Les poésies légères.
Vos services répétés me remplissent toujours de plaisir et de joie, mais je compte comme un des plus grands que vous ayez bien voulu ne pas me cacher la longue et abondante conversation qui s’est engagée chez vous sur mes petits vers, et qui s’est longtemps prolongée par suite de la diversité des jugements ; vous me dites que certaines personnes, sans trouver à redire à mes vers en eux-mêmes me blâment cependant, amicalement, et en toute franchise, d’en composer et de les lire en public. Je leur réponds, au risque d’aggraver ma faute, ceci : « J’écris parfois de petits vers peu sévères, j’en conviens ; mais j’écoute bien aussi des comédies, j’assiste à des mimes, je lis les lyriques et je goûte les vers sotadiques ; enfin, il m’arrive de rire, de plaisanter, de badiner, et pour exprimer d’un mot tous les genres de distractions innocentes, je suis homme ».
Je ne suis point fâché d’ailleurs que l’on ait de mon caractère une assez haute estime pour que ceux qui ignorent que les hommes les plus savants, les plus graves, les plus irréprochables ont composé de pareils vers, s’étonnent de m’en voir écrire. Quant à ceux qui savent de quels illustres maîtres je suis le disciple, j’espère obtenir d’eux aisément qu’ils me permettent d’être en faute, mais du moins avec ceux dont il est honorable d’imiter non seulement les occupations sérieuses, mais encore les délassements. Dois-je craindre (je ne nommerai aucun vivant, pour ne pas m’exposer au soupçon de flatterie) dois-je craindre qu’il soit peu digne de moi de faire ce qui a été digne de M. Tullius, de C. Calvus, d’Asinius Pollion, de M. Messala, de Q. Hortensius, de M. Brutus, de L. Sylla, de Q. Catulus, de Q. Scaevola, de Servius Sulpicius, de Varron, de Torquatus, ou plutôt des Torquatus, de C. Memmius, de Lentulus Getulicus, d’Anneus Sénèque, d’Ann. Lucain, et tout près de nous de Verginius Rufus ? et s’il ne suffit pas des exemples de simples particuliers, je citerai encore le divin César, le divin Auguste, le divin Nerva, Tibère César. Je passe en effet Néron, quoique je sache qu’un goût ne devient pas pervers, pour être quelquefois celui des méchants, tandis qu’il reste honorable quand il est généralement celui des gens de bien, parmi lesquels il faut placer au premier rang P. Vergilius, Cornélius Nepos, et avant eux, Ennius et Accius. Ces derniers n’étaient pas, il est vrai, sénateurs, mais la pureté des mœurs ne varie pas selon les classes.
Toutefois, dira-t-on, je lis publiquement mes ouvrages et j’ignore si ceux-là ont lu les leurs. Oui, mais eux pouvaient se contenter de leur propre jugement ; tandis que je n’ai pas assez de confiance en moi, pour croire parfait ce qui me paraît tel. Je fais donc des lectures et voici pourquoi : d’abord un auteur qui doit lire apporte beaucoup plus de soin à ses ouvrages par respect pour ses auditeurs, ensuite sur les passages dont il n’est pas sûr, il décide comme d’après l’avis d’un conseil. Beaucoup même lui donnent des avertissements et s’ils ne les lui donnent pas, il devine le sentiment de chacun à son air, à ses yeux, à ses signes de tête, à ses gestes, à ses murmures, à son silence ; ce sont des indications assez claires qui permettent de distinguer l’opinion vraie de la politesse. Aussi, quand quelqu’un de ceux qui ont assisté à la lecture prendra envie de lire l’ouvrage, il s’apercevra que j’y ai fait des changements, ou des suppressions, peut-être même d’après son propre goût, quoiqu’il ne m’en ait rien dit. Mais j’en suis à me défendre, comme si j’avais convoqué le public dans une salle de conférence, non pas mes amis dans ma chambre ; or en avoir beaucoup a souvent fait honneur, et n’a jamais attiré de reproche. Adieu.