LETTRE I 1 .

A M. DES MOLETS 2 , PRÊTRE DE L’ORATOIRE,

RUE SAINT-HONORÉ, A PARIS.

J’ai reçu votre lettre, mon cher Abbé, qui m’a fait tout le plaisir du monde. Je vous dirai que je fus reçu hier de notre Académie 3 , et que je me prépare à faire mes remerciements pour être installé le premier jour de mai 4 . Je vous prie de faire part de ceci à M. Suret, et lui témoigner la joie que j’ai d’être son collègue. Je serais bien aise que vous voulussiez entreprendre le voyage de Bagnères 5 . A présent que les financiers, les seuls riches du royaume, vont être à l’hôpital 6 , nous allons être riches, nous ; car tout se doit regarder par proportion. Ainsi vous allez être aussi grand seigneur avec deux mille livres de rente que si vous en aviez quatre. Vous voyez que vous avez là de quoi vous conduire jusque Bordeaux.

Je suis, monsieur mon très-cher ami, de toute mon âme, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

SECONDAT DE MONTESQUIEU.

Comme je ne sais point l’adresse de M. de Navarre 7 , permettez que je lui écrive ici. Je vous prie de vouloir lui laisser lire ces mots 8  :

Les marques de votre souvenir me sont bien chères, monsieur. Monsieur votre père que j’eus l’honneur de voir quelques jours après votre depart, me dit que votre voyage ne serait pas long ; et je vois à présent que les plaisirs vous ont retenu. Vous n’en 9 sauriez goûter de plus solide que celui de voir souvent notre abbé. Car pour les Chloris 10 dont vous étiez autrefois si enchanté, je les donnerais toutes au diable, car si elles sont saines de corps, ce qui est très-rare, elles ne sont point saines d’esprit.

Je suis, monsieur, de toute mon âme, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

SECONDAT DE MONTESQUIEU. 11

[4 avril 1710.]

1 Tirée des archives de M. de Ravignan.

2 Sur le père Desmolets, voyez la lettre à l’abbé de Guasco, datée de Paris, 1740.

3 L’académie de Bordeam. Suivant l’éloge de d’Alembert, Montesquieu fut reçu le 3 avril 1716.

4 V. ci-dessus le discours de Montesquieu, prononcé le 1er mai 1716, pour sa réception à l’académie de Bordeaux.

5 Le mot est écrit Banieres dans l’original.

6 Allusion à la chambre de Justice instituée dans les premières années de la Régence.

7 M. de Navarre, conseiller au parlement de Bordeaux, un des ancêtres de M. de Ravignan, dans la ligne maternelle.

8 L’original porte les mots ou ces mots.

9 L’original porte : Vous ne sauriez, etc.

10 Écrit Cloris dans l’original.

11 La date de la lettre est fixée par la mention de la réception à l’Académie et du discours à prononcer le 1er mai 1716. La lettre est donc du 4 avril 1716.

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