CHAPITRE XXVIII. CHANGEMENTS ARRIVÉS DANS LES GRANDS OFFICES ET DANS LES FIEFS.

Il semblait que tout prît un vice particulier, et se corrompît en même temps [tems]. J’ai dit que, dans les premiers temps [tems], plusieurs fiefs étaient aliénés à perpétuité ; mais c’étaient des cas particuliers, et les fiefs en général conservaient toujours leur propre nature ; et si la couronne avait perdu des fiefs, elle en avait substitué d’autres. J’ai dit encore que la couronne n’avait jamais aliéné les grands offices à perpétuité 1 .

Mais Charles le Chauve fit un règlement général, qui affecta également et les grands offices et les fiefs : il établit, dans ses Capitulaires, que les comtés seraient données aux enfants du comte ; et il voulut que ce règlement eût encore lieu pour les fiefs 2 .

On verra tout à l’heure que ce règlement reçut une plus grande extension ; de sorte que les grands offices et les fiefs passèrent à des parents plus éloignés. Il suivit de là que la plupart des seigneurs, qui relevaient immédiatement de la couronne, n’en relevèrent plus que médiatement. Ces comtes, qui rendaient autrefois la justice dans les plaids du roi ; ces comtes, qui menaient les hommes libres à la guerre, se trouvèrent entre le roi et ses hommes libres ; et la puissance se trouva encore reculée d’un degré.

Il y a plus : il paraît par les capitulaires que les comtes avaient des bénéfices attachés à leur comté, et des vassaux sous eux 3 . Quand les comtés furent héréditaires, ces vassaux du comte ne furent plus les vassaux immédiats du roi ; les bénéfices attachés aux comtés ne furent plus les bénéfices du roi ; les comtes devinrent plus puissants, parce que les vassaux qu’ils avaient déjà les mirent en état de s’en procurer d’autres.

Pour bien sentir l’affaiblissement qui en résulta à la fin de la seconde race, il n’y a qu’à voir ce qui arriva au commencement de la troisième, où la multiplication des arrière-fiefs mit les grands vassaux au désespoir.

C’était une coutume du royaume que, quand les aînés avaient donné des partages à leurs cadets, ceux-ci en faisaient hommage à l’aîné 4  ; de manière que le seigneur dominant ne les tenait plus qu’en arrière-fief. Philippe Auguste, le duc de Bourgogne, les comtes de Nevers, de Boulogne, de Saint-Paul, de Dampierre, et autres seigneurs, déclarèrent que dorénavant, soit que le fief fût divisé par succession ou autrement, le tout releverait toujours du même seigneur, sans aucun seigneur moyen 5 . Cette ordonnance ne fut pas généralement suivie, car, comme j’ai dit ailleurs, il était impossible de faire dans ces temps-là des ordonnances générales 6  ; mais plusieurs ds nos coutumes se réglèrent là-dessus.

1 Des auteurs ont dit que la comté de Toulouse avait été donnée par Charles Martel, et passa d’héritier en héritier jusqu’au dernier Raymond ; mais si cela est, ce fut l’effet de quelques circonstances qui purent engager à choisir les comtes de Toulouse parmi les enfants du dernier possesseur. (M.)

2 Voyez son capitulaire de l’an 877, titre LIII, art. 9 et 10, apud Carisiacum. Ce capitulaire se rapporte à un autre de la même année et du même lieu, art. 3. (M.)

3 Le capitulaire III de l’an 812. art. 7 ; et celui de l’an 815, art. 6, sur les Espagnols ; le recueil des Capitulaires, liv. V, art. 288 ; et le capitulaire de l’an 869, art. 2 ; et celui de l’an 877, art. 13, édit. de Baluze. (M.)

4 Comme il paraît par Othon de Frissingue, des Gestes de Frédéric, liv. II, ch. XXIX. (M.)

5 Voyez l’ordonnance de Philippe-Auguste, de l’an 1209, dans le nouveau recueil [des Ordonnances de Laurière.] (M.)

6 Supra, livre XXVIII, chapitre XLV.

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