LETTRE XXXVI 1 .

MONSIEUR LE PRESIDENT DE BAUDOT 2 .

PRÈS LES JACOBINS, A BORDEAUX.

Votre lettre m’a fait un très-grand plaisir, mon cher Président, pour la nouvelle des sujets qui se présentent 3 , parmi lesquels je distingue beaucoup et M. l’évêque d’Agen, par la manière de protection que cela donne, et l’anatomiste dont vous parlez, à cause de la réalité de la chose. Je vous assure qu’avec de la bonne volonté et de la conduite, on fera quelque chose de cette Académie.

Il serait fâcheux que l’affaire de l’abbé de Clérac manquât 4 . M. de Sarrau m’en a écrit de manière à me persuader qu’il pense comme vous. J’ai envoyé chez l’abbé de Grave pour le livre avec 24 livres, on ne l’a pas voulu donner à moins de dix écus. Votre ordre précis m’a empêché de le prendre à ce prix. On m’a promis de m’envoyer la note du Journal de Trévoux ; je crois que vous ferez bien de ne pas vous arrêter à cela, et de faire vous-même l’extrait pour votre Éloge, comme si on ne l’avait pas fait. Je vous enverrai toujours le Trévoux, dès que je saurai lequel. Je parlerai à mon retour pour avoir des mémoires de la famille de Silva 5 .

J’espère, mon cher Président, que nous ferons de [sic] bon vin cette année ; je vous souhaite une bonne santé ; vous ne m’avez point envoyé votre Éloge du cardinal de Polignac. Mandez-moi à l’oreille si je pourrais vous envoyer un Temple de Gnide, bien relié en maroquin vert, pour en faire un hommage à Mme Du Plessis.

Vous ne me parlez pas de me renvoyer la dissertation anglaise, qui est arrivée trop tard, sur l’électricité, que je vous avais prié de tirer du coche ; je crois, mon cher Président, que vous devez me la renvoyer par la première occasion, afin que je la fasse remettre.

Je vous dirai que Mademoiselle 6 m’obligea, il y a quelque temps que j’étais chez elle, à lui lire un petit roman 7 . Je voudrais bien vous l’envoyer pour savoir ce que vous en pensez au juste, et que vous m’écrivissiez un long jugement, afin que je le corrigeasse. Il faudrait que le jugement portât sur le tout et sur les parties, même sur les fautes de style. Mme de Mirepoix, a qui je le montrai il y a quelques jours, et qui a prodigieusement de goût, me fit quatre ou cinq critiques très bonnes, et dont je profitai. Il faudrait donc, si vous voulez que je vous l’envoie, que vous me jugeassiez sans flatterie, car je sais bien que vous ne me jugerez pas avec sévérité, que votre cœur sera pour, mais je voudrais que votre esprit fût contre ; enfin, ce serait pour moi un petit spectacle de savoir au juste ce que vous en pensez ; je vous le ferai tenir et vous me le renverriez.

Adieu, mon cher Président, je vous salue et embrasse de tout mon cœur.

MONTESQUIEU.

A Paris, le 3 septembre 1742.

1 Bibliothèque de M. Cousin, à la Sorbonne.

2 Sur le président Barbot, ami intime de Montesquieu, voyez la lettre à l’abbé Venuti, du 30 octobre 1750.

3 A l’académie de Bordeaux.

4 La place de bibliothécaire. V. sup. la Lettre XXXIII.

5 Célèbre médecin de Bordeaux, dont sans doute le président Barbot devait faire l’éloge.

6 Mlle de Clermont.

7 Quel est ce roman ? Arsace et Isménie n’étaient probablement pas commencés. Reste le Métempsycosiste, gardé en manuscrit, ou le Voyage a Paphos, si l’ouvrage est de Montesquieu.

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