Le recueil de Poésies.
Que vous êtes indifférent, ou plutôt dur, et presque cruel, de retenir si longtemps de si beaux ouvrages ! Jusqu’à quand, jaloux et de vous et de moi nous refuserez-vous à vous une gloire éclatante, à moi le plus délicat des plaisirs ? Laissez-les voler de bouche en bouche et se répandre aussi loin que la langue latine. Une attente si vive et déjà si prolongée ne vous permet plus de la tromper ni de différer davantage. Quelques-uns de vos vers ont déjà paru avec éclat, s’échappant malgré vous de leur prison. Si vous ne les ramenez pas au bercail, ces vagabonds trouveront quelque jour un maître. Songez à votre condition mortelle ; ce monument seul peut vous assurer contre elle ; le reste se brise et tombe comme les hommes eux-mêmes meurent et disparaissent.
Vous me direz selon votre habitude : « Cela regarde mes amis. » Je souhaite que vous ayez des amis assez dévoués, assez savants, assez laborieux, pour pouvoir et vouloir se charger d’un tel soin et d’un tel effort, mais prenez garde qu’il ne soit peu prudent d’espérer d’autrui ce qu’on ne s’accorde pas à soi-même.
Pour la publication, attendons, si vous voulez. Faites au moins une lecture publique, pour vous donner l’envie de publier, pour que vous goûtiez enfin la joie, que je pressens depuis longtemps pour vous non sans raison. Je me représente en effet cette foule d’auditeurs, qui vous attendent, ces transports d’admiration, ces applaudissements, ce silence même, qui, lorsque je plaide ou que je donne une lecture, n’a pas moins de charmes pour moi que les applaudissements, pourvu qu’il soit un silence attentif, ardent, avide d’entendre la suite.
Cessez donc de dérober à vos veilles, par des délais éternels, une jouissance si douce et si assurée ; votre hésitation excessive risquerait d’être taxée de paresse, de négligence ou même de timidité. Adieu.