AVIS DE L’ÉDITEUR

DE 1767 1

Dans un voyage que je fis il y a quelques années en Italie, je me liai avec des personnes qui avaient eu une correspondance réglée avec l’illustre M. de Montesquieu, et on me fit voir quelques-unes de ces lettres. Cela me fit naitre l’idée d’en faire un recueil. On applaudit à mon projet ; quelques personnes voulant en faciliter l’exécution m’ont procuré celles qu’ils avaient entre les mains ; d’autres m’ont remis celles que ce grand homme leur avait écrites ; je les donne aujourd’hui au public, persuadé qu’il me saura gré du présent que je lui fais.

Je sais que quand M. de Montesquieu écrivait ses lettres, il ne supposait pas qu’on les conserverait, et qu’elles deviendraient un jour publiques. Je sais encore que ces lettres n’ajoutent rien à la réputation de cet auteur célèbre ; mais elles sont propres à faire connaitre quelques circonstances de sa vie, ses liaisons étrangères, la bonté de son cœur envers ses amis et l’estime qu’il avait pour eux, titres trop précieux pour ceux-ci, pour ne pas rendre très-légitime leur amour-propre et leur empressement à faire connaître les monuments de leur correspondance avec un ami aussi respectable. « Si jamais je me trouvais dans le cas de devoir faire mon apologie, me disait un de ceux-ci, qui a été lié particulièrement avec lui, je ne dirais autre chose, sinon que je fus l’ami de Montesquieu et que j’en fus estimé, et je croirais en avoir dit assez. »

Quoique ce ne soient ici que des lettres familières, on y trouve souvent des choses intéressantes, des anecdotes curieuses, de ces traits de lumière, cette légèreté et ces saillies qui font le caractère des ouvrages de ce grand homme. Quelques-unes de ces lettres étant écrites d’un caractère peu lisible, d’autres étant mal conservées, il se sera peut-être glissé quelques inexactitudes dans la copie que j’en ai fait faire, mais je puis assurer que cela n’est pas arrivé souvent et n’a occasionné aucune altération essentielle. D’ailleurs, dans des écrits de cette espèce, on ne doit point être choqué de certaines négligences, qui sont inévitables, comme on n’est point choqué de voir dans son négligé une belle femme qu’on n’a vue que dans sa parure. Il n’est peut-être pas indifférent à l’histoire de l’esprit humain de connaître les différentes nuances que présentent même les génies, et il est utile de voir ceux-ci, ainsi que les héros, dans leur façon et manière d’être familière.

Je voudrais bien que cet exemple encourageât ceux qui, en France, auront des lettres de cet illustre écrivain à les faire aussi connaitre, persuadé que son âme et son esprit s’y trouvent également, car on le voit dans ses lettres tel qu’il était dans la conversation. Si un amas de petites anecdotes, d’entretiens particuliers, de bons mots, de quolibets, de sentiments et de saillies d’un des plus beaux esprits du siècle 2 , dont un des quarante de l’Académie française 3 a entretenu très-diffusément et pendant longtemps le public, dans les Mercures de France, en a rendu la lecture intéressante, combien à plus forte raison les monuments d’amitié de la tête, à bien des égards, la mieux pensante de notre siècle, de l’homme qui, selon l’expression d’un écrivain connu 4 , a fait le Code du genre humain, et qui est regardé comme le législateur de toutes les nations, doivent-ils être recherchés et conservés, quand ce ne serait que comme des Mémoires littéraires.

Je me flatte au reste qu’on ne désapprouvera pas les notes que j’ai faites sur quelques endroits de ces lettres 5 . Elles ont paru utiles pour l’intelligence du texte, et nécessaires pour donner une connaissance des personnes et des faits dont il est question, surtout en Italie, où cette collection a été désirée.

1 L’abbé de Guasco, à qui un grand nombre de ces lettres sont adressées.

2 Fontenelle.

3 L’abbé Trublet.

4 Voltaire.

5 Ces notes sont désignées dans notre édition par un G.

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