CHAPITRE XI. DE QUELLE MANIÈRE DEUX LOIS DIVERSES PEUVENT ÊTRE COMPARÉES a .

En France, la peine contre les faux témoins est capitale ; en Angleterre, elle ne l’est point. Pour juger laquelle de ces deux lois est la meilleure, il faut ajouter : en France, la question contre les criminels est pratiquée ; en Angleterre elle ne l’est point ; et dire encore : en France, l’accusé ne produit point ses témoins, et il est très-rare qu’on y admette ce que l’on appelle les faits justificatifs ; en Angleterre, l’on reçoit les témoignages de part et d’autre. Les trois lois françaises forment un système très-lié et très-suivi ; les trois lois anglaises en forment un qui ne l’est pas moins. La loi d’Angleterre, qui ne connaît point la question contre les criminels, n’a que peu d’espérance de tirer de l’accusé la confession de son crime 1  ; elle appelle donc de tous côtés les témoignages étrangers, et elle n’ose les décourager par la crainte d’une peine capitale. La loi française, qui a une ressource de plus 2 , ne craint pas tant d’intimider les témoins ; au contraire, la raison demande qu’elle les intimide : elle n’écoute que les témoins d’une 3 part ; ce sont ceux que produit la partie publique ; et le destin de l’accusé dépend de leur seul témoignage. Mais, en Angleterre, on reçoit les témoins des deux parts, et l’affaire est, pour ainsi dire, discutée entre eux b . Le faux témoignage y peut donc être moins dangereux ; l’accusé y a une ressource contre le faux témoignage, au lieu que la loi française n’en donne point. Ainsi, pour juger lesquelles de ces lois sont les plus conformes à la raison, il ne faut pas comparer chacune de ces lois à chacune ; il faut les prendre toutes ensemble, et les comparer toutes ensemble 4 .

a A. B. Comment il faut juger de la différence des lois.

1 Elle s’y refuse ; elle n’admet pas qu’on puisse obliger un accusé à déposer contre lui-même.

2 La torture.

3 Par l’ancienne jurisprudence française, les témoins étaient ouïs des deux parts. Aussi voit-on, dans les Établissements de saint Louii, liv. I, ch. VII, que la peine contre les faux témoins en justice était pécuniaire. (M.)

b A. B. entre eux discutée.

4 Qu’on nous permette d’être un peu surpris que la barbarie de la torture, le refus injuste et tyrannique d’admettre la preuve des faits justificatifs, et la loi équivoque et peut-être trop rigoureuse contre les faux témoins, soient présentés par Montesquieu comme formant un système de législation dont il faille examiner l’ensemble. Si c’est un persifflage, il n’est pas assez marqué. (CONDORCET.)

Pour connaître la pensée de l’auteur il suffit de lire le chap. III du XVI.

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