IV. – C. PLINE SALUE SON CHER PONTIUS.

Goût de Pline pour la poésie.

Vous avez lu, dites-vous, mes hendécasyllabes ; et vous vous demandez comment j’ai pu les écrire, moi qui suis, à votre avis, un homme austère, et de mon propre aveu, point du tout frivole.

Jamais pour reprendre les choses de plus haut, je ne me suis senti d’aversion pour la poésie. Et même à peine âgé de quatorze ans j’ai composé une tragédie grecque. Laquelle ? dites-vous. Je n’en sais rien ; j’appelais cet essai une tragédie. Peu après, revenant de l’armée, comme j’étais retenu par les vents dans l’île d’Icarie, je me suis plaint en vers élégiaques latins et de cette mer lointaine et de cette île. Je me suis essayé une fois aussi en vers héroïques ; quant aux hendécasyllabes, ce sont ici mes premiers. Et voici comment ils sont nés, quelle en fut l’occasion. On me lisait dans ma villa des Laurentes l’ouvrage d’Asinius Gallus où il établit un parallèle entre son père et Cicéron. Il se présenta une épigramme de ce dernier sur son cher Tiron. Puis, comme à midi je m’étais retiré dans ma chambre pour faire la sieste (on était en été), et comme le sommeil ne venait pas, je me mis à penser que les plus grands orateurs avaient regardé ce genre d’ouvrages comme un délassement et s’en étaient fait un grand honneur. Je me mis à l’œuvre avec ardeur et, contre mon attente, malgré une si longue désaccoutumance, en un court instant, prenant pour sujet les motifs mêmes qui m’avaient invité à écrire, je les exprimai dans ces vers :

« Lisant un jour le livre de Gallus, où il n’a pas craint de décerner à son père, de préférence à Cicéron, la palme de la gloire, je rencontrai un léger badinage de Cicéron où brillait ce génie, qui donna au monde des œuvres si graves, et qui a prouvé aussi que les grands esprits, parés de charmes variés, se plaisent même aux aimables jeux de la plaisanterie. Il se plaint en effet que par une malice cruelle Tiron ait déçu son cœur et, que, le repas fini et le soir venu, il se soit soustrait au paiement de quelques faveurs bien dues. Pourquoi, dis-je alors, après de tels exemples, cachons-nous nos tendresses et fuyons-nous, tremblants, les yeux du public ? Pourquoi n’avouons-nous pas que nous connaissons les ruses des Tirons, leurs malicieuses cajoleries et les douceurs dérobées qui allument de nouvelles flammes ? »

Je passai ensuite à des vers élégiaques, que je fis aussi avec la même rapidité. J’en ajoutai d’autres et puis d’autres encore, séduit par la facilité que j’y trouvais. Revenu à Rome, je lus mes poésies à mes amis ; ils les approuvèrent. Depuis, dans mes loisirs et surtout en voyage, j’ai essayé d’autres mètres. Enfin je me suis décidé, à l’exemple de beaucoup d’autres, à donner un volume séparé d’hendécasyllabes, et je ne m’en repens pas. On les lit, on les copie, on les chante ; les Grecs mêmes, auxquels l’amour de ce petit livre a fait apprendre le latin, les accompagnent soit sur la cythare, soit sur la lyre.

Mais n’est-ce pas trop me vanter ? On pardonne, il est vrai, un peu de folie aux poètes. Et d’ailleurs ce n’est pas mon jugement, mais celui d’autrui que je cite ; et juste ou erroné, il me fait plaisir. Je ne demande qu’une chose : puisse la postérité porter le même jugement erroné ou juste. Adieu.

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