Lorsque les Barbares sortirent de leur pays, ils voulurent rédiger par écrit leurs usages ; mais comme on trouva de la difficulté à écrire des mots germains avec des lettres romaines, on donna ces lois en latin.
Dans la confusion de la conquête et de ses progrès, la plupart des choses changèrent de nature ; il fallut, pour les exprimer, se servir des anciens mots latins qui avaient le plus de rapport aux nouveaux usages. Ainsi, ce qui pouvait réveiller l’idée de l’ancien cens des Romains 1 , on le nomma census, tributum ; et, quand les choses n’y eurent aucun rapport quelconque, on exprima, comme on put, les mots germains avec des lettres romaines : ainsi on forma le mot fredum, dont je parlerai beaucoup dans les chapitres suivants.
Les mots census et tributum ayant été ainsi employés d’une manière arbitraire, cela a jeté quelque obscurité dans la signification qu’avaient ces mots dans la première et dans la seconde race : et des auteurs modernes, qui avaient des systèmes particuliers 2 , ayant trouvé ce mot dans les écrits de ces temps-là, ils ont jugé que ce qu’on appelait census était précisément le cens des Romains ; et ils en ont tiré cette conséquence, que nos rois des deux premières races s’étaient mis à la place des empereurs romains, et n’avaient rien changé à leur administration 3 . Et comme de certains droits levés dans la seconde race ont été, par quelques hasards et par de certaines modifications, convertis en d’autres, ils en ont conclu que ces droits étaient le cens des Romains 4 : et, comme depuis les règlements modernes ils ont vu que le domaine de la couronne était absolument inaliénable, ils ont dit que ces droits, qui représentaient le cens des Romains, et qui ne forment pas une partie de ce domaine, étaient de pures usurpations. Je laisse les autres conséquences.
Transporter dans des siècles reculés toutes les idées du siècle où l’on vit, c’est des sources de l’erreur celle qui est la plus féconde. A ces gens qui veulent rendre modernes tous les siècles anciens, je dirai ce que les prêtres d’Égypte dirent à Solon : « O Athéniens ! vous n’êtes que des enfants 5 . »
1 Le census était un mot si générique, qu’on s’en servit pour exprimer les péages des rivières, lorsqu’il y avait un pont ou un bac à passer. Voyez le capitulaire III de l’an 803, édit. de Baluze, p. 395, art. I, et le Ve de l’an 819, page 616. On appela encore de ce nom les voitures fournies par les hommes libres au roi ou à ses envoyés, comme il paraît par le Capitulaire de Charles le Chauve, de l’an 865, art. 8. (M.)
2 M. l’abbé Dubos, et ceux qui l’ont suivi. (M.)
3 Voyez la faiblesse des raisons de M. l’abbé Dubos, Établissement de la monarchie française, tome III, liv. VI, ch. XIV ; surtout l’induction qu’il tire d’un passage de Grégoire de Tours sur un démêlé de son église avec le roi Charibert. (M.)
4 Par exemple, par les affranchissements. (M.)
5 Platon dans le Timée.