LETTRE XIV.

AU MÊME.

Père Cerati, vous êtes mon bienfaiteur ; vous êtes comme Orphée : vous faites suivre les rochers. Je mande à l’abbé Duval 1 que je n’entends pas qu’il abuse de l’honnêteté de M. Fouquet ; mais qu’il poursuive, et que ce qui reviendra soit partagé à l’amiable entre monseigneur et lui.

Enfin, Rome est délivrée de la basse tyrannie de Bénévent 2 , et les rênes du pontificat ne sont plus tenues par ces viles mains. Tous ces faquins, Sainte Marie à leur tête, sont retournés dans les chaumières où ils sont nés, entretenir leurs parents de leur ancienne insolence. Coscia n’aura plus pour lui que son argent, sa goutte, et sa vérole. On pendra tous les Bénéventins qui ont volé, afin que la prophétie s’accomplisse sur Bénévent : Vox in Rama audita est ; Rachel plorans filios suos noluit consolari, quia non sunt 3 .

Donnez-nous un pape qui ait un glaive comme saint Paul, et non pas un rosaire comme saint Dominique, ou une besace comme saint Français 4 . Sortez de votre léthargie : Exoriare aliquis. N’avez-vous point de honte de nous montrer cette vieille chaire de saint Pierre avec le dos rompu et pleine de vermoulure ? Voulez-vous qu’on regarde votre coffre, où sont tant de richesses spirituelles, comme une boëte d’orviétan ou de mithridate ? En vérité, vous faites un bel usage de votre infaillibilité ; vous vous en servez pour prouver que le livre de Quesnel ne vaut rien 5 , et vous ne vous en servez pas pour décider que les prétentions de l’empereur sur Parme et Plaisance sont mauvaises. Votre triple couronne ressemble à cette couronne de laurier que mettait César pour empêcher qu’on ne vit qu’il était chauve. Mes adorations à M. le cardinal de Polignac.

Je fus reçu, il y a trois jours, membre de la Société royale de Londres. On y parla d’une lettre de M. Thomas Dhisam à son frère, qui demandait le sentiment de la Société sur les découvertes astronomiques, de M. Bianchini 6 .

Embrassez, s’il vous plaît, de ma part, l’abbé, le cher abbé Niccolini. Je vous salue, cher père, de tout mon cœur.

De Londres, le 1er mars 1730.

1 Il avait été secrétaire de l’auteur ; ce fut lui qui porta le manuscrit des Lettres persanes en Hollande, et l’y fit imprimer ; ce qui coûta à leur auteur beaucoup de frais sans aucun profit. Il obtint en sa faveur la résignation du bénéfice que M. Fouquet avait obtenu de la cour de Rome en Bretagne, et il s’agissait ici de la pension que M. Duval devait payer à ce prélat. (GUASCO.)

2 Nicolas Coscia, cardinal et archevêque de Bénévent, confident et favori du pape Benoît XIII. Après la mort de son maître, arrivée le 25 février 1730, Coscia fut accusé de prévarications nombreuses. Clément XII le fit enfermer au château Saint-Ange, d’où il ne sortit que sous le pontificat de Benoit XIV ; il mourut à Naples en 1755. Sur sa conduite et son procès, voyez les Mémoires et Lettres de Marais, t. IV, pages 128, 410 et 490.

3 Évangile de saint Matthieu, XI, 18.

4 Ce fut le cardinal Corsini (Clément XII), qui fut nommé.

5 Les Réflexions morales sur le Nouveau Testament du père Quesnel, célèbre janséniste, livre qui fut l’occasion de la bulle Unigenitus, et de toutes les divisions de l’Église de France au XVIIIe siècle.

6 Bianchini (François. 1662-1729), astronome et antiquaire. Il a fait de curieuses observations sur les taches de la planète Vénus.

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