J’ai dit que les hommes libres allaient à la guerre sous leur comte, et les vassaux sous leur seigneur. Cela faisait que les ordres de l’État se balançaient les uns les autres ; et, quoique les leudes eussent des vassaux sous eux, ils pouvaient être contenus par le comte, qui était à la tête de tous les hommes libres de la monarchie.
D’abord 1 , ces hommes libres ne purent pas se recommander pour un fief, mais ils le purent dans la suite ; et je trouve que ce changement se fit dans le temps qui s’écoula depuis le règne de Gontran jusqu’à celui de Charlemagne. Je le prouve par la comparaison qu’on peut faire du traité d’Andely 2 passé entre Gontran, Childebert et la reine Brunehault, et le partage fait par Charlemagne à ses enfants, et un partage pareil fait par Louis le Débonnaire 3 . Ces trois actes contiennent des dispositions à peu près pareilles à l’égard des vassaux ; et, comme on y règle les mêmes points, et à peu près dans les mêmes circonstances, l’esprit et la lettre de ces trois traités se trouvent à peu près les mêmes à cet égard.
Mais, pour ce qui concerne les hommes libres, il s’y trouve une différence capitale. Le traité d’Andely ne dit point qu’ils pussent se recommander pour un fief ; au lieu qu’on trouve, dans les partages de Charlemagne et de Louis le Débonnaire, des clauses expresses pour qu’ils puissent s’y recommander : ce qui fait voir que, depuis le traité d’Andely, un nouvel usage s’introduisait, par lequel les hommes libres étaient devenus capables de cette grande prérogative.
Cela dut arriver lorsque Charles Martel ayant distribué les biens de l’Église à ses soldats, et les ayant donnés, partie en fief, partie en aleu, il se fit une espèce de révolution dans les lois féodales. Il est vraisemblable que les nobles, qui avaient déjà des fiefs, trouvèrent plus avantageux de recevoir les nouveaux dons en aleu, et que les hommes libres se trouvèrent encore trop heureux de les recevoir en fief.
1 Voyez ce que j’ai dit ci-dessus au livre XXX, ch. dernier, vers la fin. (M.)
2 De l’an 587, dans Grégoire de Tours, liv. IX. (M.)
3 Voyez le chapitre suivant, où je parle plus au long de ces partages et les notes où ils sont cités. (M.)