LETTRE CLIII 1 .

A M. DE SOLIGNAC,

SECRÉTAIRE PERPETUEL DE L’ACADÉMIE DE NANCY

A LUNÉVILLE.

Je ne sache pas, monsieur, avoir fait de changement à l’ouvrage 2 que vous voulez bien mettre dans votre Recueil, depuis que j’ai eu l’honneur de vous l’envoyer. Mais il s’en est répandu dans Paris des copies très-peu exactes que j’ai quelquefois corrigées 3 .

J’ai été ravi d’apprendre que le premier volume des Mémoires de l’académie de Nancy allait paraître, et encore de ce que c’est vous, monsieur, qui êtes notre Fontenelle. Nous avons éprouvé à l’Académie de Bordeaux que nous ne manquons pas de Mémoires, mais que nous avons toujours manqué d’un homme qui eût en même temps le talent et la volonté de les rédiger.

Vous me marquez, monsieur, que vous voulez arrêter les effets de la bile à un homme de mauvaise humeur ; je ne sais quel peut être ce confrère. Je n’entrevois d’abord là-dedans que les marques de votre amitié ; mais dans le fond les Académies sont instituées comme une alliance entre les gens de lettres, et pour être comme le temple de la paix. Il n’y en a jamais eu aucune qui ait permis que dans ses mémoires [on mit] quelque chose qui pût offenser quelqu’un de ses membres. En effet, dans ce cas, l’Académie se déclarerait elle-même 4 , et serait continuellement juge et partie dans mille procès, et il serait absolument impossible qu’un tel corps pût subsister. On ne peut pas dire que cela décourage la critique. Si un critique n’a pas ce champ de bataille, il en peut prendre mille autres, parce que toutes les imprimeries sont ouvertes.

Je vous prie de vouloir bien présenter mes respects à M. le comte de Tressan quand vous le verrez, et les sentiment d’admiration que j’ai pour lui.

J’ai l’honneur d’être, monsieur, plus que je ne saurai jamais vous le dire, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

MONTESQUIEU.

Bordeaux, 17 décembre 1754.

1 Collection Cousin, à la Sorbonne.

2 Lysimaque.

3 V. sup. la lettre à M. de Solignac, datée de Paris, 31 mars 1753.

4 C’est-à-dire se prononcerait, prendrait parti en faveur d’un des deux rivaux.

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