LETTRE CII.

A M. LE CHEVALIER DE SOLIGNAC 1 ,

SECRÉTAIRE DE LA SOCIÉTÉ LITTÉRAIRE DE NANCY.

Monsieur, je crois ne pouvoir mieux faire mes remerciements à la Société littéraire qu’en payant le tribut que je lui dois, avant même qu’elle me le demande, et en faisant mon devoir d’Académicien au moment de ma nomination ; et comme je fais parler un monarque que ses grandes qualités élevèrent au trône de l’Asie, et à qui ces mêmes qualités firent éprouver de grand revers ; que je le peins comme le père de la patrie, l’amour et le délices de ses sujets, j’ai cru que cet ouvrage convenait mieux à votre Société qu’à toute autre. Je vous supplie d’ailleurs de vouloir bien lui marquer mon extrême reconnaissance.

Vous me dites, Monsieur, des choses très-flatteuses, quand vous me parlez d’un voyage en Lorraine ; vos paroles ont réveillé en moi toute l’idée de ce bonheur que l’on trouve dans la présence de Sa Majesté.

Du reste, Monsieur, je me félicite de ce que notre Société a un secrétaire tel que vous, et aussi capable d’entrer dans les grandes vues du roi, et dans l’exécution des belles choses qu’il a projetées. Je vous supplie de vouloir bien me conserver l’honneur de votre amitié ; il me semble que la mienne s’augmente pour l’historien de la Pologne.

J’ai l’honneur d’être, Monsieur, avec un attachement respectueux, etc 2 .

De Paris, le 4 avril 1751.

1 En lui envoyant le Lysimaque.

2 Le Lysimaque fut lu dans l’assemblée publique de la Société littéraire le 8 mai 1751. A la même séance, le primat de Lorraine prononça un discours conservé dans les procès-verbaux de la Société, t. 1, p. 241, et dans lequel se trouve le passage suivant, qui prouve que Montesquieu n’avait pas que des ennemis dans le clergé français.

« Plusieurs de ces génies toujours applaudis deviennent aujourd’hui vos confrères. Vos suffrages, qui n’osaient prévenir leur désir se sont hâtés d’y répondre ; on eut presque dit que nous les attendions. Quel homme si peu versé dans les lettres ne connaît M. le Président de Montesquieu ! Le discours que vous venez d’entendre pourrait seul vous faire connaître l’élévation de son âme, la justesse de ses idées, la naïveté, les grâces de sa diction.

« Mais dans quel siècle, de tous ceux qui nous ont précédés, aurait-on exécuté, aurait-on même conçu l’idée d’un ouvrage pareil à celui de l’Esprit des Lois ? Quelle étendue de connaissances, quelle profondeur de pensées, quelle sagacité de génie n’y découvre-t-on pas ? Tous les temps, tous les climats, toutes les espèces de gouvernement, les religions, les mœurs, les goûts, les passions, tous les ouvrages des hommes y sont discutés ; et la raison seule, mais toujours suivie, j’ai presque dit éclairée par un esprit supérieur et presque aussi vaste que l’univers, y décide de tout ce qui peut faire le bonheur ou le malheur des Empires. »

Ajoutons, pour être complets, que M. de Secondat, le fils de Montesquieu, écrivit au roi Stanislas le 5 mars 1751 pour demander, lui aussi, à faire partie de la Société littéraire de Nancy, et que le roi eut la bonté de lui répondre le 10 mai de la même année en agréant sa demande.

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