CHANT TROISIÈME.

Je parlais encor de Thémire ;

Aristée, attentif à ce doux entretien,

Soupirait son amour, et voulut le décrire :

Voici ce qu’il me dit ; je ne supprime rien ;

Le dieu qui l’inspirait est le dieu qui m’inspire.

 

Ma vie est peu fertile en grands événements ;

Tout en est simple. J’aime, et vous allez apprendre

Les sentiments d’une âme tendre,

Et ses plaisirs et ses tourments.

Ce même amour qui fait mon bonheur et ma gloire,

Fait aussi toute mon histoire.

 

Camille est née à Gnide au milieu des grandeurs.

Faut-il peindre celle que j’aime ?

Son image s’imprime au fond de tous les cœurs :

Elle a ces agréments flatteurs,

Cet air qui nous ravit plus que la beauté même.

 

Les femmes, dans leurs vœux, demandent à l’Amour

Les grâces de Camille, objet de leur envie.

Les hommes qui l’ont vue un jour,

Voudraient la voir toute leur vie,

Ou s’en éloigner sans retour.

L’habit le plus modeste embellit mon amante ;

Qui ne serait frappé de sa taille charmante,

De ces traits dont l’ensemble attire tous les yeux,

De son regard si fier, mais tout prêt d’être tendre,

De sa voix que sans trouble on ne saurait entendre,

De ses appas qu’on loue et qu’on sent encor mieux ?

 

Sans fierté, sans caprice, oubliant qu’elle est belle,

Camille, si l’on veut, pense profondément ;

Si l’on veut, elle rit, et dans son enjoûment

Les Grâces badinent comme elle.

 

Tout ce que fait Camille a la simplicité

De la plus naïve bergère :

Ses chants peignent la volupté :

Danse-t-elle ? on croit voir une nymphe légère.

 

Camille sans effort se plie à tous les goûts :

Plus vous avez d’esprit, plus son esprit vous flatte ;

C’est une raison fine, adroite, délicate ;

Elle a l’air de penser, de parler comme vous ;

Ce qu’elle a dit, sans peine on croit pouvoir le dire :

Son air est si touchant, son langage est si doux,

Qu’il semble que toujours c’est le cœur qui l’inspire.

Camille en gémissant me presse dans ses bras.

Quand il faut un instant m’éloigner de ses charmes.

Ne tarde point, dit-elle, à te rendre à mes larmes :

Comme si je vivais quand je ne la vois pas !

Je dis qu’elle m’est chère, elle se croit chérie ;

Je dis que je l’adore, et son cœur le sait bien :

Mais elle en est aussi ravie

Que si son cœur n’en savait rien.

Je lui dis qu’elle fait le bonheur de ma vie :

Elle dit que la sienne à la mienne est unie.

Enfin je suis payé par un si doux retour,

Que j’ai presque la folle envie

De croire son amant digne de tant d’amour.

 

Depuis un mois, Camille avait touché mon âme,

Et je n’osais encor lui parler de ma flamme ;

Tremblant de me trahir par un mot indiscret,

J’aurais voulu moi-même ignorer mon secret ;

Plus elle m’enchantait, moins il était possible

D’espérer qu’à mes vœux elle devint sensible.

Je t’adorais, Camille, et tes charmants appas

Me disaient qu’un berger ne te méritait pas.

Je voulais... ah ! pardonne ! oui, loin de ma pensée

Je voulais rejeter ton tendre souvenir :

Que je suis fortuné ! je n’ai pu l’en bannir :

Pour jamais ton image y demeure tracée.

 

D’un monde turbulent j’aimai longtemps le bruit,

Lui dis-je, et maintenant d’un paisible réduit

Je cherche l’ombre et le silence.

L’ambition m’avait séduit :

Je ne désire plus que ta seule présence.

Sous un ciel éloigné du mien,

Je voulais habiter dans de vastes empires,

Et mon cœur n’est plus citoyen

Que de la terre où tu respires :

Tout ce qui n’est pas toi, pour mes yeux n’est plus rien.

 

Camille trouve encor quelque chose à me dire,

Quand elle m’a parlé de sa tendre amitié :

Elle croit avoir oublié

Mille aveux dont sur l’heure elle vient de m’instruire.

Ravi d’écouter ses discours,

Je feins tantôt de n’en rien croire,

Tantôt d’en perdre la mémoire,

Afin d’en prolonger le cours.

Alors règne entre nous cet aimable silence,

Ce langage muet, dont la douce éloquence

Est l’interprète des amours.

 

Lorsque aux pieds de Camille empressé de me rendre,

Après une absence d’un jour,

Je lui raconte à mon retour

Ce que je viens, loin d’elle, et de voir et d’entendre,

Elle me dit : Cruel ! que vas-tu rappeler ?

N’as-tu pas d’entretien plus tendre ?

Parle de nos amours, ou laisse-moi parler

Si ton cœur n’a rien à m’apprendre.

 

Quelquefois elle dit : Aristée ! aime-moi ! —

Oui, je t’aime. — Eh ! comment ? — En vérité, je t’aime

Comme le premier jour où tu reçus ma foi :

Je ne puis comparer l’amour que j’ai pour toi,

Qu’à l’amour que j’eus pour toi-même.

Camille, une autre fois, me dit avec douleur :

Tu parais triste ! —Hélas ! je suis sûr de ton cœur,

Lui dis-je : et cependant je sens couler mes larmes !

Ne me retire pas de ma douce langueur !

Laisse-moi soupirer ma peine et mon bonheur !

Pour les tendres amants, la tristesse a des charmes.

Les transports de l’amour sont trop impétueux ;

L’âme, dans son ivresse, est comme anéantie :

Mais je jouis en paix de ma mélancolie :

Eh ! qu’importe mes pleurs, puisque je suis heureux !

 

J’entends louer Camille, et fier d’être aimé d’elle,

L’éloge que j’entends me semble être le mien :

Quand un berger l’écoute, elle parle si bien,

Que chaque mot lui prête une grâce nouvelle ;

Mais je voudrais qu’alors Camille ne dît rien.

A-t-elle pour quelque autre une amitié légère ?

Je voudrais en être l’objet :

Bientôt je me dis en secret,

Que je ne serais plus celui qu’elle préfère.

 

Aux discours des amants n’ajoute point de foi !

Ils diront que dans la nature

Il n’est rien d’aussi beau, d’aussi parfait que toi :

Ils diront vrai, Camille, et comme eux je le jure !

Ils te diront encor qu’ils t’aiment. Je les croi !

Mais si quelqu’un disait qu’il t’aime autant que moi.

J’atteste ici les dieux que c’est une imposture.

 

Quand je la vois de loin, je m’agite soudain :

Elle approche, et mon cœur s’enflamme :

Quand j’arrive auprès d’elle, il semble que mon âme

Est à Camille, et va fuir dans son sein.

Souvent Camille, à ma prière,

Refuse la moindre faveur,

Et sur-le-champ m’accorde une faveur plus chère.

Ce caprice est involontaire :

Ce n’est point de sa part un manége trompeur ;

Non : l’art ne peut entrer dans cette âme sincère :

Mais Camille, écoutant l’amour et la pudeur,

Voudrait m’être à la fois indulgente et sévère.

 

Qu’espérez-vous, dit-elle, au-dessus de mon cœur ?

Ne vous suffit-il pas, ingrat, que je vous aime ?

Tu devrais, dis-je, encor te permettre une erreur,

Une erreur de l’amour, qu’excuse l’amour même.

 

Camille ! si jamais je cessais de t’aimer,

Si pour d’autres attraits je pouvais m’enflammer,

Que ce jour soit pour moi le dernier de ma vie !

Que la Parque trompée en termine le cours !

Puisse-t-elle effacer de misérables jours

Dont je détesterais la lumière ennemie,

En songeant au bonheur de nos tendres amours !

 

ll se tut ; et je vis que cet amant fidèle

Ne cessait de parler que pour s’occuper d’elle.

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