La vraie libéralité.
Vous me faites l’éloge, souvent de vive voix, et maintenant dans votre lettre, de Nonius, votre ami, pour sa générosité envers certains ; j’y joins le mien, à condition qu’il ne la limite pas à ces seules personnes. Je veux en effet qu’un homme vraiment généreux donne à sa patrie, à ses parents, à ses alliés, à ses amis, et j’entends à ses amis pauvres, sans imiter ces gens qui font des largesses surtout à ceux qui peuvent le mieux les leur rendre. Ce sont, à mon goût, des personnes intéressées, qui veulent avec leurs présents couverts de glu et armés d’hameçons non pas dépenser leurs trésors, mais ratisser ceux d’autrui. Il y en a d’un talent analogue, qui donnent à l’un ce qu’ils enlèvent à l’autre et aspirent à se faire une réputation de libéralité à force de rapine. Le premier devoir est de se contenter de son bien ; le second, en prêtant appui et assistance à ceux que l’on sait les plus nécessiteux, de former comme un cercle fermé de bienfaisance. Si votre ami suit toutes ces règles, il mérite des éloges sans réserve ; s’il n’en suit qu’une, il en mérite moins, mais il en mérite encore, tant est rare un exemple, même imparfait, de générosité. Une telle passion des richesses a envahi les hommes, qu’ils en paraissent possédés, plutôt que possesseurs. Adieu.