se glissa dans le gouvernement, soit par la constitution même qui faisait que les rois étaient obligés de récompenser sans cesse, il était naturel qu’ils commençassent plutôt à donner à perpétuité les fiefs, que les comtés. Se priver de quelques terres était peu de chose ; renoncer aux grands offices, c’était perdre la puissance même.
1 Rapporté par Grégoire de Tours, liv. IX. Voyez aussi l’édit de Clotaire Il, de l’an 615, art. 16. (M.)
2 Ut si quid de agris fiscalibus vel speciebus atque presidio, pro arbitrii sui voluntate, facere, aut cuiquam conferre voluerint, fixa stabilitate perpetuo conservetur. (M.)
3 Voyez la XXIV et la XXXIV du liv. I. (M.)
4 Voyez la formule XIV du liv. I, qui s’applique également à des biens fiscaux donnés directement pour toujours, ou donnés d’abord en bénéfice, et ensuite pour toujours : Sicut ab illo, aut a fisco nostro, fuit possessa. Voyez aussi la formule XVII, ibid. (M.)
5 L’inaliénabilité du domaine de la couronne est devenue sous la troisième race une loi fondamentale du royaume. Le principe subsiste encore aujourd’hui.