Lorsque le voleur était surpris avec la chose volée, avant qu’il l’eût portée dans le lieu où il avait résolu de la cacher, cela était appelé chez les Romains un vol manifeste ; quand le voleur n’était découvert qu’après, c’était un vol non manifeste.
La loi des Douze Tables ordonnait que le voleur manifeste fût battu de verges, et réduit en servitude s’il était pubère ; ou seulement battu de verges s’il était impubère : elle ne condamnait le voleur non manifeste qu’au payement du double de la chose volée.
Lorsque la loi Porcia eut aboli l’usage de battre de verges les citoyens, et de les réduire en servitude, le voleur manifeste fut condamné au quadruple 1 ; et on continua à punir du double le voleur non manifeste.
Il paraît bizarre que ces lois missent une telle différence dans la qualité de ces deux crimes, et dans la peine qu’elles infligeaient : en effet, que le voleur fût surpris avant ou après avoir porté le vol dans le lieu de sa destination, c’était une circonstance qui ne changeait point la nature du crime 2 . Je ne saurais douter que toute la théorie des lois romaines sur le vol ne fût tirée des institutions lacédémoniennes 3 . Lycurgue, dans la vue de donner à ses citoyens de l’adresse, de la ruse, et de l’activité, voulut qu’on exerçât les enfants au larcin, et qu’on fouettât rudement ceux qui s’y laisseraient surprendre : cela établit chez les Grecs, et ensuite chez les Romains, une grande différence entre le vol manifeste et le vol non manifeste 4 .
Chez les Romains, l’esclave qui avait volé était précipité de la roche Tarpéienne. Là il n’était point question des institutions lacédémoniennes ; les lois de Lycurgue sur le vol n’avaient point été faites pour les esclaves ; c’était les suivre que de s’en écarter en ce point.
A Rome, lorsque un impubère avait été surpris dans le vol, le préteur le faisait battre de verges à sa volonté, comme on faisait à Lacédémone. Tout ceci venait de plus loin. Les Lacédémoniens avaient tiré ces usages des Crétois ; et Platon 5 , qui veut prouver que les institutions des Crétois étaient faites pour la guerre, cite celle-ci : « la faculté de supporter la douleur dans les combats particuliers, et dans les larcins qui obligent de se cacher 6 ».
Comme les lois civiles dépendent des lois politiques, parce que c’est toujours pour une société qu’elles sont faites 7 ; il serait bon que, quand on veut porter une loi civile d’une nation chez une autre, on examinât auparavant si elles ont toutes les deux les mêmes institutions et le même droit politique.
Ainsi, lorsque les lois sur le vol passèrent des Crétois aux Lacédémoniens, comme elles y passèrent avec le gouvernement et la constitution même, ces lois furent aussi sensées chez un de ces peuples qu’elles l’étaient chez l’autre. Mais, lorsque de Lacédémone elles furent portées à Rome 8 , comme elles n’y trouvèrent pas la même constitution, elles y furent toujours étrangères, et n’eurent aucune liaison avec les autres lois civiles des Romains.
a A. B. Elles ont été faites.
1 Voyez ce que dit Favorinus sur Aulugelle, liv. XX, ch. I. (M.)
2 Non, mais cela changeait la force de la preuve.
3 C’est une opinion qui n’est pas reçue aujourd’hui.
4 Conférez ce que dit Plutarque, Vie de Lycurgue, avec les lois du Digeste, au titre De furtis ; et les Institutes, liv. IV, tit. 1, § 1, 2 et 3. (M.) V. Sup. IV, VI.
5 Des lois, liv. I. (M.)
6 V. Sup. Liv. IV, ch. VI.
7 C’est la pensée de Bacon : At jus civile latet sub tutela juris publici.
8 Y furent-elles jamais portées ?